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L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Les deux femmes, quelques instants, se regard`erent en silence et Mme Granjeard, ne pouvait s’imaginer qu’elle avait affaire `a une criminelle, tant l’apparence de la prisonni`ere d'ementait l’accusation port'ee contre elle. C’'etait une jeune fille `a l’air 'energique, mais honn^ete, doux et convenable, elle 'etait jolie et d’une fra^icheur exquise qui faisait contraste avec la p^aleur de toutes les femmes que l’on voyait aller et venir dans la prison. Cette prisonni`ere n’'etait autre qu’H'el`ene, que les incidents de la nuit pr'ec'edente avaient fait ramener dans la cellule. La jeune fille se rendait compte que d'esormais elle allait ^etre l’objet d’une surveillance renforc'ee. Mais elle n’en avait cure. Fandor ne lui avait-il pas donn'e l’esp'erance la plus belle qu’elle p^ut imaginer dans la situation o`u elle se trouvait : l’esp'erance de la libert'e. H'el`ene avait 'eprouv'e une certaine surprise `a la vue de sa nouvelle compagne. Elle n’avait pas l’aspect, ni l’allure des habituelles clientes de Saint-Lazare. Les deux femmes, instinctivement attir'ees l’une vers l’autre, s’'etaient mises `a causer, mais, brusquement, H'el`ene avait eu un geste de recul, un mouvement d’horreur instinctif, lorsque Mme Granjeard lui avait annonc'e l’inculpation terrible qui pesait sur elle :

— Je suis innocente, avait d'eclar'e la veuve du marchand de fer.

Mais ce r'ecit et ce nom avaient 'eveill'e dans l’esprit d’H'el`ene toute une s'erie de souvenirs.

— Granjeard, r'ep'eta-t-elle machinalement, comme si elle pensait tout haut, Didier Granjeard. Votre fils, avait, m’avez-vous dit, une ma^itresse, celle-ci ne s’appelait-elle pas Blanche Perrier ?

— Si.

Mais, `a ce moment, la porte de la cellule s’ouvrit et la conversation fut interrompue. On venait prendre Mme Granjeard, demand'ee au greffe :

— Le juge d’instruction vous demande. Vous allez vous rendre au palais. Attendez ici, la voiture vous conduira, `a moins que vous ne sollicitiez l’autorisation d’^etre conduite, avec deux agents, dans un fiacre.

— Peu m’importe, r'epliqua Mme Granjeard, dont le coeur battait `a rompre, car d'esormais, elle le sentait, les minutes 'etaient compt'ees jusqu’`a sa comparution devant le magistrat qui allait d'ecider de son sort.

***

M. Mourier, juge d’instruction, venait d’achever un premier interrogatoire relatif `a l’affaire myst'erieuse dont le procureur g'en'eral l’avait charg'e.

M. Mourier 'etait l’homme qui passait son temps `a courir apr`es les coups de th'e^atre et qui n’'etait jamais si content que lorsque de beaux aveux ou de belles accusations spontan'ees se produisaient dans son cabinet, au moment o`u l’on s’y attendait le moins.

Le magistrat, pour 'eviter aux pr'evenus la pr'esence d’un d'efenseur pendant l’instruction, se gardait donc bien d’inculper d’avance les gens qu’il avait formellement l’intention d’arr^eter `a un moment donn'e. Il leur laissait croire, le plus longtemps possible, qu’il les consid'erait simplement comme des t'emoins et c’'etait lorsqu’il n’y avait plus moyen de faire autrement qu’il transformait son mandat de comparution en mandat d’arr^et.

M. Mourier interrogeait au hasard et `a sa fantaisie les t'emoins ou les pr'evenus et c’est ainsi que la premi`ere personne qui avait 'et'e entendue par le magistrat n’'etait autre que Blanche Perrier, la ma^itresse de l’infortun'e Didier.

