L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Allons, la 433, d'ep^echez-vous, ou je vous prive de cantine. Voulez-vous vous taire, la 73 ? On n’a jamais vu une bavarde comme vous. Pas de vin `a midi si ca continue. Allons, allons, pressons.
Les escaliers qui menaient du premier 'etage aux pr'eaux affect'es `a la promenade des d'etenues s’emplissaient de la foule des condamn'ees que l’on conduisait `a la r'ecr'eation. D’ailleurs, les mesures administratives qui veulent, de facon absolue, que les d'etenues en pr'evention ne soient m^el'ees aux d'etenues accomplissant une peine, n’'etaient pas observ'ees. La mauvaise disposition de Saint-Lazare, un b^atiment archa"ique, nullement fait pour servir de prison, ne permettait pas de respecter la Loi.
Les gardiennes pressaient leur monde sans la moindre piti'e. Le r`eglement pr'evoyait, en effet, que chaque matin et chaque apr`es-midi, par mesure d’hygi`ene, pour mieux r'esister `a l’'etroitesse de ces murs o`u l’atmosph`ere empuantie 'etait asphyxiante, irrespirable, les d'etenues seraient conduites toutes ensemble, dans la grande cour de la prison, o`u elles devraient se promener, par rangs, les unes derri`ere les autres, en rond, de droite `a gauche. Dans la prison, en l’argot familier de la maison, cela s’appelait
— Allez, au trot, et vivement.
Parvenues dans la cour, avec une remarquable docilit'e, les d'etenues se mettaient en rang, et commencaient pr'ecis'ement la « queue de rat ».
De distance en distance, dans la cour, il y avait, immobiles, les gardiennes. Sur le mur d’enceinte, en face, un mur tr`es large constituant un v'eritable chemin de ronde, des gardiens se tenaient debout, toujours pr^ets `a intervenir. Mais, ce jour-l`a, la « queue de rat » ne semblait pas devoir ^etre marqu'ee du plus petit incident. Tr`es sages, les d'etenues, six par six, effectuaient leurs rondes circulaires. Seule, une vieille femme grimacante criait qu’elle allait avoir sa crise. Cette vieille femme n’'etait autre que l’extraordinaire cr'eature qui, le jour m^eme o`u Fandor, en paralytique, `a la porte de la prison, avait rencontr'e Riquet, avait jet'e aux deux jeunes gens un regard subtil et satisfait. Elle semblait avoir, cette d'etenue, le plus d'etestable des caract`eres. Elle avait commenc'e par affirmer aux gardiennes qu’elle ne ferait pas la « queue de rat », qu’elle 'etait trop vieille pour se soumettre `a une promenade si rapide. Puis, sur les injonctions de la gardienne, elle s’'etait soumise assez facilement, mais avait alors exig'e qu’une d'etenue lui donn^at le bras, et elle s’'etait, de la sorte, empar'ee d’autorit'e du bras droit d’une d'etenue qui n’'etait autre que la malheureuse H'el`ene.
La prisonni`ere qui aidait la vieille femme `a accomplir la sempiternelle ronde dans la cour de la prison, 'etait depuis quelques jours seulement soumise au r'egime ordinaire. Arr^et'ee, alors qu’elle 'etait entre la vie et la mort, `a la suite de sa tentative de suicide `a bord du sous-marin l’OEuf, `a Cherbourg, H'el`ene sortait de l’infirmerie. Un matin, elle s’'etait r'eveill'ee hors de danger. D`es lors, la convalescence n’avait pas 'et'e longue et, tr`es rapidement, gr^ace `a sa constitution robuste, elle s’'etait trouv'ee en 'etat de quitter l’infirmerie pour ^etre mise en cellule.
Quelques minutes avant la promenade, la fille de Fant^omas avait 'et'e avertie qu’elle serait dor'enavant non plus astreinte aux travaux des ateliers, mais bien `a cette infirmerie dont elle 'etait sortie la veille, et qu’elle avait quitt'ee avec chagrin.
La gardienne-chef lui avait dit :
— Les infirmi`eres vous ont appr'eci'ee, ma petite, il para^it que vous ^etes assez sage, vous retournerez `a l’infirmerie, vous y aiderez `a soigner les autres.
