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Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Le garcon de banque parut ne pas comprendre. Malgr'e lui, ses yeux se refermaient comme l’avait annonc'e l’interne, la torpeur le r'eenvahissait. Non. Il allait se souvenir.

— La bataille… L’affreuse bataille… Mon sac d'egringole… De l’ouate sur mon visage… Ah mon Dieu ! En bas, attach'e…

Il b'egaya encore quelque chose, mais, bien que Juve f^ut pench'e sur lui, le policier ne put saisir ses paroles indistinctes.

D’ailleurs, il avait compris. Le front soucieux, l’oeil mauvais, le geste nerveux, Juve se releva. Il attira M. de Parcelac, M e Masson et l’interne dans un angle de la petite pi`ece.

— Il ne faut pas fatiguer ces malheureux, dit-il, et d’ailleurs, j’en sais assez pour l’instant.

Tourn'e vers l’interne, Juve ajouta :

— Quand s’'eveilleront-ils tout `a fait ?

— Cet apr`es-midi, vers les six heures.

— Bien, je passerai `a ce moment.

Juve entra^ina hors de la chambre les assistants qui le consid'eraient effar'es.

— Il n’y a pas de temps `a perdre, disait Juve 'enigmatiquement. Monsieur de Parcelac, rentrez au Comptoir National, interrogez les garcons de banque qui accompagnaient vos deux malheureux employ'es. Vous, monsieur Masson, ne vous tourmentez pas trop, tout cela s’'eclaircira, je pense. Oui, vraiment, il faut se f'eliciter que l’aventure d’avant-hier n’ait pas 'et'e plus tragique !

Juve, tout en parlant d’une voix blanche, tr`es 'emue, traversait `a grands pas les cours de l’H^otel-Dieu et gagnait la sortie :

— Pourquoi allez-vous si vite maintenant ? O`u courez-vous ? demanda Parcelac.

— Excusez-moi, je ne peux pas vous renseigner en ce moment. Vous dire ce que je pense serait fou… Non, non, c’est impossible ! N’insistez pas, mais je vous verrai ce soir.

Juve tendit la main et prit cong'e du directeur du Comptoir National.

Un taxi-auto passait, le policier le h'ela :

— `A la gare Saint-Lazare, ordonna-t-il, et vite, vite ! Il faut que je prenne le train de Vernon `a onze heures sept.

— Un coup pareil, se disait Juve, il n’y a que lui pour oser le tenter.

Puis, quelques instants apr`es il ajoutait :

— Mais non, je deviens fou, c’est impossible…

23 – FANT^OMAS SE R'EV`ELE

Tandis que Juve se d'ebattait ainsi depuis deux jours au milieu d’alternatives de doutes et d’angoissants probl`emes, que faisait Fandor ?

D'eguis'e en domestique `a son tour, il avait pris le train pour Vernon.

Il descendit `a la petite station et, m'elancolique, t^ete baiss'ee, les mains derri`ere le dos, la cigarette aux l`evres, Fandor avancait `a travers les champs, constatant que plus il allait, plus la terre se faisait boueuse, plus ses souliers jaunes se tachaient, s’'ecorchaient.

« Et allez donc, se disait le journaliste, Juve est d'ecid'ement le plus intelligent des amis, le plus gracieux des policiers, le plus excellent des fumistes `a froid. En ce moment il y a du soleil, mais tout `a l’heure, il va pleuvoir `a verse. Ca ne fait rien. Avancons toujours.

»

Fandor tirait derri`ere lui d’'enormes mottes de terre glaise accroch'ees `a ses souliers.

— Avec ca que le pays est charmant, murmurait-il, tranquille comme pas un et que, de plus, je suis parfaitement renseign'e sur les motifs qui ont voulu que Juve m’envoie ici.

Il s’avancait encore de quelques pas, en silence, puis s’arr^eta pour souffler.

— Ils sont piteux, mes godillots jaunes, remarquait-il, absolument piteux. C’est au meilleur compte trente francs de fichus. Je me les ferai rembourser par Juve.

Cette constatation faite, Fandor se remit en marche, ajoutant en riant :

— Il est vrai que maintenant, Juve est domestique, et que, par cons'equent, je n’ai pas `a me g^ener. Si mon pantalon est crott'e ce soir, je prierai tout simplement cet excellent larbin de me donner un coup de brosse num'ero un, et au besoin je l’engueulerai.

Sur ce, Fandor qui avancait toujours dans le champ `a la terre grasse, s’arr^eta une seconde fois :

— Fichu pays, maugr'eait-il, ca ne vaut pas l’asphalte du boulevard.

L’horizon 'etait form'e d’une s'erie de coteaux bleu^atres au bas desquels une rang'ee de peupliers droits et minces laissait deviner le passage de la Seine. `A gauche, se trouvaient les toits rouge^atres ou gris en tuile ou ardoise de Vernon. `A droite, c’'etait l’infini de la campagne d'eserte.

— 'Epatant, constata Fandor. Si j’'etais peintre, je peindrais, si j’'etais dessinateur, je dessinerais, si j’'etais photographe, je photographierais, mais comme je suis simplement fumeur, je vais tout simplement fumer.

Fandor tira de sa poche un 'etui `a cigarettes, y choisit un mince rouleau de tabac qu’il alluma, et reprenant sa marche :

— S’agit de s’orienter, murmura-t-il, et d’imiter `a moi tout seul les manoeuvres savantes d’un corps d’arm'ee en campagne.

Un instant il se tut, puis il reprit, railleur :

— Premi`ere manoeuvre, rassemblement. Ca va, je suis rassembl'e. Ainsi, un rassemblement, cela suppose un but quelconque. La distribution des ordres, voyons, quels sont les ordres ?

Fandor qui semblait faire un violent effort de m'emoire, 'eclata de rire tout seul :

— Ca, songeait-il, ca n’est pas difficile de s’en souvenir ! Les ordres sont simples, clairs, nets et pr'ecis, Juve m’a dit sans aucune c'er'emonie :

« Fous le camp `a Vernon, surveille les Ricard, embo^ite-leur le pas au besoin, il faut 'eviter qu’ils se d'ebinent. »

En prononcant ces paroles, Fandor froncait les sourcils.

— En effet, reprit-il, c’est clair, net et pr'ecis, mais c’est bougrement obscur tout de m^eme, et vague en diable. Pourquoi Juve est-il venu me dire cela habill'e en domestique ? Quel doit ^etre au juste mon r^ole ? Et puis pourquoi faut-il surveiller les Ricard ? Ils ne sont plus coupables de rien, en somme, ces bonnes gens-l`a, puisque l’hypoth`ese de Juve 'etait la bonne, puisque l’oncle Baraban, `a cette heure, est retrouv'e, bien retrouv'e, et pas plus mort que moi.

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