La fille de Fant?mas (Дочь Фантомаса)
Шрифт:
— Ce que j’ai, Teddy ? je m’inqui`ete de toi.
— Mais puisque je suis l`a, mama, revenu sain et sauf…
— Je m’inqui`ete de toi, m^eme quand tu ne cours pas le veld…
— Pourquoi mama ?
— Qu’as-tu, Teddy ? tu es si triste depuis quelque temps ?
— J’ai du chagrin, mama. J’ai du chagrin, mama, parce que je voudrais tant savoir.
— Tant savoir quoi ?
— Qui je suis…
— Mais je te l’ai dit souvent, Teddy…
— Non, non, raconte encore… Si jamais un d'etail nouveau pouvait faire cesser mon inqui'etude ?
Il s’'etait accroupi maintenant sur le sol, aux pieds de la vieille Laetitia, il appuyait sa t^ete sur les genoux de la bonne femme.
— Tu veux encore que je te fasse ce r'ecit ?
— Oui, mama, s’il te pla^it.
Laetitia commenca, de sa voix menue, gr^ele un peu, qui se cassait :
— 'Ecoute petit… c’'etait pendant la guerre, une bien triste 'epoque, va, tous les hommes, tous les jeunes gens, s’'etaient enr^ol'es dans les commandos. On disait, alors, que si les Anglais 'etaient victorieux, s’ils pouvaient nous battre, nous autres, les Boers, nous serions horriblement malheureux, presque des esclaves. Et puis, tu comprends, Teddy, il s’agissait de d'efendre les fermes, de prot'eger les enfants, c’'etait enfin le veld qu’il fallait sauvegarder. Les hommes ne voulaient pas entendre parler d’y laisser les Anglais commander, m^eme s’installer. Nous 'etions chez nous, il fallait les chasser…
— Oui, mama… oui… alors ?…
— Alors, Teddy, on faisait la guerre. Tous les jours on apprenait des morts, des ruines. C’'etait le fils d’un voisin qui 'etait tomb'e dans une charge, transperc'e d’un coup de sabre, c’'etait un autre brave garcon qu’une balle explosive – oui, les Anglais s’en servaient – avait tu'e dans un poste d’avant-garde, c’'etait un autre qui avait 'et'e fait prisonnier…
— Alors mama ? alors ?
— L’ennemi prenait les enfants aussi et ils mouraient tous dans ce qu’ils appelaient les camps de concentration. Tu comprends, Teddy, il y avait eu tant de morts, il y avait tant de pauvres cadavres qui pourrissaient dans les champs que tous les ruisseaux 'etaient empest'es, des 'epid'emies 'eclataient.
— Oui, mama… apr`es ?…
— Et des fermes br^ulaient. C’'etait ou les Anglais ou les hommes de nos commandos qui y mettaient le feu. Ils 'etaient aussi acharn'es les uns que les autres.
— Et c’est une de ces nuits-l`a, mama, que l’on m’a conduit ici ?
— Oui, une nuit, Teddy, les Anglais s’'etaient approch'es jusqu’`a la colline. Du toit de la grange, mes ma^itres et moi, nous avions pendant la soir'ee regard'e l’incendie, car quelque chose br^ulait l`a-bas, une ferme, un champ, une for^et, on ne savait pas… Nous 'etions d’ailleurs sans nouvelles de la guerre depuis quelques jours. Nos commandos 'etaient-ils victorieux ? 'Etaient-ils vaincus ? Nous ne pouvions former que des suppositions.
— Et alors ?
— Alors, comme la nuit s’avancait, mes ma^itres et moi nous 'etions descendus dans la salle o`u nous sommes. Tu vois, j’'etais assise l`a, au coin du feu, et puis on frappe…
— C’'etait moi que l’on apportait ?
