Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Des fois, faisait-il, si vous ^etes du m'etier, vous ne voyez pas comment qu’on pourrait enlever la plaque de garde du tiroir ? Moi je ne connais pas ces machines-l`a.
Tr`es aimablement, Juve s’avanca, apr`es avoir d’un regard sollicit'e la permission des gendarmes qui, compl`etement abasourdis par le r^ole que jouait leur prisonnier, n’osaient gu`ere intervenir.
— C’est tr`es simple, affirma Juve, et il ne faut pas vous 'enerver comme ca.
Le policier, toujours suivi des deux gendarmes, et maintenant regard'e par tous avec une admiration un peu 'etonn'ee, s’approcha de la locomotive, d'esigna quelques 'ecrous au m'ecanicien stup'efait :
— D'evissez cela, mon ami. Vous allez imm'ediatement pouvoir sortir votre tuyau d’admission.
Mais le m'ecanicien n’en voulait pas savoir plus long.
— Ca va, vous m’expliquerez apr`es.
Juve, lui, ne put s’emp^echer de sourire, tandis que l’homme ex'ecutait le travail qu’il lui avait indiqu'e.
— D'ecid'ement, pensait le bon Juve, il est utile de savoir un peu de tout. Voici maintenant que pour m’^etre amus'e jadis `a 'etudier le fonctionnement des locomotives, je peux donner des indications `a un m'ecanicien de chemin de fer.
Mais Juve, quelques minutes apr`es froncait les sourcils. La plaque de garde enlev'ee, le m'ecanisme du tiroir sous le presse-'etoupe devenait visible. Et brusquement, le policier s’'ecriait :
— Ah c`a, mais qu’est-ce qu’on y a mis dans votre machine ? Qu’est-ce que c’est que cet encrassement ? Elle est sabot'ee, votre locomotive, mon ami.
— Ma foi non, monsieur, elle n’est pas sabot'ee plus qu’une autre. Ce que vous voyez l`a, c’est de la chaux, tout simplement.
— De la chaux protestait Juve. Mais, bon Dieu vous ^etes fou, pourquoi y a-t-il de la chaux dans vos bouilleurs ?
— Parce qu’il y en a dans l’eau du r'eservoir.
Apr`es un instant de r'eflexion cependant, le policier sembla renoncer `a comprendre comment il pouvait y avoir tant de chaux dans la tuyauterie de la locomotive. Une autre pr'eoccupation lui vint `a l’esprit. Au fur et `a mesure que le m'ecanicien travaillait, la foule des voyageurs : braves paysans, petits fonctionnaires, humbles bourgeois, se rapprochait de plus en plus de la locomotive en panne. Or, la vapeur fusait, il y avait danger d’accident, de br^ulures. Juve de nouveau intervint :
— Dites-moi, messieurs les gendarmes, fit-il en se retournant vers ses acolytes de plus en plus stup'efaits par la conduite de leur prisonnier, dites-moi, vous ne trouvez pas qu’il y a danger `a laisser tous ces braves gens s’approcher ainsi ? Vous devriez les faire circuler.
'Evidemment, il fallait le beau toupet de Juve pour que, menottes aux mains, il os^at de la sorte, donner des instructions `a ses gardes. Les gendarmes, pourtant, ne se formalis`erent pas.
— Vous avez raison, prisonnier.
Et, 'etendant le bras, ils firent reculer tout le monde, laissant toutefois Juve demeurer pr`es de la locomotive. Le policier, alors, s’accroupit pour examiner, apr`es le m'ecanicien, la tuyauterie de la locomotive. Il n’avait pas commenc'e d’inspecter le m'ecanisme, que brusquement, il 'eclata de rire :
— Eh bien, dit-il, je comprends que la vapeur ne passe pas, regardez dans ce tuyau, m'ecanicien, vous allez voir qu’il y a quelque chose qui le bouche herm'etiquement.
Le m'ecanicien, deux minutes apr`es, se rendait compte que l’observation du prisonnier 'etait justifi'ee.
— Ca va, fit-il d’un air satisfait. Maintenant que l’on sait ce qui arr^ete la machine, y en a pas pour longtemps.
L’homme s’arma d’une tringle de fer, l’introduisit `a force, gratta, fourgonna. Au bout de quelques instants, l’objet malencontreux qui s’'etant engag'e dans la tuyauterie avait occasionn'e la panne, tomba sur le ballast. Il n’y avait l`a rien que de tr`es ordinaire, et pourtant, Juve n’eut pas plut^ot apercu, tomb'e sur le ballast, l’objet qui avait form'e bouchon `a la circulation de la vapeur, qu’il p^alit, qu’il poussa un juron :
— Ah cr'edibids`eque, qu’est-ce que cela veut dire ?
Et, en d'epit des 'etincelles, des morceaux de charbon incandescents qui tombaient des grilles du foyer, en d'epit des jets de vapeur qui fusaient, au risque de se br^uler atrocement, Juve se pr'ecipita, s’engagea sous la locomotive, alla ramasser quelque chose de brillant, de rond, de plat qu’il examina avec des yeux et une mimique d’extr^eme surprise.
Juve toutefois n’avait pas encore eu le temps de se relever que les deux gendarmes rappel'es au sentiment des choses, intervenaient :
— Prisonnier, qu’est-ce que vous avez ramass'e ? Qu’est-ce que vous mettez dans votre poche ?
L’inspecteur de la S^uret'e prit un ton d’autorit'e pour r'epondre :
— Venez `a l’'ecart.
Dompt'es par son air s'erieux, les deux gendarmes le suivirent `a quelque distance, cependant que dans la foule les commentaires montaient. Il semblait extraordinaire que ce f^ut un prisonnier qui command^at de la sorte `a ses gardiens.
— Qu’est-ce que vous avez ramass'e ?
Juve froidement, avec un sourire extraordinaire, tendit aux gendarmes, une m'edaille d’argent :
— Ceci. Vous savez ce que c’est, gendarmes ?
— Ma foi non. Pas du tout.
— Eh bien, messieurs les gendarmes, c’est une m'edaille de magistrat, une m'edaille de juge d’instruction. Parfaitement. Et si vous voulez prendre la peine de lire l’inscription grav'ee, vous pourrez lire le nom suivant : Charles Pradier. Ce qui arr^etait la locomotive tout `a l’heure, c’est tout bonnement la m'edaille de magistrat du juge d’instruction de Saint-Calais.