La fille de Fant?mas (Дочь Фантомаса)
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Dans la salle s’entassaient devant les tables, assis sur de longs bancs de bois, scell'es dans le plancher, une centaine de malades. Tous, `a l’exception d’un petit groupe, 'etaient v^etus d’un m^eme sarrau de toile, mais cette toile 'etait rose pour certains, bleue ou marron pour d’autres encore.
Seuls conservaient des v^etements ordinaires une quinzaine de pensionnaires qui se trouvaient `a l’extr'emit'e du r'efectoire. Ceux-l`a 'etaient tr`es diversement habill'es, les uns en redingote, les autres en veston, d’autres encore en costume de cavaliers, pantalons collants, longues bottes, ceintures de larges courroies de cuir, chemises flottantes, ils 'etaient semblables aux chasseurs qui parcourent d’un bout de l’ann'ee `a l’autre les plaines d'esertes du Transvaal, le veld, chassant, conduisant des troupeaux, capturant des chevaux sauvages.
— Assieds-toi, ordonna le gardien.
Fandor avisa une place vide, voulut s’y installer…
— Pas l`a, nom d’un chien. Tu te mets avec les agit'es.
Fandor avait failli s’asseoir `a c^ot'e du groupe des malades rev^etus de sarraus marron, il se recula vivement, 'emu malgr'e lui…
— O`u dois-je aller ?
— Avec les observ'es, parbleu.
Une nouvelle bourrade pr'ecipita Fandor parmi ceux qui, comme lui, n’'etaient encore rev^etus d’aucun uniforme. Fandor, r'esign'e `a son sort, s’assit entre un vieillard et un cavalier d’une trentaine d’ann'ees. Quelques instants d’abord se pass`erent dans un silence rigoureux. Comme Fandor entrait dans la salle, les fous avaient lev'e la t^ete et observ'e de leurs yeux fixes, m'efiants, apeur'es.
— Parbleu, s’'etait dit Fandor, ces pauvres diables se demandent qui je suis.
Mais `a peine s’'etait-il attabl'e au milieu d’eux que le charme s’'etait rompu, et un vacarme assourdissant avait empli la salle, p'eniblement domin'e par moments par les interjections des gardiens :
— Veux-tu manger proprement, sale b^ete.
— Attends un peu que je t’apprenne `a casser tes assiettes, toi.
— Si tu ris comme ca, la douche…
Quel spectacle !
D’un groupe de malades `a l’autre, les diff'erences 'etaient nettes. Tandis que les d'ements v^etus de sarraus marron poussaient de temps `a autres de v'eritables cris, s’agitaient sur leur banc, semblaient toujours pr^ets `a se jeter les uns sur les autres, avaient des ricanements incessants, leurs voisins, v^etus de sarraus bleus, les taciturnes – Fandor les entendait appeler ainsi par les gardiens – demeuraient immobiles, presque rigides, avec des faces d’effroi, de terreur et de d'esolation. Il y en avait qui sanglotaient, d’autres qui, au moindre mouvement des gardiens, paraissaient pr^ets `a dispara^itre sous la table.
Et puis, plus loin encore, les malades v^etus de rose, les dangereux, roulaient des yeux effar'es, se dressaient `a toute minute, se battaient, renversaient leur assiette, obligeaient les infirmiers, plus nombreux de leur c^ot'e qu’`a l’autre bout de la table, `a les rasseoir de force, `a les menacer de la douche, quand il ne devenait pas n'ecessaire d’emmener l’un d’eux, de l’entra^iner vers on ne savait quelle sorte de cachot, quel supplice. Mais Fandor n’avait gu`ere le temps d’examiner tout cela.
Dans son assiette, un infirmier venait de verser une sorte de bouillie, o`u flottaient quelques morceaux de viande.
— Mange.
D’un regard, Fandor s’assura de la facon dont op'eraient ses voisins.
Oh, il n’y avait pas d’h'esitation `a avoir : par mesure de pr'ecautions, les fous n’avaient `a leur disposition ni fourchette, ni cuill`ere, c’'etait avec leurs doigts qu’ils devaient manger.
— Allons-y ! pensa Fandor…
Et, retirant son cr^ane de dessous son bras, pour le poser sur ses genoux, le journaliste, qui ne voulait aucunement perdre de vue le pr'ecieux objet, s’appr^etait `a se nourrir, lorsque :
— Monsieur, lui dit son voisin, qui faisait preuve d’une extr^eme politesse, voudriez-vous m’accorder une r'eponse ?
Fandor se tourna vers le vieillard qui lui adressait la parole :
— Certes, que d'esirez-vous ?
— Mais j’imagine, monsieur, que vous le savez, puisque j’attends une r'eponse. Ce n’est pas la peine de vous moquer de moi.
— Mais loin de moi la pens'ee de me moquer. Seulement, je n’ai pas entendu votre premi`ere question, que voulez-vous ?
— Une r'eponse !
— Une r'eponse `a quoi ?
Un formidable coup de poing avait 'ebranl'e la table. Le vieillard d’aspect paisible attrapa Fandor par le cou.
— Ah ! vous aussi, hurlait-il, vous voulez faire semblant de me croire fou ? Vous aussi vous ^etes du c^ot'e de mes pers'ecuteurs ? Je me vengerai, je me vengerai.
Comme le fou le secouait violemment et menacait de l’'etrangler, Fandor le prit aux 'epaules et tenta de se d'egager :
— L^achez-moi, voyons.
Des cris d’animaux, des hurlements indescriptibles et des rires s’'elevaient autour de la table.
— Mais l^achez-moi donc, hurlait Fandor.
Et comme il avait peur de brutaliser le vieillard, qui, maintenant, la bave aux l`evres, les yeux inject'es, grincait des dents, Fandor appela :
— `A l’aide, les gardiens !
Mais le journaliste n’acheva pas… Il avait recu brusquement sur les reins un coup `a raser une 'eglise, et deux mains l’appuyaient sur son banc, le forcaient `a se rasseoir :
— Tu vas te taire, toi, n’est-ce pas ?… ou on te recolle `a la douche !… Ah ! ah ! le dissimul'e ! d'ej`a une crise !…
Fandor n’eut pas le temps de protester.
`A c^ot'e de lui, tandis que les gardiens accouraient, le vieillard, son agresseur, s’'etait rassis, en pleine possession de son sang-froid. Et Fandor l’entendit qui d'eclarait, d’une voix tr`es calme, s’adressant `a l’un des infirmiers :
— Vous savez, monsieur Gustave, j’ai eu peur, tr`es peur. C’est v'eritablement terrible, quand on n’est pas fou, d’^etre mis `a c^ot'e d’individus du genre de celui-ci. Est-ce qu’il ne voulait pas m’'etrangler ?