L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Dix heures du soir `a l’infirmerie. H'el`ene ouvre la fen^etre :
— Personne dans le pr'eau.
— Tant mieux dit Fandor.
Qu’ont d'ecid'e ces deux ^etres 'etranges, H'el`ene et Fandor, qui depuis tant d’ann'ees s’adorent, en voyant sans cesse de nouveaux obstacles se dresser entre eux ? Quels formidables projets ont-ils ourdis ? De quoi sont-ils convenus ? `A peine H'el`ene a-t-elle affirm'e que les pr'eaux sont d'eserts, Fandor se l`eve.
Tendrement, ardemment, il d'epose sur le front de la jeune fille un baiser br^ulant :
— Donc, c’est bien entendu ? Vous savez ce que vous aurez `a faire, H'el`ene, et vous serez vaillante, comme d’habitude ? Maintenant, je m’en vais, je me sauve, c’est le mieux. Vous direz, si demain on vous interroge, que vous vous ^etes assoupie, puis, qu’`a votre r'eveil, je n’'etais plus l`a. D’ailleurs, dans un quart d’heure, vous allez, en appelant `a l’aide, faire constater ma disparition. Faites le plus de chahut possible. Je me moque pas mal que l’on me recherche, du moment que cela ne vous cause aucun ennui. Et maintenant, adieu.
Un nouveau baiser s’'eternise, puis, d'elib'er'ement, Fandor enjambe la fen^etre de l’infirmerie et, avec son incroyable souplesse, saute dans la cour.
H'el`ene ne s’'etait pas tromp'ee, les pr'eaux 'etaient d'eserts, Fandor les traversa rapidement, il se dirigea vers le mur d’enceinte, sur lequel le matin m^eme il 'etait tomb'e et o`u, sans doute, devait pendre encore la corde qui lui avait servi `a sa descente.
— Parbleu, se disait Fandor, si je peux rattraper cette corde, je m’en irai avec la plus grande facilit'e. Mais, diable, cela va ^etre difficile de grimper sur ce mur.
Or, au moment m^eme o`u Fandor s’approchait, il s’arr^etait fig'e de surprise. Le long du mur d’enceinte, quelqu’un marchait avec pr'ecaution : de ses yeux percants, Fandor vit une femme, une vieille femme. Elle portait une 'echelle, cette 'echelle, elle l’appuya contre la muraille, puis, `a pas feutr'es, elle s’'eloigna.
— Bon Dieu de bon Dieu, se dit le jeune homme, qu’est-ce que c’est donc que cette vieille-l`a ? Voil`a qu’elle m’apporte, sans s’en douter, l’escalier dont j’avais besoin.
10 – CHEZ LE JUGE D’INSTRUCTION
Madame Granjeard glissa un imprim'e dans son corsage.
— Probable que c’est un billet doux, dit la premi`ere des deux pierreuses enferm'ees avec la femme d’affaire de Saint-Denis, madame va voir son amant.
— Oui, fit l’autre pierreuse, qui avait reconnu l’imprim'e, c’est comme qui dirait un rendez-vous, seulement c’est avec le curieux de la Tour-Pointue, c’est moins agr'eable que si c’'etait avec un gigolo.
Mme Granjeard ne r'epondit pas, elle continua sa toilette, cependant que les pierreuses, appr'eciant la qualit'e de sa robe, plaisantaient encore :
— Mince alors de luxe, des fringues `a cent sous le m`etre et en grande largeur pour le moins.
Quelques instants auparavant, une surveillante avait apport'e la soupe quotidienne. Pendant ce court repas, les pierreuses s’'etaient tues, puis, l’ayant achev'e, elles recommenc`erent `a railler leur compagne. Celle-ci n’avait pas touch'e `a la nourriture qui lui 'etait destin'ee. Une des pierreuses l’interrogea :
— Tu ne renifles pas dans la bouillante ?
— Probable que ce n’est pas du jus `a la hauteur, il faut du petit noir de luxe `a madame, avec le bricheton de fantaisie.
Brusquement, Mme Granjeard, qui ne desserrait pas les dents, bondit sur la porte de la cellule et tira furieusement la sonnette qui signifiait pour les gardiennes qu’une prisonni`ere d'esirait leur parler :
Une auxiliaire apparut :
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— J’en ai assez, hurla Mme Granjeard, je ne veux pas rester un instant de plus avec ces filles immondes ou alors, je ne sais pas ce qui arrivera, mais je ne r'eponds pas de moi. Qu’on me change de cellule, qu’on me fourre dans une cave, dans un grenier, ca m’est 'egal, mais qu’on me retire d’ici.
La physionomie de Mme Granjeard 'etait si terrible que l’auxiliaire la calma d’une promesse et courut chercher la gardienne aussit^ot.
Les deux pierreuses, auxquelles cette attitude 'energique et farouche imposait malgr'e tout, cess`erent de plaisanter leur compagne. Elles murmuraient :
— C’est qu’elle ferait comme elle l’a dit, ma ch`ere ! elle nous sauterait `a la gorge, c’est qu’il faut se m'efier avec une femme pareille, para^it qu’elle a d'ej`a zigouill'e son fils.
La gardienne en chef revint et tanca d’importance les deux pierreuses :
— Vous, d'eclara-t-elle, je vais d’abord vous’ s'eparer et puisque vous ne savez pas vous conduire, on va vous dresser. Quant `a la femme Granjeard, qu’elle vienne avec moi.
La veuve du marchand de fer ob'eit, pr'ec'eda la gardienne qui, quelques instants apr`es, l’introduisait dans une autre cellule :
— Vous serez tranquille, ici, dit-elle, vous aurez pour compagne une pr'evenue comme vous. Elle est accus'ee de meurtre et de crime, mais elle se tient tranquille et puis d’ailleurs, comme elle n’est pas bien portante, on la garde toute la journ'ee `a l’infirmerie.
— Quel monde, quel milieu, soupira Mme Granjeard, qui cependant poussa un soupir de satisfaction `a l’id'ee d’^etre d'ebarrass'ee de ses effroyables voisines. Mais cette solitude ne fut que de courte dur'ee. Quelques instants apr`es, la femme qui devait partager avec elle la cellule y 'etait introduite : son s'ejour `a l’infirmerie 'etait termin'e et, de la conversation s’achevant entre la nouvelle venue et la gardienne qui l’avait amen'ee, il semblait r'esulter que quelque chose d’extraordinaire s’'etait pass'e dans cette infirmerie d’o`u on la ramenait.