Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Et l’examen rapide qu’il passait de lui-m^eme et de ses appartements devait assur'ement le rassurer, car M. Havard se r'epondait `a lui-m^eme avec un air de satisfaction 'etal'e sur son visage :
— Vraiment, tout est tr`es bien !
Au bout de quelques minutes, M. Havard appuyait sur un timbre plac'e sur son bureau.
Imm'ediatement, un huissier parut. C’'etait un vieux bonhomme qui 'etait depuis de longues ann'ees attach'e au cabinet du chef de la S^uret'e. Il ne prenait jamais rien au tragique, 'etait toujours souriant et accomplissait son service avec une n'egligence apparente qui ne l’emp^echait point d’^etre au fond tr`es ponctuel.
L’huissier accourait, tenant, sans m^eme le dissimuler, un journal `a la main. Il 'etait 'evidemment occup'e `a lire lorsque le timbre l’avait arrach'e `a ses loisirs.
Voyant cela, M. Havard ne se retint pas de froncer les sourcils.
— Cuche, jetez-moi ce journal ! ordonnait-il. On n’a pas id'ee de lire comme ca dans les antichambres !… Vous faites bien mal votre service !
L’huissier Cuche, `a cette r'eprimande, ouvrait des yeux extraordinaires. Il n’avait pas l’habitude de recevoir des reproches, et celui-ci, entre autres, lui paraissait compl`etement injustifi'e.
Il y avait bien vingt ans en effet que Cuche occupait la petite table plac'ee dans le couloir, et depuis vingt ans Cuche lisait le journal ostensiblement du matin au soir sans que jamais on e^ut trouv'e ca mal, sans que jamais M. Havard se f^ut formalis'e de la facon dont il occupait son poste.
Le chef de la S^uret'e pourtant continuait :
— Et qu’est-ce que c’est que ce gilet d'eboutonn'e ? En v'erit'e, vous vous moquez du monde ! Ma parole, c’est `a se demander `a quoi vous pensez ! Fermez donc votre gilet, Cuche !
Cuche, de plus en plus abasourdi, donna satisfaction `a M. Havard, ce qui n’'etait pas sans m'erite pour lui, car il poss'edait une grosse bedaine et n’aimait pas `a ^etre serr'e.
M. Havard, cependant, continuait `a d'evisager l’huissier.
— Vous me ferez le plaisir, commandait-il, de mettre en ordre 'egalement votre table dans le couloir. Je lui ai jet'e un coup d’oeil en passant, c’est inimaginable de voir dans quel 'etat vous laissez ca !
Cuche roulait toujours des yeux effar'es, se demandant d’o`u venait l’'enervement de M. Havard. Il hasarda :
— Oui, monsieur le chef, je ferai cela ce soir.
Or, `a ces mots, M. Havard sursauta :
— Ce soir ! disait-il, jamais de la vie ! Vous allez me faire le plaisir de faire ca tout de suite, imm'ediatement… Je veux que dans dix minutes il n’y ait plus rien qui tra^ine. Vous m’avez entendu ?
Cuche avait entendu mais ne comprenait pas.
Il fut brusquement renseign'e.
— Parbleu ! continuait M. Havard, nous n’allons pourtant pas recevoir le ministre de l’int'erieur et le ministre de la Justice dans un service abominable ! J’entends que rien ne cloche !
`A ce moment, le visage de Cuche exprima une soudaine satisfaction.
— Ah bon !… Tr`es bien ! fit-il d’une voix de surprise content'ee. Je comprends, maintenant… Il y a le ministre qui vient… Ah ! parfaitement !
L’exclamation de Cuche 'etait si naturelle que M. Havard lui-m^eme ne put se retenir de sourire.
Cuche 'etait un philosophe. Cuche ne s’'etait pas formalis'e de ses r'eprimandes. Cuche, d'esormais, comprenait `a merveille leur motif et trouvait tout naturel qu’on exige^at de lui des soins et des pr'ecautions auxquels il n’'etait pas habitu'e.
M. Havard conclut tout cela de l’exclamation de l’huissier.
— C’est juste ! reconnut-il avec un sourire et ayant presque l’air de s’excuser. C’est juste, Cuche ! Je ne vous avais pas pr'evenu… Eh bien, le ministre vient ce matin. Il vient m^eme deux ministres.
— Ils auraient bien pu rester chez eux ! r'epondit Cuche. Enfin, soyez tranquille, patron, on va faire le n'ecessaire.
`A ce moment, pr'ecis'ement, M. Havard sursauta. Cuche, pour l’'ecouter, s’'etait appuy'e contre la porte qu’il avait ferm'ee derri`ere lui. Or, on frappait `a cette porte.
— Ah ! nom de Dieu ! grommela le chef de la S^uret'e, je parie que ce sont eux !…
Mais Cuche, qui s’'etait recul'e, livrait passage, non pas `a une excellence, mais tout simplement `a Juve.
Juve, lui aussi, avait fait des frais d’'el'egance. Toutefois, comme Juve 'etait beaucoup plus simple que M. Havard, comme il avait aussi moins besoin de l’appui des ministres, il s’'etait tout bonnement content'e, dans son souci d’'el'egance, de passer un v^etement un peu plus frais que son veston de tous les jours, et d’arborer une cravate neuve, cadeau que lui avait fait Fandor `a l’occasion de sa f^ete.
M. Havard, qui connaissait Juve merveilleusement, jugea les choses d’un coup d’oeil.
— Bonjour, mon cher ! disait-il. On est de corv'ee, ce matin !
— C’est ce que m’a appris votre t'el'egramme, r'epondit Juve. Il para^it que le ministre de l’Int'erieur se rend chez vous ce matin ?
— Pas seulement lui ! r'epondit M. Havard… Le ministre de la Justice vient aussi.
Juve 'ecoutait le chef de la S^uret'e avec un sourire amus'e.
— C’est bien cela ! murmurait-il. Quand on sent un scandale, tout le monde se remue ! Si seulement il y allait de l’int'er^et g'en'eral, chacun resterait bien tranquillement chez soi… Enfin, c’est la nature humaine !
Juve achevait `a peine de parler, il venait tout juste de plier soigneusement ses gants qu’il avait remis dans sa poche lorsque la porte du cabinet de travail s’ouvrait toute grande, et Cuche, raidi dans une attitude d’apparat merveilleuse, annoncait d’une voix de stentor, avec toute l’habilet'e d’un huissier bien styl'e, les personnages qui le suivaient :