Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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— Leurs Excellences messieurs les ministres ! monsieur le ministre de l’int'erieur, monsieur le ministre de la Justice, monsieur le ministre des Finances !
Trois personnages suivaient Cuche, en effet. Celui-ci avait bien fait de les nommer et de les pr'esenter car, `a coup s^ur, quelqu’un de non pr'evenu n’aurait jamais devin'e qu’il s’agissait l`a des plus hauts membres de la nation.
Le ministre de l’int'erieur 'etait un petit homme ayant un peu l’air d’un bourgeois effac'e. On n’aurait pas pr^et'e attention `a lui, on l’e^ut consid'er'e comme un personnage de pi`etre importance, si une flamme extraordinaire n’avait par moment brill'e dans ses yeux.
Cet homme flambait par le regard. Il 'etait impossible, lorsqu’il vous fixait, de ne pas deviner en lui une intelligence extraordinaire, une volont'e tenace, ce que l’on appelle une ^ame et une ^ame de fer.
Derri`ere lui, le ministre de la Justice, un ancien magistrat que les hasards de la politique avaient appel'e au poste de garde des Sceaux, avait la face d'ebonnaire d’un homme encore tout surpris de ses succ`es et s’accoutumant peu `a sa haute fortune.
Il n’en 'etait pas de m^eme du ministre des Finances. Celui-l`a 'etait grand, maigre, cass'e en deux. Il avait un nez busqu'e, une paire de lunettes 'epaisses chevauchait sur ses yeux, ses doigts 'etaient tach'es d’encre. On le disait tr`es travailleur, c’'etait une autorit'e dans le monde des finances, mais il n’avait aucune habilet'e pour en imposer et, d’ailleurs, ne cherchait pas `a tenir figure dans les r'eunions 'el'egantes.
M. Havard, cependant, s’'etait 'elanc'e au-devant de ses visiteurs. Il multipliait les courbettes, avancait des chaises, distribuait `a tout propos, et par moments hors de propos, de pompeuses appellations.
— Mais oui, monsieur le ministre… Mais certainement, monsieur le ministre… Que monsieur le ministre veuille bien faire attention…
Il avait tout le z`ele d’un fonctionnaire dont le m'erite n’aurait aucune valeur s’il ne pouvait pas s’appuyer sur un peu de faveur personnelle.
Les trois visiteurs, cependant, avaient, d’un m^eme coup d’oeil d'evisag'e Juve qui s’'etait simplement inclin'e `a leur entr'ee.
Le ministre de la Justice ne connaissait pas le policier. Il en 'etait de m^eme pour le ministre des Finances. Tout au contraire, le ministre de l’int'erieur marcha cordialement vers lui, lui tendant la main avec une simplicit'e qui n’'etait pas sans gr^ace.
— Tiens, voil`a Juve ! faisait-il. Enchant'e de vous voir… Vous allez travailler avec nous ?
Le policier, nullement troubl'e par la familiarit'e du ministre, ce qui d’ailleurs stup'efiait M. Havard, qui se sentait, lui, beaucoup moins `a l’aise, consulta tranquillement sa montre.
— Messieurs, d'eclarait-il, je puis facilement vous consacrer trois quarts d’heure. Mais `a onze heures, il faudra que je vous quitte. Je suis convoqu'e pour l’instruction, je dois aller assister `a un interrogatoire… pardon, `a une d'eposition de M. L'eon Drapier !
Alors le ministre de l’int'erieur se tourna vers M. Havard :
— Eh bien, faisait-il, puisque Juve est press'e et que nous-m^eme nous n’avons pas grand temps, proc'edons imm'ediatement.
Le ministre venait de prendre une chaise. Assis, les mains crois'ees sur une petite table qu’il avait devant lui, il n’avait plus rien de l’homme timide et effac'e qu’il 'etait un instant avant. Son regard dominait la s'eance, ses gestes en imposaient.
— Mes coll`egues et moi, continua le ministre de l’int'erieur, s’adressant `a M. Havard et par moments se tournant un peu vers Juve, nous sommes venus vous voir ce matin, messieurs, en raison d’une pr'eoccupation particuli`erement grave. Vous n’ignorez pas, n’est-ce pas, ni l’un ni l’autre, le redoutable scandale qu’am`enerait une accusation infamante port'ee contre M. L'eon Drapier, l’actuel directeur de la Monnaie ?
Juve, `a ce moment, ne put s’emp^echer de sourire.
— Nous y voil`a, pensait le policier. Le gouvernement a le trac du scandale !
Le ministre de l’int'erieur continuait cependant :
— D’autre part, monsieur Havard, les responsabilit'es minist'erielles, le souci de faire notre devoir ne peuvent nous permettre d’'etouffer une affaire, si r'eellement cette affaire m'erite qu’on lui donne une certaine ampleur. Il y a l`a deux int'er^ets contraires qui se heurtent et, naturellement, mon coll`egue de la Justice sera de mon avis, c’est l’int'er^et sup'erieur de l’'equit'e qui doit l’emporter sans d'ebat.
— Tirade de tribune ! pensa Juve.
Le ministre de l’int'erieur, cependant, ces d'eclarations faites, continuait, fixant cette fois tr`es franchement M. Havard :
— D’autre part, vous nous avez signal'e, monsieur Havard, depuis quelque temps, que l’on 'emettait r'eguli`erement dans le public d’extraordinaires louis d’or qui n’'etaient pas sans nous inqui'eter un peu. Mon coll`egue des Finances m’a dit, il est vrai, que ces louis d’or n’'etaient pas faux, qu’ils 'etaient `a coup s^ur parfaitement titr'es, mais que, cependant, leur mise en circulation constituait une irr'egularit'e fort grave. Ainsi que vous l’aviez pressenti, monsieur Havard, ces louis d’or sont, en quelque sorte, faux sans l’^etre. Ils sont, en effet, d’une frappe qui n’est pas compl`etement achev'ee, ils appartiennent, pour tout dire, `a une s'erie qui, en cours de fabrication `a la Monnaie, ne devait pas ^etre distribu'ee au public avant une p'eriode d’au moins un an…
Le ministre de l’Int'erieur se tournait `a ce moment vers Juve et l’interrogeait :
— Vous saviez cela, n’est-ce pas ? M. Havard vous a tenu au courant ?
— Parfaitement, r'epondit Juve.
Et, charitable, le policier n’ajoutait pas qu’il le savait d’autant mieux que c’'etait lui qui avait averti M. Havard qui, sans doute, s’'etait targu'e de la d'ecouverte aupr`es du gouvernement.
Le ministre de l’int'erieur poursuivait, sur le m^eme ton dont il aurait d'evelopp'e un rapport `a la tribune du Parlement :
— Ces louis d’or v'eritables, mis en circulation `a une date qui ne correspond point avec les n'ecessit'es budg'etaires, nous inqui'et`erent naturellement. J’en parlai `a mon coll`egue des Finances qui, lui-m^eme, interrogea L'eon Drapier et cela il y a tout juste trois jours, dans mon propre cabinet.
M. Havard hochait la t^ete tr`es int'eress'e, il osa se tourner vers le ministre et demanda :
— Alors, monsieur le ministre, alors l’affaire ne s’est pas 'eclaircie ?