Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Radrap, d’un pas saccad'e, d’un pas qui visait `a ^etre le pas militaire et qu’un maudit rhumatisme pris dans les tranch'ees de S'ebastopol faisait tout de m^eme h'esitant, longeait la chambre, avancait vers la porte. Il crut entendre derri`ere lui comme un murmure.
— Pas d’attendrissement, fit-il. On fait son devoir. Et c’est pour Lui !
Puis, la gaiet'e lui revenait, cette gaiet'e gavroche des soldats qui plaisantent au moment d’aller au feu.
— Ah, on leur montrera, aux embusqu'es de la place, de quel bois ils sont faits, les invalides !
Et son ricanement trahissait la douleur qu’il 'eprouvait d’^etre vieux.
Le long des couloirs alors des groupes chemin`erent, silencieux. On ex'ecutait fid`element les ordres du vieillard. On les ex'ecutait avec z`ele, avec pr'ecaution aussi, car les missions donn'ees n’'etaient pas sans p'eril.
Les Invalides ne sont pas, en effet, exclusivement affect'es aux vieux braves. Dans les 'enormes b^atiments du palais, une sorte de caserne existe, occup'ee par tous les bureaux de l’administration, cependant que de merveilleux appartements sont r'eserv'es aux g'en'eraux de la place de Paris, aux officiers sup'erieurs attach'es `a l’administration.
Les sentinelles, de jeunes soldats, ceux-l`a, 'etaient de faction un peu partout. Il convenait de les 'eviter.
Les invalides ne les aimaient gu`ere, il y avait rivalit'e entre eux, trop de gloire d’un c^ot'e, trop de jeunesse de l’autre.
— Les vieux bonshommes ! disaient les jeunes soldats.
— Les blancs-becs ! ricanaient les invalides.
Parfois des disputes naissaient o`u les uns se traitaient de moutards et les autres d’infirmes.
Les petits groupes, cependant, les grognards, devaient avoir l’avantage. Dans la tranquillit'e paisible des b^atiments, les factionnaires montaient une garde fort distraite et peu soucieuse de surveiller les 'ev'enements.
Les vieux, d’ailleurs, connaissaient tous les d'etours du palais. Ils savaient se glisser dans la nuit, furtifs comme des ombres, sans faire de bruit. Leurs b'equilles elles-m^emes 'etaient silencieuses, seules auraient pu donner l’'eveil leurs m'edailles s’entrechoquant.
Mais o`u allaient-ils et que faisaient-ils ?
Radrap, `a la t^ete des dix compagnons qui constituaient le gros de son arm'ee, avait, au sortir de la chambr'ee, suivi un long corridor. Il conduisait son monde par une galerie jusqu’`a la face des b^atiments des Invalides qui regardent le d^ome recouvrant le tombeau de l’Empereur.
Quand on arriva `a proximit'e de la chapelle, Radrap se retourna et d’un geste imposa le silence.
— Attention ! dit-il. L’ennemi ne doit pas ^etre loin… Ah ! fichu temps de chien, tout le m^eme !… C’est comme en Crim'ee, le soir que j’'etais de garde et qu’il neigeait si fort qu’au bout de mon bras je ne voyais plus ma main ! Ouvrez l’oeil, vous autres !
Ils s’'etaient tous arr^et'es, ils consid'eraient la masse sombre du tombeau de l’Empereur, ils 'ecarquillaient leurs yeux, attentifs, 'emus, grelottant de froid aussi.
Et ce fut l’aveugle, le malheureux aveugle, qui donna le premier l’alarme.
— Entendez-vous ? demandait-il.
Lui, avec ses sens affin'es par la c'ecit'e, avec cette ou"ie merveilleuse qu’acqui`erent si vite ceux qui ont perdu l’usage des yeux, venait de surprendre un bruit extraordinaire.
— S^urement, r'ep'etait-il, s^urement l’ennemi est l`a !…
Les invalides alors tendirent l’oreille anxieusement.
La nuit noire 'etait venteuse. De gros nuages, lourds de pluie, pr^ets `a crever, couraient `a ras du sol dans une galopade effr'en'ee.
Sous les invalides, pench'es `a leur balcon, le vent sifflait avec rage dans les longs couloirs sans porte. Il poussait des hurlements plaintifs, faisait grincer des volets mal attach'es, jetait des
Mais ce n’'etaient pas ces bruits de temp^ete, ce vacarme de mauvais temps, le grondement de la bourrasque que les h'ero"iques invalides 'epiaient.
Ce qu’ils entendaient maintenant, c’'etait comme un bruit sourd de marteaux, de chocs d’outils de fer, vigoureusement mani'es. Par moments enfin, entre deux rafales, on entendait comme un bruit de lime ou encore, il le semblait du moins, des 'eclats de voix 'eloign'ees.
— Fichtre ! bougonna Radrap.
Et, dans ce mot, il mettait toute son inqui'etude, toute sa joie aussi.
Radrap se pencha vers ses compagnons.
— Attention, les hommes ! L’ennemi est l`a, il faut le surprendre. Demi-tour `a droite ! Il faut investir la chapelle. Quand l’investissement sera fait, eh bien, ce sera l’assaut… En avant !
Ils d'egringol`erent tous un escalier, arriv`erent dans la petite cour qui longe la chapelle et de laquelle on apercoit les admirables vitraux qui garnissent les fen^etres. L`a, ils tombaient sur les factionnaires envoy'es par Radrap.
— Austerlitz !
— Waterloo !
Le mot de passe s’'echangea, Radrap, comme un g'en'eral de corps d’arm'ee, questionnait :
— Avancez, les estafettes ! Au rapport ! Qu’avez-vous entendu ?
Ils n’avaient rien entendu du tout… Grelottant de froid, battus par la temp^ete, ils parlaient de rentrer dans la chambr'ee, disant qu’apr`es tout les jours pr'ec'edents ils avaient d^u se tromper.
Alors Radrap les gourmanda :
— Est-ce qu’on avait id'ee de poules mouill'ees pareilles ? Peut-^etre bien qu’ils r'eclamaient l’artillerie, ou bien encore ces messieurs exigeaient un r'egiment entier ?
Radrap conclut brusquement :
— On est l`a pour faire son devoir, on le fera ! Que ceux qui ont peur s’en aillent !
Personne ne bougea, naturellement.
Alors Radrap commanda :
— Mouvement tournant ! Il faut entourer la chapelle, attendre et ouvrir l’oeil. Si je juge l’assaut opportun, on verra bien…