H'el`ene s’'etait bien gard'ee de refuser cette faveur. Malheureusement, le premier b'en'efice moral qu’elle tirait de son nouveau profit, d’auxiliaire `a l’infirmerie, 'etait cette corv'ee. La gardienne l’appelait, en effet, pour donner le bras `a l’'epileptique :
— Venez un peu ici, ma petite, et faites-moi marcher cette vieille rousp'eteuse-l`a. Allez hop, les jeunes doivent aider les vieilles.
Tandis que la
— Tiens, regardez donc. Il est fou ce bonhomme-l`a, il va se casser les reins.
H'el`ene leva la t^ete, regarda dans la direction que lui indiquait sa compagne : sur trois c^ot'es, les pr'eaux 'etaient born'es par les b^atiments v'etustes et crasseux de la prison. Sur une face enfin, il y avait une 'echapp'ee qui permettait de voir le c^ot'e d’une des maisons faisant bordure `a la rue du Faubourg-Saint-Denis. Bien entendu, il n’y avait l`a nulle fen^etre d’o`u l’on p^ut apercevoir la prison. Le mur plein montait du sol jusqu’au toit, sans saillie, une servitude avait d^u d'efendre au propri'etaire d’y faire percer des jours de souffrance. Or, c’'etait le long de cette muraille que la vieille femme venait d’apercevoir celui qu’elle d'esignait `a l’attention de sa compagne.
C’'etait un jeune ouvrier. Apparu sur le toit de la maison, il avait d’abord consid'er'e avec curiosit'e la promenade des prisonni`eres, puis s’'etait remis `a son travail. Il avait nou'e une longue corde `a une chemin'ee, l’avait laiss'ee tomber dans le vide et, maintenant, suspendu `a cette corde lisse, il se laissait glisser, vertigineux et souple, n’ayant nullement l’air de se douter que si jamais l’une de ses mains l^achait prise, il ferait une chute effroyable. Les d'etenues, `a leur tour, avaient apercu l’ouvrier. Elles hurlaient `a l’adresse de l’imprudent des plaisanteries obsc`enes.
— Viens donc, mon joli.
— C’est-y pour venir voir ta m^ome que tu descends par l`a ?
Les gardiennes allaient interrompre ce vacarme, en faisant rentrer toutes les d'etenues dans le couloir, lorsqu’il se produisit quelque chose d’effroyable :
Parvenu sans encombre aux deux tiers de sa descente, le plombier, peut-^etre 'etourdi par le bruit qu’il entendait, peut-^etre `a bout de forces, s’arr^eta de glisser. On le vit entortiller l’une de ses jambes dans la corde, puis se balancer et, soudain, l’horrible vision du corps se d'etachant de la corde, tournoyant dans l’espace, rebondissant sur le mur d’enceinte et venant s’'ecraser avec un bruit mou sur la terrasse du pr'eau.
Les gardiennes s’affolant, firent rentrer les prisonni`eres `a coups de poings. Pendant quelques instants, le malheureux ouvrier restait l`a, `a l’endroit m^eme o`u il 'etait tomb'e, sans un mouvement, mort peut-^etre.
Les d'etenues, pourtant, avaient `a peine disparu dans les couloirs de la prison, bouscul'ees par les gardiennes impitoyables qui s’affairaient surtout `a la pens'ee des responsabilit'es qu’elles pouvaient encourir, qu’`a leur tour, les gardiens intervenaient.
On se pr'ecipita vers le malheureux toujours inerte, on le souleva. C’'etait un tout jeune homme, il avait la figure intelligente, des mains fines, il semblait `a la fois fr^ele et bien d'ecoupl'e :
— Il est mort ?
— Ah, il n’en vaut gu`ere mieux. Emportez-le, emportez-le.
Le bless'e fut soulev'e par des bras vigoureux, le cort`ege s’achemina vers l’infirmerie.
***
— Faites-lui respirer des sels, faites-lui une injection de coca"ine, avait d’abord ordonn'e le praticien.
Sous les rem`edes 'energiques, le bless'e avait ouvert les yeux, mais, chose curieuse, il n’avait prononc'e aucune parole. Aucun geste. Seul, `a ses yeux ouverts, dont les prunelles 'etaient fixes, on avait pu deviner que son 'evanouissement s’'etait enfin dissip'e.