Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Ils allaient de baraque en baraque. L’or qui tintait dans leurs poches semblait les embarrasser, il les grisait au moins autant que les liqueurs qu’ils avaient absorb'ees. La Puce voulait tout voir ; elle avait fait six tours de chevaux de bois, elle avait tir'e `a la carabine, elle 'etait entr'ee, poussant des 'eclats de rire 'enervants, dans une baraque o`u l’on admirait la femme chameau. De l`a, elle s’'etait pr'ecipit'ee dans une boutique de charcuterie, o`u, sur un pari de Mon-Gnasse, elle avait aval'e du boudin cru. Par l`a-dessus, elle avait d’ailleurs d'evalis'e un marchand de pain d’'epices, et son corsage s’ornait de quatre cochons roses sur lesquels le pr'enom de Mon-Gnasse avait 'et'e dessin'e avec du sucre fondu.
— Ah ! c’que c’est chouette !… Ah ! c’que c’est bath !… C’qu’on rigole !…
La Puce dansait le cancan, cependant que Mon-Gnasse, qui avait le vin sentimental, s’arr^etait `a tout bout de champ pour l’embrasser et pour lui proposer de l’'epouser.
— Tiens, on f’ra ca d’main, disait-il, rien que pour voir la gueule des poteaux… M. l’maire, qu’on l’y dira, au bonhomme qu’a l’ruban en travers, M. l’maire, c’est pas la peine de faire du chichi !… Puisqu’on est ensemble, on s’marie ; c’est rapport `a c’qu’on a des sous, maint’nant ! Tu veux, dis ?
Mais la Puce voulait tout autre chose. Contre les arcades du m'etropolitain, elle venait pr'ecis'ement d’apercevoir une baraque qui la faisait se p^amer d’aise.
— Ah ! ca, c’est rien farce ! hurlait-elle. J’veux y entrer ! M`ene-moi l`a !
L’'ecriteau annoncait : Man`ege des Puces savantes.
Il 'etait 'evidemment tout indiqu'e que la ma^itresse de Mon-Gnasse all^at voir celles dont elle usurpait le nom.
— Des puces savantes ! s’exclamait-elle. Non mais des fois !… Elles vont p’t’^etre me donner des conseils pour mieux y faire !
Elle lancait des regards langoureux `a Mon-Gnasse qui la serrait de plus en plus.
Ils entr`erent dans la baraque. On n’y voyait pas tr`es clair. Mon-Gnasse, qui perdait la t^ete et commencait `a parler de radiner vers la t^ole, histoire de voir si l’plumard n’avait pas d'em'enag'e, embrassa la Puce.
— T’es rien chouette ! disait-il.
Juste `a ce moment, la Puce et Mon-Gnasse sursaut`erent. Ils venaient, l’un et l’autre, de se sentir empoign'es par le bras.
En m^eme temps, deux voix rudes murmuraient :
— Allons, pas de scandale… Suivez-nous de bonne gr^ace, ou l’on vous colle le cabriolet !
'Evidemment, on les arr^etait. Mon-Gnasse, de stup'efaction, voulut protester.
— Non, mais, de quoi ? protesta-t-il. Je l’embrasse, c’est vrai, mais ca r’garde personne… Le pape pas plus qu’un autre… C’est ma gerce, d’abord, et si j’veux, elle s’ra ma femme demain !
On ne lui r'epondait pas, et Mon-Gnasse, qui pr'etendait conna^itre le Code, insistait de plus en plus :
— J’l’embrasse, quoi… c’est pas d'efendu ! J’vous d'efie bien d’jacter l’contraire ! Le baiser, c’est permis, c’est pas des attentats !
L’un des deux hommes qui entra^inait le couple au-dehors, sans que d’ailleurs personne ne par^ut s’'emotionner parmi les admirateurs des puces savantes, finit pas d'eclarer sur un ton d’impatience :
— Mais ce n’est pas pour cela qu’on vous arr^ete…
— C’est pourquoi, alors ? demanda Mon-Gnasse… Non, mais, c’est pourquoi ?
L’ivresse aidant, il pleurait maintenant `a grosses larmes, il 'etait tr`es doux mais il s’ent^etait :
— C’est pourquoi ? J’voudrais l’savoir… Justement qu’on 'etait aux oignons ce soir, qu’on f’sait douc’ment les amoureux, et v’l`a qu’on nous poisse !… M’sieur l’agent, c’est pourquoi qu’on m’arr^ete ?
L’agent appelait un fiacre, on y poussait les deux apaches :
— `A la S^uret'e ! commandaient les inspecteurs.
Et comme Mon-Gnasse s’ent^etait `a demander pourquoi on l’arr^etait, l’agent, brusquement, finit par lui r'epondre :
— Eh ! parbleu, tu le sauras demain ! C’est pas pour avoir fait des pieds-de-nez aux moineaux, bien s^ur !…
Mon-Gnasse ne devait pas en apprendre davantage ce soir-l`a.
XIV
Bavardages
Nerveusement, M. Havard, qui, ce matin-l`a, se trouvait seul dans son bureau, rangeait les pi`eces `a conviction dans les dossiers, toute la s'erie de documents qui paraissaient encombrer sa table de travail, et qui, en r'ealit'e, venaient de lui servir pour exp'edier une premi`ere enqu^ete fort troublante.
M. Havard s’'etait mis sur son trente et un. Lui qui, d’ordinaire, tra^inait d’un bout de l’ann'ee `a l’autre un chapeau haut de forme caboss'e, un veston 'ecul'e, des pantalons qui faisaient des poches aux genoux, lui qui se moquait pas mal d’^etre bien habill'e, avait, ce matin-l`a, rev^etu un complet tout battant neuf, ce qui l’impressionnait lui-m^eme et parfois le contraignait `a se regarder d’un coup d’oeil furtif dans la glace ornant la chemin'ee.
M. Havard s’'etait ras'e de frais. Il avait soigneusement peign'e ses cheveux, sa raie 'etait parfaitement droite, et ses manchettes elles-m^emes 'etaient immacul'ees.
Cela annoncait quelque chose, et cela l’annoncait d’autant plus qu’il n’'etait pas davantage dans ses habitudes de mettre de l’ordre dans son bureau, de veiller `a ce que rien ne tra^in^at, de prendre enfin grande attention `a ce que la pi`ece f^ut dans un 'etat parfait.
Que se passait-il donc ?
De temps `a autre, le chef de la S^uret'e tirait sa montre, v'erifiait l’heure, puis se frottait les mains.
— Voyons ! murmurait-il. Tout est-il bien ?… Oui. Alors, ils peuvent venir…