Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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Puis Fandor mit rapidement au courant du sort tragique qui lui 'etait r'eserv'e le directeur de La Capitale.
— Tenez, concluait Fandor, je me fais l’effet, patron, d’une souris prise au pi`ege. Voil`a huit jours que j’agonise sous l’Escurial et quand vous ^etes arriv'e, je me croyais bel et bien perdu. Vous allez me tirer d’affaire, hein ?
Dupont de l’Aube, pour toute r'eponse haussa les 'epaules :
— Mais naturellement, mon cher Fandor. Votre captivit'e n’est plus qu’une question d’heures.
Et le patron de Fandor, m^elant ses explications de quelques reproches, relatifs `a l’imprudence dont avait fait preuve le journaliste en entrant `a l’Escurial alors que Fant^omas r^odait dans les environs, contentait `a son tour la curiosit'e du journaliste.
— Tenez, Fandor, disait-il, vous l’'echappez belle, savez-vous ? la juridiction de l’Escurial est en effet extraordinaire. Les subtils religieux qui en ont le b'en'efice jouissent d’un privil`ege monstrueux. Je ne savais pas du tout et je n’aurais jamais su qu’un Francais g'emissait dans ces ge^oles, si je n’avais pas recu par t'el'ephone une communication anonyme m’avertissant de la chose. Bien entendu, j’ai fait imm'ediatement une petite enqu^ete et en vertu de ma puissance diplomatique, j’ai pu arriver jusqu’`a vous. Mais c’est de la chance.
— Est-ce un homme ou une femme qui vous a pr'evenu ?
— Une femme, je crois.
Et ce fut une illumination :
— La Recuerda. C’est la Recuerda qui m’a sauv'e !
Au surplus, J'er^ome Fandor ne s’attarda pas `a causer avec Dupont de l’Aube. Maintenant que l’espoir lui revenait au coeur, il se sentait pris d’une h^ate extr^eme d’^etre d'efinitivement tir'e des prisons de l’Escurial :
— Dites donc, patron, d'eclarait famili`erement J'er^ome Fandor, je suppose que vous allez vous d'ep^echer, hein ? je moisis ici, moi, vous savez si j’y reste encore une semaine, je finirai par sentir le renferm'e. Comment allez-vous proc'eder pour obtenir ma gr^ace ?
— Rassurez-vous, mon bon, si les moines de l’Escurial sont farouches, ils sont avares aussi. Je vais imm'ediatement retourner `a Paris, je peux avoir, ce soir encore, le train de luxe. Demain matin je verrai le ministre des Affaires 'etrang`eres. Il y aura 'echange de d'ep^eches diplomatiques avec Madrid dans la journ'ee. Demain soir j’aurai votre brevet de gr^ace en poche. Apr`es-demain soir, au plus tard, je viens vous chercher ici.
— Ca ne sera pas dommage. Ah le ciel pur, les petits oiseaux, la libert'e. J’en ai rudement besoin !
Plus bas, mais avec une rage concentr'ee, J'er^ome Fandor ajoutait :
— Et j’ai besoin aussi de me venger, de me venger, terriblement.
20 – POUR UN BAISER DE LA RECUERDA
Au carrefour de la rue Lepic et de la rue des Abbesses il y a un caf'e borgne mal not'e de la police. Il est toujours fr'equent'e par une population interlope et il est pour ainsi dire impossible d’obtenir sa fermeture `a l’heure l'egale. Sans cesse, ce bouge d'everse dans la soir'ee, sur le trottoir, des individus abominablement ivres, qui font du tapage et du scandale, ou encore des groupes de gens qui s’insultent et se battent, jouent du couteau, ou m^eme du revolver. En un mot, ce cabaret est le rendez-vous notoire des r^odeurs et des apaches du quartier.
Le tenancier de ce bouge l’a intitul'e modestement Au Picolo. Mais ce titre n’est pas limitatif, et le patron, qui se pr'etend connaisseur, assure vendre `a sa client`ele, pour la modeste somme de deux sous, les crus les plus appr'eci'es de la Bourgogne, de m^eme que les meilleurs bordeaux.
