Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
Шрифт:
Or, le gendarme n’avait pas fini sa phrase, Juve 'etait encore en train de r'epondre, que brusquement le train s’arr^eta. Il s’arr^eta, non pas comme un train s’arr^ete d’ordinaire, lentement, prudemment, dans le bruit des grincements de frein, mais au contraire brusquement, net, avec une soudainet'e qui amena les wagons `a se heurter, `a s’entrechoquer, et cela si violemment que Juve et les deux gendarmes furent pr'ecipit'es les uns contre les autres, avant qu’ils eussent eu le temps de se reconna^itre.
— Cr'edibids`eque, cria Juve.
— Bougre de bougre, s’exclam`erent les gendarmes.
Puis, les repr'esentants de la mar'echauss'ee, d’une voix pleine de sollicitude, s’inform`erent :
— Vous n’avez rien, prisonnier ?
— Rien, r'epondait Juve, qui d'ej`a se penchait `a la porti`ere, mais je crois bien que si moi je n’ai rien, notre train, lui, a quelque chose.
— Bon Dieu de bon sang de bonsoir, commenca le brigadier, on n’y arrivera donc jamais `a Saint-Calais.
Le simple gendarme 'etait tout aussi furieux que son chef :
— Sapristi de sapristi, dit-il, des aventures comme celle-l`a, ca suffirait `a vous d'ego^uter de porter l’uniforme.
Juve 'etait toujours pench'e `a la porti`ere. Les deux gendarmes, un genou sur la banquette, abaissaient les petits carreaux du wagon, regardant eux aussi sur la voie.
Le long du train, un employ'e courait au loin. Pr`es de la locomotive, on voyait le m'ecanicien qui s’affairait. Or, plus Juve approchait de Saint-Calais, et moins, en v'erit'e il paraissait avoir conscience des obligations aff'erentes `a sa qualit'e de prisonnier. Apr`es leur avoir donn'e le moyen d’atteindre sans trop de longueur le but de leur voyage en passant par La Ch^atre, il avait acquis la sympathie de ses gardiens et il en profitait.
Juve, en d'epit des menottes dont ses mains 'etaient garnies, ce qui le signalait `a l’attention des voyageurs du petit train qui tous 'etaient aux porti`eres, h'ela un employ'e :
— H'e l`a-bas, mon ami, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il y a ?
L’employ'e haussa les 'epaules, et avec un grand geste de doute, r'epondit :
— Je ne sais pas, il y a une avarie `a la machine.
Mais d'ej`a du compartiment voisin, lass'es d’attendre, les voyageurs s’empressaient de descendre, d'esireux de se rendre compte du motif impr'evu qui venait d’immobiliser le convoi. Au surplus nul n’ignorait, parmi ceux qui se trouvaient dans le petit tortillard, que les itin'eraires de la compagnie 'etaient complaisants, la discipline tol'erante et, qu’en cons'equence, le train n’'etait pas pr^et de repartir `a l’improviste.
Juve pourtant s’impatientait.
— Ils sont assommants, que diable, murmura-t-il, ces sacr'es trains de province.
Puis, brusquement, une id'ee vint au policier : Ah c`a est-ce que l’arr^et du train, par hasard, ne concorderait pas avec les projets d’'evasion dont Fandor lui avait parl'e ? Il fallait le savoir.
Juve le plus naturellement du monde, comme s’il se f^ut adress'e non pas `a deux gendarmes charg'es de le mener en prison sous l’inculpation d’^etre le plus terrible bandit, mais bien comme s’il e^ut, en r'ealit'e convers'e avec deux camarades, proposa :
— Dites donc, si nous allions voir ce qui se passe ?
La proposition 'etait faite d’un ton si simple, que les deux gendarmes surpris, ne pensaient m^eme pas `a la refuser.
— Si vous voulez, ca passera le temps.
Juve, d'ej`a, ouvrait la porti`ere, et toujours menottes aux mains, suivi de ses deux gardiens, se dirigea vers la t^ete du train, o`u s’'etaient rassembl'es les voyageurs.
— Qu’est-ce qu’il y a donc ? demanda le policier, faisant preuve d’un incontestable toupet et feignant de ne pas remarquer les regards apeur'es dont les personnes pr'esentes consid'eraient ses menottes.
Le m'ecanicien qui, grimp'e sur la machine, une machine de forme pr'ehistorique, apparaissait de temps `a autre avec un visage noir de charbon, couvert de sueur et compl`etement affol'e, r'epondait `a la cantonade :
— Ce qu’il y a, nom de Dieu ? Ah, saloperie, je voudrais bien le savoir. Il y a que l’admission au tiroir est bouch'ee. La vapeur ne passe plus. Cr'e nom d’un chien. Justement aujourd’hui le feu tire merveilleusement. Si la soupape ne marche pas, tout `a l’heure ca va sauter.
`A la d'eclaration de l’homme de l’art, naturellement un recul sensible se produisit parmi ceux qui entouraient la locomotive.
Les deux gendarmes eux-m^emes tir`erent Juve par la manche :
— Venez donc, proposaient-ils, venez, prisonnier. Si des fois…
Juve haussa les 'epaules :
— S’il y a danger d’explosion, continuait toujours avec calme l’extraordinaire policier, qui de plus en plus paraissait oublier sa situation de prisonnier, il faut faire le n'ecessaire, m'ecanicien. Ouvrez une s^uret'e.
Et le m'ecanicien, rageusement r'epondit :
— Y en a pas sur ces vieux chaudrons.
— Alors, ouvrez le sifflet.
— Pour qu’on ne s’entende plus ?
— Mettez un linge mouill'e autour de l’ouverture, ou d'evissez votre d^ome.
Juve parlait avec une telle autorit'e que le m'ecanicien, brusquement, sortit de la chaudi`ere o`u il 'etait `a demi enfonc'e.
— Tiens, fit-il, vous avez raison. Ma foi, je n’y pensais pas. Vous ^etes donc du m'etier ?
Puis, consid'erant Juve, le voyant entre deux gendarmes, le m'ecanicien sursautait :
— Ah bougre, c’est vous qui venez de parler ?
Juve montra ses menottes :
— Ne faites pas attention `a cela, si mon conseil est bon, suivez-le.
Le m'ecanicien fit oui de la t^ete, il d'evissa en effet `a l’aide d’une 'enorme cl'e le haut du sifflet. La vapeur d`es lors put s’'echapper. L’accident n’'etait plus `a craindre. Son travail fini, d’ailleurs, il se tourna encore vers Juve :