La malheureuse femme, depuis quarante-huit heures qu’elle avait appris la mort de son amant, avait travers'e les 'emotions les plus diverses. Si d’obligeants voisins ne l’avaient retenue, lorsqu’elle avait recu la fatale nouvelle, elle se serait certainement jet'ee par la fen^etre. Mais, emp^ech'ee de donner suite `a son projet d'esesp'er'e, elle s’'etait ressaisie. Elle avait compris qu’elle se devait `a son fils, qu’il y avait son devoir de m`ere `a remplir. Elle avait repris courage. D`es lors, Blanche Perrier 'etait transform'ee et si dans son coeur elle nourrissait un extr^eme chagrin, elle n’en avait pas moins un but dans la vie : venger son amant et d'ecouvrir les assassins de celui-ci. Aussi, 'etait-ce avec joie que Blanche Perrier s’'etait rendue `a l’appel du juge d’instruction. Et, bien qu’elle ne s^ut rien des circonstances dans lesquelles l’infortun'e Didier avait trouv'e la mort, elle avait racont'e au magistrat les deux ann'ees d’amour qu’elle avait v'ecues avec lui, les projets qu’ils avaient form'es l’un et l’autre et le brusque d'esespoir dans lequel ils avaient 'et'e plong'es lorsque le p`ere Granjeard 'etait mort et que, d`es le lendemain, Didier avait eu `a discuter de ses int'er^ets p'ecuniaires avec sa famille. Longuement, le juge l’avait fait parler, lui avait demand'e de pr'eciser, autant qu’elle le pouvait, la nature des relations qui existaient entre Didier et les autres membres de la famille. Puis, au bout d’un heure, enfin, le magistrat avait renvoy'e Blanche, en lui disant de se tenir `a sa disposition et de s’attendre `a ^etre un jour prochain `a nouveau convoqu'ee.

— Ah, Monsieur, s’'etait 'ecri'ee la jeune femme, je vous en conjure, faites l’impossible pour retrouver les meurtriers de mon pauvre Didier.

Blanche descendait lentement l’escalier qui, du cabinet du juge d’instruction m`ene `a la sortie du palais de Justice, lorsqu’un homme s’approcha d’elle et murmura :

— Blanche Perrier, vous ^etes bien Madame Blanche Perrier ?

— Oui, Monsieur.

C’'etait un homme d’une quarantaine d’ann'ees, enti`erement ras'e, v^etu de noir, `a chapeau mou, dont le bord assez large, dissimulait sous une ligne d’ombre, l’'eclat percant du regard.

— Je suis inspecteur de la S^uret'e, Madame, dit-il, et j’ai un renseignement `a vous donner. ^Etes-vous au courant d’un certain testament r'edig'e par M. Didier Granjeard et qui vous concernait ?

— Ma foi non.

— Ce testament vous rendra riche, tr`es riche.

— Je ne comprends pas.

— C’est pourtant clair. D’ailleurs, je vous en ai assez dit pour le moment.

L’homme disparut. Blanche essaya de le rejoindre. En vain.

Ne fallait-il pas mettre le juge au courant ?

— Non, se dit Blanche, ce n’est pas la peine d’embrouiller les choses.

Puis, elle poussa un soupir en se disant :

— D’ailleurs, tous ces gens-l`a me font peur.

Pendant ce temps-l`a, une sc`ene dramatique se d'eroulait dans le cabinet de M. Mourier. Le magistrat avait recu en m^eme temps les deux fils Granjeard et leur m`ere. Tout de suite, il 'etait entr'e dans le vif du sujet, en disant aux pr'evenus :

— Maintenant, venons-en au crime. Voyons, c’est le lundi apr`es-midi, deux jours apr`es l’enterrement de M. Granjeard p`ere, que vous, Madame, et vous, Messieurs, avez eu avec Didier une violente discussion. On vous repr'esente comme des gens d’argent, inaccessibles `a tout sentiment de coeur ou d’indulgence. Vous seriez ^apres au gain, durs avec vos ouvriers, s'ev`eres pour vous-m^emes d’ailleurs, capables des actes les plus inattendus, et m^eme d’horribles forfaits, dit-on.

`A ces mots, la m`ere et les deux fils jaillirent comme mus par un m^eme ressort :

— C’est indigne, Monsieur.

— Vous 'ecoutez les jaloux !

— Nous ne sommes pas des assassins !

Le magistrat s’efforca de les calmer.

— Madame Granjeard, fit-il, vous n’ignorez pas que lorsqu’un magistrat recherche les auteurs d’un crime, il doit, par principe, s’interroger sur le mobile du crime qui a 'et'e commis. Vous qui connaissiez votre fils, qui 'etiez au courant de ses relations, n’avez-vous pas song'e, depuis que vous ^etes arr^et'ee, `a quelqu’un qui aurait pu ^etre la cause directe ou indirecte de sa mort ? Ne soupconnez-vous personne qui aurait pu avoir int'er^et `a la disparition de votre fils ?

— J’ai beaucoup r'efl'echi en effet, Monsieur, `a l’'epouvantable malheur qui nous frappe et j’ai en effet une id'ee, dit Mme Granjeard.

— Laquelle, Madame ?

— Je vous jure, que c’est ma conviction absolue que je vais vous exprimer. Je suis innocente du crime dont on m’accuse. Mes fils aussi. La coupable ne peut ^etre que la ma^itresse de Didier. Elle ou quelqu’un de son entourage. C’est cette Blanche Perrier qui avait int'er^et `a la mort de mon fils.

Paul prit la parole :

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