Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Tel quel, le propri'etaire de ce bouge s’avancait avec un sourire et demandait d’une voix chevrotante :
— Oh ! mais, voil`a de la compagnie !… Et qu’est-ce que c’est donc qu’il faut vous servir ?
— La ferme, t^olier de malheur !… On s’compte !
Et le personnage qui avait heurt'e le comptoir d'enombrait en effet des compagnons :
— Combien qu’on est ? demandait-il.
Et il 'enoncait `a voix haute :
— La Puce… Ad`ele… Marie-Salope… la Godasse… et c’est tout… Aux mecs, maint’nant.
Il nommait toujours son monde :
— Moi, d’abord, Mon-Gnasse… OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz… D'egueulasse et Fumier… Qui encore ? Ah… Ma-Pomme… Tiens, o`u est donc Bouzille ?
Bouzille avait 'et'e vu au d'epart, mais personne ne savait s’il avait r'eellement pris le train ou s’il 'etait rest'e `a Paris.
— Ca ne fait rien ! conclut Mon-Gnasse, Bouzille se retrouvera bien toujours !… De la graine comme ca, ca pousse tout seul !… S^ur’ment que l’bonhomme arrivera `a ses cent ans sans qu’on l’aide `a manger sa soupe…
Ayant cependant v'erifi'e ceux qui l’accompagnaient, Mon-Gnasse se retournait vers le patron :
— Et alors, vieil idiot, commencait-il, qu’est-ce qu’il y a dans ta cambuse ?
Le patron du bouge semblait ahuri quelque peu. Il n’avait peut-^etre jamais vu une client`ele si nombreuse en son 'etablissement.
— Il y a d’tout, mon bon monsieur, il y a d’tout !
— Bon ! riposta Mon-Gnasse. Il y a d’tout en trois bouteilles, alors, car ta biblioth`eque a plut^ot l’air mal garnie…
Puis sans consulter personne, car il connaissait bien les go^uts de chacun, Mon-Gnasse commanda :
— Des mominettes pour tout l’monde ! Sans sucre pour les gonces et avec du fondant pour les juponn'ees… Allez, grouille, foutriquet !
Le patron du bouge, cependant, commencait `a perdre litt'eralement la t^ete.
— C’est que… commenca-t-il, je ne sais pas si…
— Attends, vieux fourneau, repartit Mon-Gnasse, tu vas voir si je te vas t’'ecraser les puces pour t’apprendre `a faire subito !… Qu’est-ce que t’as ?
Mon-Gnasse achevait sa commande en la ponctuant d’une bourrade qui coupait en deux la respiration au ch'etif vieillard.
Cela fait, Mon-Gnasse revenait vers le milieu de la boutique, empoignant la Puce par les hanches, la soulevant en l’air, et la forcant `a valser.
— Non, mais laisse-moi donc ! hurla la fille. T’es pas piqu'e, des fois ? Tu m’fais mal, eh ! veau !
— Bon, bon, j’ai rien senti ! r'etorquait-il. Et puis, c’est pas tout ca, c’est l’printemps qui m’travaille, j’ai des fourmis dans les guibolles… Vive le sexe !…
Marie-Salope, pr'ecis'ement, s’occupait dans un coin `a nouer son chignon, qui s’'etait d'efait. Cela mettait en gaiet'e Mon-Gnasse, qui 'etait d’excellente humeur.
— Mince de tifs ! s’'ecriait-il. C’est ca qui f’rait d’la m`eche pour mes lanternes quand j’marche `a la cambriole !
Et il plaqua un gros baiser sur la nuque de la pierreuse, ce qui manqua imm'ediatement de d'echa^iner une dispute. La Puce bondit sur son homme.
— Non, mais, d'ego^utant ! commencait-elle. Si c’est qu’tu veux plus d’moi comme femme, faut l’dire !
La Puce 'etait furieuse et roulait des yeux terribles, cependant que, tr`es flatt'ee, Marie-Salope, qui n’appartenait `a personne, 'etant un peu la femme de tout le monde, plastronnait avantageusement.
— Vas-y, Mon-Gnasse ! Fais-lui fermer l’bec… Non, mais, elle n’te f’ra pas peur, hein, mon homme ?
On crut qu’une dispute aller na^itre, mais, `a ce moment, une diversion heureuse naquit par le fait du patron du bouge qui apportait sur la table quelques verres en compagnie d’une bouteille d’absinthe entam'ee.
OEil-de-Boeuf, imm'ediatement, commenca une chanson bachique.
Plus pratique, Bec-de-Gaz reniflait la bouteille. D'egueulasse et Fumier, `a ce moment, tournaient autour de la table en se menacant de s’'etriper.
— Attends voir, salaud, commencait D'egueulasse qui fuyait devant Fumier. Attends voir un peu que j’m’en vas t’laisser mon absinthe ! Plus souvent qu’tu la licherais `a ma place. J’aimerais mieux m’en extirper le nombril !
Il y eut des explications orageuses, on comprit enfin le motif de la querelle.
D'egueulasse et Fumier avaient jou'e le matin m^eme au d'e la tourn'ee du soir. Il s’'etait trouv'e que Fumier avait gagn'e, il venait de rappeler la chose `a D'egueulasse, et il 'emettait la pr'etention de boire les deux absinthes. Naturellement, D'egueulasse protestait avec 'energie.
Ma-Pomme, heureusement inspir'e, trouva le mot de la situation.
— Eh, fichez-nous la paix ! commenca-t-il. Y en aura pour tout le monde ! D’accord, c’est pas soi qu’on paye.
Ma-Pomme s’avancait beaucoup. Il avait pris la bouteille d’absinthe en main, il remplissait les verres, que l’on s’'etait r'epartis. Ma-Pomme n’'etait pas chiche d’absinthe. Il n’aimait, pour sa part, que les mominettes bien tass'ees, les pur'ees 'epaisses, il servait royalement.
Or, comme il emplissait le quatri`eme verre, il arriva que la bouteille d’absinthe 'etait vide.
— H'e ! t^olier ! cria Ma-Pomme, rapplique voir ici, cousin d’andouille… Une aut’bouteille !
Le patron du mastroquet bl^emit en tordant ses mains s`eches.
— Mais je n’en ai pas, mon bon monsieur… J’vous ai donn'e tout c’que j’avais… Voulez-vous de l’orgeat ?
Alors une dispute formidable 'eclata. Ma-Pomme et Mon-Gnasse secouaient le bonhomme, l’un le tirant `a droite, comme l’autre le poussait `a gauche.