Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Le policier, en r'ealit'e, e^ut 'et'e fort rassur'e s’il avait su que J'er^ome Fandor avait trouv'e moyen d’entrer en relation avec l’apache B'eb'e, et de lui persuader que l’extrad'e de Louvain devait descendre du train `a Connerr'e. Il e^ut alors compris pourquoi Fandor descendait `a cette petite station, comment de la sorte il 'etait certain d’y attirer sur ses traces les deux apaches d'ecid'es `a organiser l’'evasion du prisonnier, 'evasion `a laquelle Fandor pr'etendait s’opposer.
Juve conduit au Mans, ne sachant rien de ce qui survenait sur la route de Connerr'e, c’est-`a-dire de l’arrestation de B'eb'e et de l’'El`eve, passa une nuit d'etestable, n’osant fermer l’oeil et s’attendant aux pires calamit'es.
Rien ne survint pourtant, de nature `a inqui'eter le policier. La nuit s’'ecoula paisible. Au petit matin, les deux gendarmes charg'es de son transfert vinrent le chercher, l’emmen`erent `a la gare o`u imm'ediatement ils s’occupaient de faire viser le permis de circulation qui devait les autoriser `a monter dans le train `a destination de Saint-Calais.
— Avancez, prisonnier.
Juve suivit ses gardiens.
Mais, apr`es avoir parl'e `a un employ'e galonn'e qui faisant de grands gestes, eut l’air de refuser une faveur extraordinaire, les gendarmes, la mine furieuse, revinrent aupr`es de Juve :
— Par ici, prisonnier.
Le policier, de plus en plus docile, accompagna les dignes pandores. On allait trouver un autre employ'e plus galonn'e encore, mais probablement tout aussi intraitable.
— Retournons, prisonnier.
Pendant pr`es d’une heure, le malheureux Juve, toujours entre deux gendarmes, parcourut la gare du Mans en tous sens et s’assura qu’il y avait bien dans la respectable station de chemin de fer une vingtaine d’employ'es group'es en une hi'erarchie savante, ce qui leur permettait en cas de difficult'e avec les voyageurs, de se renvoyer les m'econtents les uns aux autres jusqu’`a ce que ces derniers fussent litt'eralement affol'es, abrutis, r'esign'es, de guerre lasse, pr^ets `a tout plut^ot qu’`a obtenir justice.
Or, comme pour la cinquanti`eme fois peut-^etre, les gendarmes ordonnaient `a Juve :
— Demi-tour, prisonnier.
Le policier, qui commencait `a ^etre nerveux et n’avait gu`ere l’habitude de perdre ainsi des heures enti`eres sans r'esultat apparent, se d'ecida `a sortir du mutisme qu’il observait d’habitude :
— Qu’est-ce qu’il y a donc, messieurs les gendarmes ? Pourquoi allons-nous visiter successivement tous ces gens `a casquette ?
Le brigadier, qui en d'epit de son apparence calme amassait dans son coeur, depuis de longs instants, sa bonne dose de col`ere, 'eclata.
— Ce qu’il y a, r'epondit-il, il y a que notre permis n’est soi-disant valable que sur les lignes de l’'Etat. C’est idiot, mais c’est ainsi. Et par cons'equent, on refuse de nous le viser pour la ligne, pour le troncon de ligne Mamers-Saint-Calais, que r'eguli`erement nous devrions prendre `a Connerr'e.
— Je ne comprends pas, faisait Juve.
— Mais c’est pourtant bien simple, repartait le brigadier qui mettait maintenant, `a convaincre le malheureux Juve la m^eme fougue imp'etueuse qu’il mettait depuis une heure `a vouloir convaincre les employ'es de la station du Mans. Notre permis comporte
Le Mans-Connerr'e, `a Connerr'e, changement de train, Connerr'e-Saint-Calais. Or, l’embranchement Connerr'e-Saint-Calais ne d'epend pas de l’'Etat et l’on nous refuse le passage.
Juve, pour toute r'eponse, se contenta de sourire. Il n’'etait pas f^ach'e outre mesure, le policier, `a l’id'ee que des difficult'es s’'elevaient au sujet de son arriv'ee `a Saint-Calais. Dans la pens'ee o`u il 'etait toujours, que Fandor avait d^u rater son coup, ne point trouver moyen d’emp^echer l’'evasion projet'ee, Juve songeait qu’il 'etait toujours expos'e `a tomber dans une embuscade. N’'etait-il pas excellent d`es lors que l’itin'eraire pr'evu pour son voyage f^ut `a l’improviste modifi'e ?
Juve, qui connaissait sa carte de chemin de fer sur le bout du doigt, ne paraissait d’ailleurs pas tr`es embarrass'e par le probl`eme que lui soumettait implicitement son gendarme.
— Eh bien, brigadier, r'epondait Juve avec une parfaite tranquillit'e, puisque nous ne pouvons pas emprunter la ligne Mamers-Saint-Calais, il n’y a qu’`a changer l’itin'eraire.
`A cette proposition inattendue, le gendarme, mis hors de lui, tr'epignait presque sur place :
— C’est cela, faisait-il, tremblant de col`ere, vous me proposez d’aller `a pied de Connerr'e `a Saint-Calais, eh parbleu, il y a longtemps que ce serait fait si je n’avais pas un ordre formel de l’administration p'enitentiaire. On doit vous transf'erer par le train, je ne puis pas changer quoi que ce soit `a cette consigne. Ainsi…
Juve ne laissa pas le gendarme achever :
— Transf'erez-moi par le train, proposa-t-il, faisant preuve d’une amabilit'e extraordinaire, mais passons par un autre itin'eraire, vous dis-je, du Mans allons `a La Ch^atre, de La Ch^atre `a Bess'e-sur-Braye, de Bess'e-sur-Braye `a Saint-Calais.
Juve avait soudainement trouv'e le moyen de ramener la tranquillit'e dans l’^ame du gendarme.
— Ah parbleu, ma foi, oui, s’exclama le brigadier, je ne pensais pas `a cette combinaison. Elle est tout simplement merveilleuse. Ma parole, prisonnier, c’est tr`es fort, ce que vous venez de proposer l`a. Tr`es fort.
Le brave homme n’en dit pas plus. Mais il 'etait 'evident qu’il 'etait tr`es satisfait d’avoir enfin d'ecouvert un proc'ed'e qui lui perm^it, sans bourse d'elier, de transiter son prisonnier en respectant les ordres administratifs. Ce contentement de gendarme se manifesta bient^ot d’une facon sensible que Juve appr'ecia fort. Comme apr`es deux heures de trajet, le petit groupe compos'e du policier et des deux gendarmes roulait aux environs de Bess'e-sur-Braye, le brigadier autorisa son prisonnier `a fumer une cigarette.
— D'ecid'ement, prisonnier, je crois que maintenant, dans trois quarts d’heure nous serons rendus `a destination.
— Je le crois aussi, brigadier.
Apr`es de multiples changements de train, fatigu'es, mais satisfaits, les deux gendarmes et le policier venaient, `a Bess'e-sur-Braye, d’embarquer dans le tortillard qui m`ene `a Saint-Calais.
Ils avaient encore trois quarts d’heure de route `a faire, mais trois quarts d’heure de route facile puisque maintenant aucun changement de train n’'etait plus n'ecessaire, puisque le compartiment dans lequel ils se trouvaient allait directement jusqu’`a Saint-Calais.