Ce soir-l`a, dans la petite salle enfum'ee de l’'etablissement, une bande de filles et de r^odeurs entouraient un grand diable qui, aux trois quarts ivre, p'erorait en titubant. D’une main il se cramponnait au comptoir de zinc, de l’autre il faisait des gestes plus ou moins appropri'es `a une terrifiante description.
— Il sort des flammes de sa bouche et de ses yeux, il a une langue lumineuse, et on le voit dans trente-six endroits `a la fois. Rien que de regarder sa figure ca vous donne l’id'ee qu’on va crever sur place et quand il veut dispara^itre, il s’entoure d’une esp`ece de fum'ee impossible `a respirer.
C’'etait Barnab'e qui s’exprimait ainsi. Le fossoyeur du cimeti`ere Montmartre prononcait ces paroles avec un accent convaincu, et l’on comprenait qu’il s’agissait l`a d’une vision fantastique, d’un spectacle extraordinaire, dont il avait peut-^etre 'et'e le t'emoin – nul en effet n’avait de doute `a ce sujet. Depuis plus d’une heure, dans la salle basse du Picolo, on s’entretenait du formidable myst`ere qui 'epouvantait tout Paris, du fameux fant^ome du pont Caulaincourt.
La Chol'era, qui 'etait dans la bande, ouvrait des yeux hagards et buvait litt'eralement les paroles de Barnab'e.
— Il me fout le trac, cet homme-l`a, murmura-t-elle. Si j’avais seulement reluqu'e la moiti'e de ce fourbi qu’il raconte, s^urement que je serais tomb'ee en digue-digue.
Mort-Subite haussa les 'epaules :
— Comment qu’y cherre dans le mastic [13] ? d'eclara-t-il d’un air m'eprisant.
Mais Barnab'e persistait :
— Aussi s^ur que je suis l`a, d'eclarait-il, j’ai vu ce que je te dis. C’est un truc `a terrifier les plus, costauds, j’ai pas les foies d’ordinaire, les morts et les cadavres ca me conna^it, mais les choses surnaturelles et incompr'ehensibles, vois-tu, ca me d'epasse.
Quelqu’un intervint, un consommateur demeur'e `a l’'ecart et qui, jusque-l`a, avait silencieusement 'ecout'e la conversation des apaches et les propos de Barnab'e. C’'etait un homme v^etu d’un grand manteau jaune et coiff'e d’une casquette ray'ee, dont le visage ras'e 'ecarlate s’ornait de favoris roux. On le connaissait pour l’avoir vu quelquefois dans les 'etablissements interlopes de Montmartre : on l’appelait le cocher John.
Fant^omas, qui se cachait sous ce d'eguisement, aimait `a errer dans les bouges, `a surprendre les propos des apaches qui les fr'equentaient, `a conna^itre ainsi leurs intentions, leurs sentiments. Il 'etait si merveilleusement grim'e qu’il 'etait assur'e de n’^etre pas reconnu, m^eme de ceux qui avaient pu le voir sous son aspect v'eritable. Il est vrai qu’ils 'etaient rares.
— Le fossoyeur a raison, fit-il, et les manifestations du spectre du pont Caulaincourt sont de plus en plus extraordinaires. Il faut y croire et s’en m'efier. `A maintes reprises, des 'ev'enements graves, des cataclysmes ont 'et'e annonc'es par des apparitions semblables, et personne n’en a retir'e profit, bien au contraire.
Fant^omas s’exprimait sur un ton de gravit'e solennelle, et ses paroles tombaient comme un glas au milieu d’une assistance qui se faisait spontan'ement attentive. Barnab'e triomphait. Il eut un large sourire et apr`es avoir bu de nouveaux verres d’alcool, d’un trait, comme c’'etait son habitude, il affirma de sa voix enrou'ee :