Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
Шрифт:
Fandor r'efl'echissait et, ne trouvant pas d’explication au probl`eme qui l’intriguait, il finit par hausser les 'epaules.
— Apr`es tout je m’en fiche, conclut le jeune homme, je n’ai `a m’occuper que de ma consigne, et de rien autre. Il para^it que je dois surveiller les Ricard. Surveillons-les. J’ai ordre de les emp^echer de se d'ebiner, donc, s’ils veulent se d'ebiner, je les en emp^echerai.
Ces r'esolutions arr^et'ees, Fandor chercha comment les mettre `a ex'ecution.
— Autre manoeuvre, corps d’arm'ee en campagne, se murmura-t-il. Il convient qu’en pr'esence de l’ennemi, les troupes s’efforcent de se dissimuler. Pour cela, elles d'efileront derri`ere les accidents de terrain. Donc, d'efilons-nous.
Fandor, en m^eme temps qu’il parlait, se penchait, et, avec de grandes pr'ecautions, profitant de l’abri d’une meule 'elev'ee `a quelque distance, marchant dans son prolongement, avanca encore.
— La maison des Ricard, dit-il, c’est la baraque que je vois l`a-bas, `a cent m`etres devant moi. J’ai eu une riche id'ee, par parenth`eses, de ne pas aller tout b^etement me poster devant elle. On m’aurait remarqu'e. J’ai tr`es bien fait de passer `a travers champs et d’arriver par-derri`ere, d’autant que ce petit bois va m’offrir, `a moins de vingt m`etres, une cachette de qualit'e sup'erieure.
Les accidents de terrain 'etaient, en effet, favorables au dessein de Fandor, et le journaliste, habile comme d’ordinaire, en profitait `a merveille.
Fandor se coulait sans faire de bruit entre des haies, des arbres, de petits sentiers. Il atteignit sans encombre le bouquet d’arbres dont il avait, de loin, d'ecid'e de se faire un poste d’observation.
Fandor n’avait point menti en disant que les instructions de Juve, si nettes et si pr'ecises qu’elles fussent, comportaient cependant d’'etranges obscurit'es.
Surveiller les Ricard, c’'etait bien ! Les emp^echer de fuir, c’'etait plus d'elicat.
— Le cas 'ech'eant, pensait Fandor, je me demande ce que je ferai. En somme, je n’aurais aucun droit d’emp^echer ces gens de partir en Belgique, si la fantaisie leur en prenait.
Mais Fandor, malgr'e tout, se rassura `a ces mots.
— Bah, songeait-il encore, si Juve m’a envoy'e ici, c’est 'evidemment qu’il redoute ou qu’il esp`ere quelque chose d’important et de grave. S’il ne m’a pas donn'e d’explications plus d'etaill'ees, c’est qu’il estime que les circonstances me dicteront clairement la conduite `a suivre. Dans ces conditions, j’aurais tort de m’inqui'eter.
Fandor s’installa dans le petit bois, le plus confortablement qu’il put. Il commenca par d'eployer `a terre un journal, posa son chapeau sur ce journal, s’'etendit sur la mousse, tira des allumettes, des cigarettes et, tranquillement, en fumant, en jouissant de la grande paix de la campagne, commenca `a monter la garde derri`ere la maison des Ricard.
— Ce que je voudrais savoir, songeait-il, c’est le temps que je vais avoir `a passer ici. M’en irai-je `a midi, `a cinq heures, `a sept heures, `a minuit ? Sacr'e bon sang ! J’esp`ere tout de m^eme que Juve viendra me relever un de ces jours, sans quoi je prendrai racine. D’autant que la mousse est joliment mouill'ee et que j’ai quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour faire, le mois prochain, un usage immod'er'e de pastilles contre le rhume.
Fandor contemplait la maison des Ricard tout en parlant, mais bient^ot il se tut.
Une fen^etre de la maisonnette s’'etait ouverte, et le jeune homme apercevait Alice Ricard qui, ne se sachant point de voisin et ne devinant pas qu’un observateur la surveillait, s’appr^etait `a faire sa toilette en l'eger d'eshabill'e.
— Ma foi, pensa le journaliste, tout `a l’heure je regrettais de ne pas ^etre peintre paysagiste. Je vais maintenant d'eplorer de ne pas ^etre portraitiste. Oh, oh ! Mais de mieux en mieux…
Fandor lorgnait avec admiration et amusement aussi, la jolie Alice Ricard qui, maintenant en cache-corset, les bras nus, refaisait sa coiffure, gracieuse et s'eduisante, dans une pose toute naturelle.
— Pas mal, l’enfant, murmurait Fandor. Je lui dirais bien deux mots, moi, s’il n’y avait pas le vieux Baraban.
Car, dans l’esprit de Fandor, depuis les d'ecouvertes faites au Crocodile, ce n’'etait point Fernand Ricard qui pouvait ^etre un obstacle `a une amourette avec Alice. Fernand Ricard avait, au moins en apparence, toutes les caract'eristiques du mari complaisant.
H'elas, pendant que Fandor faisait ses r'eflexions, tranquillement assis sur l’herbe, un orage d’une violence inou"ie 'eclatait.
— Nom de nom, grogna le jeune homme, il n’y a pas moyen de rester l`a, je vais ^etre tremp'e.
Fandor jeta des regards d'esesp'er'es autour de lui, et soudain, son visage s’illumina :
— J’ai de la veine tout de m^eme, soupira-t-il.
Le journaliste venait d’apercevoir, dress'ee en face de la villa des Ricard, une masure, fort d'elabr'ee, qui parfois servait de refuge aux chasseurs.
En deux bonds, Fandor y fut install'e. Il avait la chance inou"ie de retrouver dans un coin une cruche d’eau et quelques provisions.
— Ah ben vrai, s’'ecria le journaliste en dansant de joie, voil`a l’endroit r^ev'e pour y monter la garde. Si apr`es cela, les types d’en face se d'ebinent sans que je les voie, j’en veux des prunes.
Pauvre Fandor. Il avait compt'e sans sa triomphante jeunesse ! Il est beau de faire le guet, mais les forces humaines ont des limites, et, lorsque apr`es avoir veill'e une nuit sans fermer l’oeil, Fandor voyait `a l’horizon, se lever le soleil, la fatigue le terrassa. Il resta cependant 'eveill'e une partie de la journ'ee, mais quand la deuxi`eme nuit de surveillance commenca, les paupi`eres de l’ami de Juve, doucement, se ferm`erent peu `a peu, le sommeil le rendit insensible et parfaitement indiff'erent `a ce que faisaient les Ricard.
***
— Zut !
Fandor venait de se r'eveiller.
— Ah mince alors, quel imb'ecile je fais, quel cr'etin !
Un bruit insolite avait fait tressaillir le journaliste, qui, depuis pr`es de dix heures cons'ecutives, 'etait dans les bras de Morph'ee.
Il faisait d'esormais grand jour, le soleil m^eme 'etait assez bas `a l’horizon, annoncant le cr'epuscule.
Fandor se leva brusquement sur son s'eant et s’'ecria, en s’'elancant vers la porte de sa cabane :