La fille de Fant?mas (Дочь Фантомаса)
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Le jeune homme, indiff'erent `a l’aspect lugubre des choses qui l’entouraient, sifflotait un air de marche. Il 'etait `a cheval et, de temps `a autre, d’une pression du genou, d’un discret appel de l’'eperon, il pressait sa monture.
Mais, bien que ce fut une b^ete de sang qu’il chevauch^at, son allure ne s’acc'el'erait gu`ere.
Aussi bien, il y avait longtemps que cheval et cavalier menaient un train d’enfer. L’un et l’autre 'etaient rompus, bris'es de fatigue. Il fallait toute l’'energie et toute l’habilet'e consomm'ee de Teddy pour que la marche en avant p^ut se continuer, dans le sol d'etremp'e o`u l’obscurit'e ne permettait pas de voir les obstacles, o`u les broussailles prenaient des allures fantastiques qui effaraient la b^ete, o`u les foss'es 'etaient des pi`eges qui la faisaient buter, o`u tout 'etait p'eril pour le cavalier, depuis le sable mouvant qu’il convenait d’'eviter, jusqu’aux rochers o`u pouvaient ^etre embusqu'es quelques malfaiteurs, jusqu’aux hautes herbes d’o`u quelque animal f'eroce pouvait sans doute surgir et bondir en avant.
Mais de tout cela, de tous les dangers familiers du veld qui menacent homme et b^ete chevauchant par une nuit sombre, Teddy, v^etu comme le sont les habitants boers du Cap – petite veste courte boutonn'ee jusqu’au menton, pantalon brun fonc'e, chapeau rond assez 'elev'e, bottes `a l’'ecuy`ere – semblait se soucier fort peu. On le sentait, alors qu’il excitait son cheval, en pleine possession de ses moyens, heureux de vivre sa vie de grand air et de libert'e, accoutum'e `a la nuit, aux dangers, `a la fatigue, et trouvant en somme tout naturel de se trouver dehors `a pareille heure, par pareil temps…
Au surplus, Teddy avait 'et'e 'elev'e dans ces grandes plaines et il connaissait tout alentour de la ferme o`u il habitait, `a plus de cent kilom`etres `a la ronde, les moindres d'etails de ces champs encore incultes, o`u, tout le jour, des troupeaux paissaient, cependant que la nuit, ces b^etes domestiques une fois rentr'ees `a l’'etable, la brousse appartenait sans partage aux animaux de proie.
Or, tandis que Teddy se h^atait vers sa demeure, vers la ferme o`u il habitait, une pauvre ferme, d’aspect v'etuste, aux b^atiments croulants, `a la cour herbeuse, au puits verd^atre, tari depuis longtemps, une ferme o`u achevaient de pourrir de vieux chariots effondr'es sur leurs roues faites d’un seul morceau de bois et toutes disjointes par l’humidit'e, Laetitia, la vieille nourrice de Teddy, que le jeune homme appelait
La vieille femme qui, sans doute, avait 'et'e maintes fois t'emoin des tragiques incidents qui trop souvent surviennent aux cavaliers qui se risquent la nuit dans les plaines, ne pouvait admettre que le jeune homme ne f^ut toujours pas de retour `a la ferme `a dix heures du soir au plus tard.
Or, bien que Teddy aim^at tendrement Laetitia, bien qu’il f^ut au regret de lui causer la moindre inqui'etude, farouchement 'epris de libert'e, ind'ependant `a ne pouvoir subir aucune loi, chaque soir il partait `a la vagabonde, dans le veld.
Qu’'etait-ce au juste que Laetitia ?
Elle 'etait humblement v^etue et cependant ne paraissait manquer de rien. Ses v^etements 'etaient chauds, une alliance brillait `a sa main, elle portait, suivant la mode des paysannes du Natal, de courtes bottes en cuir fin. Ni une pauvresse, ni une grande dame, ni m^eme une de ces campagnardes riches comme il s’en rencontre dans la colonie, plus souvent encore au Transvaal ou au Natal, et pour mieux dire dans toute la pointe sud de l’Afrique, o`u des fortunes colossales s’'edifient dans les exploitations agricoles.
Laetitia sur le seuil de la porte, s’'etait arr^et'ee…
— Est-ce lui ? non, personne… Comme il fait noir… Et il galope toujours… Ah, apr`es tout ce que j’ai fait, aurais-je donc la douleur d’apprendre un jour qu’il s’est tu'e d’une mauvaise chute…
Mais Laetitia soudain s’interrompit. Son oreille exerc'ee `a saisir les bruits les plus 'eloign'es, `a les identifier, ne l’avait pas tromp'ee.
Oui ! Le pas d’un cheval se devinait, maintenant plus rapproch'e, r'egulier…
Et ce n’'etait pas un cheval attel'e, c’'etait un cavalier qui arrivait pr`es de la ferme, c’'etait, ce ne pouvait ^etre que Teddy…
Laetitia, avec un soupir qui en disait long sur son inqui'etude, cria dans le noir :
— C’est toi, Teddy ?
— Hello ! mama, c’est moi, r'epondit une voix joyeuse…
Encore quelques instants, puis, dans le cercle 'eclair'e par la lampe que Laetitia 'elevait `a bout de bras, Teddy fit son apparition.
Il avait saut'e de cheval pour ouvrir la barri`ere de la ferme, il tenait sa b^ete par la bride et, tremp'e par la ros'ee nocturne, les traits souill'es de poussi`ere, les cheveux en d'esordre, il dit :
— Hello, mama, vous 'etiez encore `a m’attendre ?… croyez-vous donc que les buffles n’en veulent qu’`a moi et que les 'el'ephants m'editent de me charger ? Vous ^etes toujours `a guetter mon retour.
— Il est si tard, et tu sais si bien comme je suis inqui`ete quand tu ne rentres pas d^iner. D’o`u viens-tu ?
Instantan'ement la physionomie mobile du jeune homme prit un air s'erieux :
— Pauvre mama, r'epondit-il, c’est vrai, je vous inqui`ete et je vous demande pardon. Tenez, rentrez, vite, il fait humide et vos rhumatismes s’en ressentiraient. Le temps de d'eseller ma b^ete et je viens nettoyer mes armes devant vous.
— Tu as donc chass'e ? d’o`u viens-tu ?
Teddy, d’un geste vague, d'esigna tout l’inconnu de la nuit :
— De l`a-bas. Et je n’ai pas chass'e puisque je ne rapporte rien.
Puis, prenant son cheval par la bride, cependant que Laetitia retournait s’asseoir devant l’^atre, Teddy s’occupa `a mener sa b^ete `a l’'ecurie, `a la desseller, `a la bouchonner vigoureusement, en bon cavalier.
Quelques minutes plus tard, pourtant, comme Teddy avait d'epos'e un savoureux picotin d’avoine devant le brave animal qui l’avait port'e toute la journ'ee, il rejoignait la vieille Laetitia :
Teddy, comme chaque soir, avait retir'e de ses fontes ses deux revolvers. Sur son dos battait une carabine tenue en bandouli`ere. Avant m^eme d’aller prendre du repos, il voulait v'erifier ses cartouches, graisser les rouages d'elicats de ses armes.
Pour Laetitia, elle se tenait le front entre les mains et, les coudes sur les genoux, absorb'ee, elle r'efl'echissait.
— Qu’as-tu mama ? demanda Teddy comme il venait prendre sa place devant une table rustique de bois blanc et commencait son travail, tu as l’air songeuse ?