La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— C’est exact.
— Reste deux autres moyens. Secundo, partir par le train. Je vous conseille vivement d’aller l’un et l’autre vous poster `a la gare et d’y exercer une surveillance active. M'efiez-vous des gens `a grande barbe, des voyageurs porteurs de lunettes bleues. Ces physionomies-l`a doivent toujours ^etre suspectes aux policiers subtils, car elles cachent un d'eguisement le plus souvent.
— Mais vous avez absolument raison, s’'ecria P'erouzin enthousiasm'e.
— Et le troisi`eme moyen ? demanda l’autre.
— Le troisi`eme, partir `a pied dans la campagne, fournir des r'eponses trop nombreuses pour qu’on puisse suivre la piste. Donc, il faut s’occuper du deux.
— Ne perdons pas une minute. Allez `a la gare et restez-y jusqu’`a ce que je vous rejoigne. Moi, je m’en vais pendant ce temps-l`a dans les rues, interroger les passants, questionner les agents de police, confesser les cochers de fiacre. Et ce soir, `a nous les petites dames.
Deux minutes plus tard, le faux policier, en effet, se retrouvait bien dans la rue. Le journaliste consultait sa montre :
— Quatre heures moins dix, et le facteur qui doit venir `a quatre heures, je n’ai que le temps.
Fandor approchait du num'ero cent cinquante de la rue de la Marine, lorsqu’il s’arr^eta soudain :
— Bougre de bougre, j’allais faire une jolie gaffe, rentrer chez moi, m'econnaissable comme je suis, mais la logeuse ne me recevrait pas.
Fandor n’h'esita pas. Il entra chez le pharmacien :
— Monsieur, lui dit-il, j’ai une terrible rage de dents et des migraines 'epouvantables.
— Il faut, d'eclara l’apothicaire, vous prot'eger la figure contre le vent et le froid.
— Voulez-vous me donner de l’ouate, des bandes de toile fine ?
Le pharmacien d'ef'era au d'esir du client.
Ne laissant passer que les yeux, Fandor paya rapidement et disparut de la boutique, laissant le pharmacien tout ahuri par la f'ebrile activit'e de ce client. Puis, hardiment, il se pr'esenta au bureau de l’h^otel modeste o`u il avait lou'e une chambre meubl'ee. En pr'esence de la logeuse il poussa des soupirs `a fendre l’^ame :
— Que je souffre ! que je souffre, vite, donnez-moi ma clef, madame, le vingt-cinq, que je monte me coucher.
— C’est-y possible, mon Dieu, d’avoir des douleurs pareilles voulez-vous que je vous pr'epare quelque chose, mon bon monsieur ?
— Non, non, merci, madame, avec du repos, ca ira mieux. Au fait, disait-il, je n’y suis pour personne, si l’on venait me demander, sauf toutefois pour le facteur qui doit m’apporter une lettre.
La recommandation faite, Fandor gagna la chambre qu’il occupait au premier 'etage, se d'ebarrassa de son pansement, puis, s’asseyant sur une chaise, il attendit.
Un bon quart d’heure passa. Soudain, un coup discret retentit `a la porte.
Le journaliste ouvrit :
— Donnez-vous donc la peine d’entrer.
— Monsieur J'er^ome Fandor, n’est-ce pas ? interrogea l’employ'e des postes, qui ayant tir'e de son grand sac une lettre ainsi qu’un livre `a signer, tendait les deux objets `a Fandor.
Le journaliste trempait sa plume dans l’encre.
« C’est amusant pensa-t-il, de signer de mon nom sur ce livre, alors que la police enti`ere semble ^etre `a mes trousses. On ne dira pas que je cherche `a me cacher
Le facteur 'etait pr^et `a partir, Fandor le rappela :
— Une minute, mon brave, prenez donc ce petit pourboire.
Le journaliste tendit cinquante centimes au brave homme, mais la pi`ece lui glissa des doigts, roula sur le plancher, jusqu’aupr`es de la fen^etre, tout `a l’oppos'e de la porte. Le facteur se pr'ecipita.
Comme l’excellent employ'e cherchait `a retrouver cette petite gratification, Fandor, d'ecid'ement en gaiet'e, tout `a coup, changea d’id'ee :
— Apr`es tout, fit-il, il est bon que je fasse conna^itre `a mes poursuivants mon intention de ne plus demeurer ici.
Il prit son chapeau et jeta sur la table une pi`ece de vingt francs, en criant au facteur :
— Vous paierez ma note et garderez la diff'erence, je n’en ai pas pour quatorze francs.
Puis, prestement, il disparut, enfermant l’homme des P.T.T. `a double tour. Lorsqu’il passa devant la loge, il lanca `a la logeuse cet 'etrange adieu :
— Je vous souhaite bien le bonsoir, madame, mais je vous conseille de monter d'elivrer un prisonnier, si vous ne voulez pas avoir d’histoires avec l’administration.
Parvenu dans une rue d'eserte, Fandor tira enfin de sa poche la lettre recommand'ee qu’il avait recue. L’adresse 'etait r'edig'ee d’une 'ecriture de femme dont la seule vue fit tressaillir le journaliste : l’enveloppe portait le cachet de Saint-Martin (Manche).
La lettre disait :
Mon cher Fandor,
C’est une mourante qui vous adresse son supr^eme adieu. Vous savez que j’ai voulu en finir avec la vie, je n’ai pas compl`etement r'eussi, mais le Ciel va exaucer mes voeux. On m’a transport'ee dans ce ch^ateau, non loin de vous, je mourrais contente, si je pouvais une fois encore vous voir, vous dire combien je vous aimais, oui, aimais.
H'el`ene.
18 – CONCERT AU VILLAGE
Saint-Martin compte trois cents habitants.
La m`ere et le p`ere Pi'e habitaient `a la sortie du village, une maisonnette si modeste, si petite, qu’elle n’attirait point le regard. On l’e^ut volontiers ignor'ee derri`ere les grands arbres qui la s'eparaient du chemin, si perp'etuellement, elle ne s’'etait emplie de criaillements, de bruits de disputes, de jurons, de courses pr'ecipit'ees. Deux vieillards qui habitaient l`a, qui s’aimaient tendrement et se le prouvaient en se disputant du matin au soir.