— Oui… oh ! je vois encore la sc`ene. Comme on frappait `a coups de poings, nous 'etions tous l`a, r'eunis, `a nous regarder, ma^itres et serviteurs. Et nous nous disions : Faut-il ouvrir ? Est-ce que c’est l’ennemi ? Est-ce un ami ? C’est le ma^itre qui s’est lev'e. Tiens, Teddy, je crois entendre sa voix :
— Et tes ma^itres m’ont accept'e ?
— Oui. Tu 'etais si gentil, tu dormais si tranquillement dans les bras de cet inconnu. Le Ma^itre h'esitait, mais moi qui savais comme il 'etait bon, je me suis lev'ee, j’ai 'et'e te prendre, et, `a partir de ce moment-l`a, tu 'etais de la famille.
La vieille Laetitia baissait le ton comme quelqu’un qui ach`eve un r'ecit, mais Teddy, `a coup s^ur voulait encore d’autres d'etails, des d'etails que peut-^etre la brave femme ne tenait pas `a lui donner.
Il s’agenouillait et regardant la vieille Laetitia dans les yeux :
— Et puis, mama ? le coffret ?
La voix de Laetitia tremblait un peu quand elle r'epondit :
— Le coffret, Teddy ? oui. Eh bien l’homme qui t’apportait le tenait aussi et quand il a vu que je t’embrassais et que je te trouvais si gentil, il m’a attir'ee `a l’'ecart. C’est alors qu’il m’a donn'e ce coffret : « Laetitia, m’a-t-il dit, – car il venait de m’entendre appeler par mon ma^itre – vous serez charg'ee de cet enfant. J’aurai confiance en vous, 'elevez-le. Quelque jour, je viendrai le rechercher et ce jour-l`a… Et il n’a pas achev'e, Teddy. Il m’a tendu le coffret en disant : Tenez, gardez cela aussi, ce coffret contient tout ce qui peut int'eresser l’enfant, si je ne r'eapparaissais pas. Il faut faire en sorte qu’il ne tombe en sa possession qu’`a ses vingt ans et pour tout l’or du monde, pas avant.
Aux derni`eres paroles de la vieille femme Teddy s’'etait relev'e, il se promenait de long en large dans la chambre, il murmura :
— Seulement `a mes vingt ans, et j’en ai tout juste seize. Encore quatre ans `a attendre. Non. Ce n’est pas possible. Il faudra que je sache avant…
Puis Teddy haussa la voix :
— Et alors, Laetitia, vous, vous avez voulu savoir… vous avez ouvert le coffret puisque vous avez d'ecid'e que je…
Mais la vieille Laetitia, elle aussi, s’'etait lev'ee.
— Ah ! tais-toi ! tais-toi ! supplia Laetitia, cela, non, je ne veux pas que tu en parles. Tu devrais l’avoir oubli'e… Ah ! qu’est-ce que je dis, je suis folle, tu devrais n’y penser jamais. Pourtant…
— Pourtant…
— Non, non, ne m’interroge pas l`a-dessus.
Et, apr`es un instant de silence, Laetitia poursuivit, d’une voix terriblement oppress'ee :
— Je t’affirme que je ne peux pas te r'epondre.
Puis elle supplia presque :
— Voyons, tu sais bien que je t’aime ? depuis… depuis ce moment o`u tu es arriv'e, ici, `a cette ferme, tu es comme mon enfant. Tiens, tu te rappelles ? je te l’ai dit bien souvent quels ont 'et'e les malheurs de ma vie : les fils de mes ma^itres, deux petits que j’avais 'elev'es, tu'es `a la guerre, mes ma^itres disparus peu apr`es, min'es par le chagrin, la paix, m^eme, amenant la ruine de la maison, toute la famille dispers'ee, et moi, moi seule, restant avec toi, qui 'etais encore si jeune, toi que mes ma^itres qui t’aimaient avaient fait leur h'eritier, puisque cette ferme t’appartient, toi que j’'elevais, que j’ai 'elev'e jusqu’ici et que j’aime, je te le r'ep`ete encore, comme un fils.