La fille de Fant?mas (Дочь Фантомаса)
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— Oui, docteur. C’est bien ca.
J'er^ome Fandor r'epondait d’une voix calme, mais ne put s’emp^echer de tressaillir en voyant le m'edecin se lever, appuyer sur le bouton d’une sonnette, en l’entendant lui dire :
— Je demande un infirmier, mon ami.
— Va-t-il me retenir ? songeait Fandor. Ou a-t-il compris que je n’'etais pas fou ?
Georges, l’infirmier en chef, se pr'esenta :
— Monsieur le docteur m’appelle ?
Le m'edecin griffonna quelques mots sur son carnet.
— Oui, dit-il.
Et d'esignant Fandor, il ajouta :
— Vous allez conduire cet individu, imm'ediatement, au quartier des furieux. Ce n’est pas seulement un simulateur… c’est un agit'e `a r'ealisation… Il est tr`es dangereux. Dites que l’on y fasse attention. Oui, vous pouvez lui laisser son cr^ane… Il y aurait danger `a l’exciter… Vous le doucherez matin et soir.
***
Depuis deux heures, Fandor s’'etait fait `a cette id'ee :
— On me croit fou. L’histoire que je raconte et qui est mon histoire est, en effet, folle, archi-folle… Donc, je ne convaincrai jamais ces gens que j’ai toute ma raison, que ce que je raconte est la r'ealit'e pure et simple. Donc, si je veux sortir d’ici, il faut que j’aie l’air de ne plus penser `a de pareilles choses, et en d’autres termes que je fasse semblant d’^etre gu'eri de ma folie.
Car c’'etait la ruse `a laquelle Fandor, soudainement inspir'e, s’arr^etait.
Il allait, pendant quelques jours, ^etre bien sage, bien tranquille, accepter sans r'evolte son incarc'eration. Puis, il demanderait `a s’entretenir `a nouveau avec le m'edecin-chef, il renierait ses propres aventures et, peut-^etre, de la sorte, obtiendrait son exeat.
`A coup s^ur, tout autre que le journaliste se f^ut d'esesp'er'e.
Fandor, s^ur de sa bonne 'etoile, savait qu’il allait se tirer une fois de plus d’une situation d'esesp'er'ee. Il 'etait de ces audacieux qu’il faut admirer, de ceux qui risquent toujours le tout pour le tout et n’admettent jamais que la victoire puisse leur 'echapper.
Et puis Fandor avait d’autres pr'eoccupations que celles qui se rattachaient `a sa propre destin'ee.
Fandor s’oubliait presque pour songer aux terribles aventures dans lesquelles, depuis tant d’ann'ees, il se trouvait impliqu'e et qui, depuis pr`es d’un mois, atteignaient un renouveau d’intensit'e, une horreur nouvelle.
Que voulait dire l’extraordinaire incendie des Docks ? Qui 'etait ce myst'erieux Teddy ?
Et surtout qu’'etait cette t^ete de mort, cette t^ete de mort qu’il tenait pr'ecieusement contre sa poitrine, qu’il ne pouvait s’arr^eter de regarder comme pour lui arracher son secret ?
— Car enfin, pensait Fandor, ce Teddy, au plus fort de l’incendie, alors qu’il risquait sa vie, n’avait pas l^ach'e le coffret o`u 'etait enferm'e ce cr^ane. Donc, ce cr^ane doit avoir une importance, une signification, une utilit'e, dont j’ignore tout.
Le jeune homme, las de se promener de long en large dans la cour o`u les fous s’agitaient en d’infernales postures, en cabrioles extraordinaires, o`u les uns hurlaient tandis que d’autres pleuraient, silencieux et taciturnes, finit par aviser un coin ombrag'e du jardin.
L`a, il se laissa tomber `a terre, et prenant la t^ete de mort dans ses deux mains, il s’absorba dans sa contemplation.
Les os que regardait Fandor, un esprit superficiel e^ut 'evidemment jug'e qu’ils n’avaient rien de particulier, qu’il s’agissait l`a d’un cr^ane quelconque, de la t^ete du premier squelette venu.
Pourtant, `a y regarder d’un peu plus pr`es, ce cr^ane n’'etait pas comme les autres. D’abord, il 'etait bizarrement lourd. En outre, il 'etait dans un 'etat de conservation absolument parfait. Enfin, sur ce cr^ane, sur l’os poli, Fandor croyait bien distinguer des signes myst'erieux, microscopiques, mais distincts. Qui avait pu, et pourquoi, 'ecrire en quelle langue sur l’os poli ?
Ah ! si seulement il avait 'et'e libre !
Si seulement il avait pu aller rejoindre ce Teddy, obtenir de lui le mot de l’'enigme.
Mais quoi ! La fatalit'e voulait qu’il fut prisonnier…
Fandor, toujours assis sur le sol, contemplait depuis de longues minutes sa t^ete de mort, lorsqu’il entendit, derri`ere lui, une voix qui disait sur un ton de causerie m'edicale :
— Pour moi, vous savez, le docteur s’est tromp'e… Regardez-le, plut^ot, avec son cr^ane, cet animal-l`a… Ce n’est pas un fou furieux, c’est un maniaque, un pers'ecut'e, un mono"id'eiste.
C’'etait le jeune m'edecin qui l’avait recu `a son arriv'ee la veille. Celui-l`a aussi le prenait pour un fou ? Celui-l`a aussi trouvait une 'etiquette pour cataloguer sa d'emence ?
Et soudain Fandor se sentit frissonner… Une sueur froide lui perla aux tempes… Il pensa d'efaillir…
En relevant la t^ete, Fandor venait d’apercevoir les malheureux d'ements qui s’agitaient autour de lui… De tous ces malades, il n’en 'etait pas un qui ne f^ut persuad'e qu’il 'etait sain d’esprit. Et tous, ils avaient une marotte, une id'ee fixe… Et tous ils 'etaient fous, et tous ils lui ressemblaient.
— Oui, songeait Fandor, ils se croient sains d’esprit comme je me crois sain d’esprit. Oui, ils ne d'eraisonnent que sur un seul point… de m^eme que moi, tout `a l’heure, le directeur a jug'e que je raisonnais parfaitement, sauf en ce qui concernait les aventures de Fant^omas. Une marotte ? une id'ee fixe ? mais je suis comme eux, j’ai la mienne, parbleu, c’est Fant^omas. Et quand je contemple ce cr^ane, je me conduis bien comme un fou. C’est bien d’un fou d’imaginer que ces ossements pr'esentent un int'er^et quelconque. Est-ce que r'eellement, je deviendrais fou ? Est-ce que mon horrible captivit'e aurait port'e atteinte `a ma raison ? Est-ce que je suis ici enferm'e pour toute ma vie ? Est-ce que, d'ej`a, les malheureux qui m’entourent m’influencent ? Est-ce que je suis fou ? Est-ce que je deviens fou ?
Bien qu’il e^ut 'et'e d'esign'e par le m'edecin-chef comme fou furieux, bien que les ordres eussent 'et'e donn'es pour qu’on le conduis^it dans le quartier des
Le « Lunatic » 'etait comble, les dortoirs encombr'es.
— Jusqu’`a nouvel ordre, avait dit l’infirmier, vous restez ici.
Allons, tant mieux.
Certes, J'er^ome Fandor se forcait `a croire `a sa propre rectitude de jugement. Mais, malgr'e tout, un doute, une peur, 'etaient entr'es en lui. Et le malheureux, terrifi'e par les 'ev'enements de ces derniers jours, 'epuis'e par les tortures morales et physiques qu’il avait subies, se sentait perdu.