Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Oh, monsieur le juge sait bien que je suis la sobri'et'e m^eme. Mais ce n’est pas de ma faute, je n’'etais pas habitu'e `a m’agiter comme cela du temps de M. Morel.
— Du temps de M. Morel, il ne se passait pas des choses comme il s’en passe maintenant. Voyons, Croupan, donnez-moi ces bijoux.
— Mais ils sont l`a, monsieur le juge, ils sont l`a. Voil`a dix minutes que je les ai pos'es sur votre bureau. Ils sont dans cette bo^ite scell'ee d’un cachet rouge et ferm'ee par des fils de fer.
— Bien, fit Fant^omas subitement radouci.
Mais le bandit ajouta aussit^ot :
— Et l’argent ?
— L’argent ? Quel argent ? De quel argent voulez-vous parler ?
— Vous ne comprendrez donc jamais rien, monsieur Croupan ? Si je vous ai demand'e les bijoux de l’affaire Chamb'erieux-Tergall, c’est que j’en ai besoin. Si je vous demande l’argent de la m^eme affaire Chamb'erieux-Tergall, lequel argent a 'et'e vol'e au marquis et repris sur une fille nomm'ee Rosa, dite Mirette, c’est parce que j’en ai besoin, pour mon instruction, c’est parce que ces pi`eces `a conviction me sont n'ecessaires pour une confrontation importante que je veux effectuer aujourd’hui m^eme.
— Mais, monsieur le juge, vous savez bien que l’argent a 'et'e vers'e `a la Caisse des D'ep^ots.
— C’est un tort, s’'ecria Fant^omas. C’est un grand tort. Votre patron le greffier ne devait pas se s'eparer de cette somme sans mes ordres. Comprenez donc que j’ai besoin des billets de banque vol'es, de facon `a les identifier avec les num'eros de ceux qui ont 'et'e d'erob'es au marquis de Tergall. Il me faut cet argent, il me faut ces billets.
— Monsieur le juge, comment faire ?
— D'ebrouillez-vous, Croupan, allez vous entendre avec M. le greffier en chef, je vous donne une heure pour me les rapporter.
Et le brave homme, se faufilant `a pas rapides et menus dans les couloirs du Palais de Justice, marmottait en levant les bras au ciel :
— Quelle maison, mon Dieu, quelle maison, plus ca va, et plus le Tribunal a l’air d’un asile d’ali'en'es.
Fant^omas, rest'e seul dans son cabinet, regarda fi'evreusement sa montre.
— Trois heures et demie, fit-il, en se mordant la l`evre, et la marquise qui n’est pas encore l`a. Va-t-elle venir ? Hier, d'ej`a, elle devait me rencontrer, puis, c’'etait ce matin, ce matin c’'etait encore remis `a cet apr`es-midi, pourvu que… Mais non, c’est certain. Elle va venir, et elle va venir maintenant, d’une minute `a l’autre.
Fant^omas pr^eta l’oreille.
De tous c^ot'es, on percevait des rumeurs insolites dans le Palais habituellement paisible et silencieux. Et en effet le tribunal tout entier 'etait agit'e, troubl'e. Les coups de th'e^atre se succ'edaient ininterrompus. On avait d’abord eu la veille la surprise d’apprendre que le fameux extrad'e annonc'e de Louvain s’'etait 'evad'e `a la gare de Connerr'e. Puis, ce matin m^eme, une autre nouvelle plus inattendue, plus confondante encore, avait abasourdi la magistrature locale tout enti`ere. On avait inform'e le Parquet que l’extrad'e arrivait par le prochain train, qu’il 'etait bel et bien entre les mains des gendarmes charg'es de le conduire, qu’il avait pass'e la nuit `a la prison du Mans, qu’avant la fin de la journ'ee il arriverait `a Saint-Calais.
D`es lors, Fant^omas avait 'eprouv'e une effroyable inqui'etude. Les 'ev'enements se liguaient contre lui et plus il allait, plus il prolongeait son s'ejour `a Saint-Calais, plus il paraissait enferm'e dans un d'edale qui se compliquait au fur et `a mesure. Ah que ne pouvait-il fuir, dispara^itre en emportant les fortunes que le hasard combin'e avec son adresse lui avait permis de r'eunir autour de lui. Mais qu’il ne pouvait pas encore effectivement tenir entre ses mains.
Certes, Fant^omas avait devant lui, sous les yeux, la petite bo^ite cachet'ee de cire dans laquelle se trouvaient les bijoux d'erob'es par Ribonard au bijoutier Chamb'erieux. Certes, ces bijoux repr'esentaient une fortune. Elle ne suffisait pas `a la cupidit'e de Fant^omas et s’il partait incessamment, comme il l’avait d'ecid'e, il pr'etendait au pr'ealable avoir fait main basse sur l’argent du marquis de Tergall et sur la fortune que sa veuve semblait si dispos'ee `a lui abandonner. Le jeu 'etait dangereux. Fant^omas se rendait compte que le d'esir qu’il avait exprim'e d’avoir imm'ediatement `a sa disposition ce qu’il appelait :
Un instant Fant^omas bl^emit. La question se posait nette `a son esprit :
— Si je suis `a l’heure actuelle d'emasqu'e, d'ecouvert, dois-je me consid'erer comme pris ?
Le formidable bandit jetait un regard circulaire autour du cabinet paisible et tranquille dans lequel, depuis quelques semaines, il avait v'ecu une si extraordinaire existence. Les murs en 'etaient robustes et 'epais, l’unique fen^etre donnait sur une cour int'erieure. Fant^omas machinalement s’en approcha.
— Il y a deux 'etages, remarqua-t-il, avant d’arriver au sol, et ce sol c’est celui d’une cour, d’une cour ferm'ee de tous c^ot'es. Quant aux toits, ils sont inaccessibles.
Impossible de songer `a s’enfuir par l`a le cas 'ech'eant, au surplus, d’ailleurs…
Fant^omas n’achevait pas de formuler sa pens'ee, mais elle se devinait, car le bandit avait remarqu'e qu’`a l’int'erieur de la cour se trouvaient des hommes, des ouvriers qui, assur'ement, ne manqueraient pas de signaler si quelque chose d’anormal se produisait dans leur voisinage. Mais Fant^omas reprenait courage.
— Non, se dit-il, il n’y a rien `a craindre, j’ai encore devant moi une bonne heure au moins, apr`es quoi, peu m’importe.
Un coup discret fut frapp'e `a la porte du cabinet.
— Entrez, fit Fant^omas.
C’'etait la marquise de Tergall, v^etue de noir, dont le visage fatigu'e par les 'emotions et la p^aleur accroissaient encore la distinction. Ses traits 'etaient presque enti`erement dissimul'es par un long voile de cr^epe.
Fant^omas courut `a elle, les deux mains tendues :
— Ma ch`ere soeur, entrez je vous en prie, asseyez-vous.
Mais la marquise ne r'epondait point `a l’'etreinte cordiale que spontan'ement lui offrait celui qu’elle prenait pour son fr`ere.
— Vous refusez ma main ? interrogea Fant^omas, surpris.
La marquise h'esitait encore un instant, puis, prenant une r'esolution, elle abandonnait ses doigts fr^eles et tremblants `a l’'etreinte du faux magistrat.
— Qu’avez-vous donc ? interrogea celui-ci, vous paraissez m’en vouloir ?