La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Or, tout en sarclant ses petits pois, pench'e sur le sol, clignotant des yeux, m^achant une chique savoureuse, le p`ere Pi'e songeait `a ces choses.
— C’est vrai, tout de m^eme, pensait-il, qu’on ne sait pas ce qui se passe au ch^ateau, et qu’il ne ferait pas bon sans doute se risquer `a vouloir en franchir les murs.
Tandis que le p`ere Pi'e monologuait, tandis qu’il r^evait, dans le calme de la matin'ee, un cri, un terrible cri traversait le silence du jardin.
Le p`ere Pi'e, en d'epit de son rhumatisme, de l’ankylose profonde de ses reins, se redressait :
— H'e ! la m`ere, c’est toi qui appelles ?
De la maison, la voix de la m`ere Pi'e r'epondait :
— Seigneur. Doux J'esus, viens-t’en vite, mon homme, c’est elle.
Le P`ere Pi'e, pour le coup bl^emit terriblement.
En raison de toutes les histoires sinistres qui circulaient dans le pays, il n’'etait qu’`a demi rassur'e et se demandait pourquoi sa femme l’appelait avec une voix si tremblante, une anxi'et'e si manifeste.
En trottinant, le p`ere Pi'e rejoignit sa maison :
Mais il n’en avait pas franchi le seuil, que ses yeux s’arrondissaient, sa bouche s’ouvrait, ses mains se joignaient, et lui aussi, au comble de la stup'efaction, s’'ecriait :
— Ah bonne Vierge, qu’elle est belle.
Devant la m`ere Pi'e, tomb'ee assise sur un banc plac'e devant l’^atre, se tenait une grande et jolie personne, qui n’'etait autre que l’'el'egante Irma de Steinkerque.
Irma de Steinkerque, `a l’entr'ee du p`ere Pi'e, s’'etait brusquement retourn'ee, elle courait vers le brave homme qui, machinalement, enlevait sa casquette, elle lui entourait la t^ete de ses deux bras, elle l’embrassait au front en s’'ecriant :
— Et alors, Papa, comment ca va ?
Irma de Steinkerque n’'etait autre, en effet, que la fille du m'enage Pi'e.
Irma Pi'e avait choisi ce nom ronflant alors que toute gamine, elle venait de quitter Saint-Martin pour entrer au
Irma de Steinkerque, en r'ealit'e Irma Pi'e, n’'etait jamais revenue au pays voir ses vieux. Ce n’'etait pas une mauvaise fille. Elle n’avait pas honte de ses parents, mais plut^ot elle 'eprouvait une certaine g^ene `a repara^itre devant eux dans ses brillants atours de demi-mondaine, et elle avait peur que son 'el'egance et sa richesse ne fissent scandale `a Saint-Martin.
Irma Pi'e, dans sa crainte de revenir au pays, avait manqu'e de psychologie. En r'ealit'e, on la recevait les bras ouverts.
Ce n’'etait ni la m`ere, ni le p`ere Pi'e qui pensaient `a s’informer de la source de sa fortune.
'Eblouis, 'emerveill'es, ils tournaient autour de leur fille, en r'ep'etant « qu’elle 'etait par'ee comme une ch^asse », que, « bien s^ur elle avait eu raison de partir `a Paris, puisqu’`a Paris elle avait fait fortune », et ils emm^elaient leurs f'elicitations de renseignements sur les voisins, qu’Irma avait totalement oubli'es, sur les r'ecoltes, dont elle se moquait tout `a fait.
— Et alors, concluait soudain le p`ere Pi'e, comment se fait-il que te revoil`a, ma petite ? quoi que c’est-y donc que tu viens faire ?
L`a, h'elas, l’aventure devenait moins amusante, et Irma se troublait.
Si la ma^itresse de Prosper 'etait revenue dans son pays, c’est qu’en r'ealit'e, persuad'ee que son mariage avec Juve allait prochainement se faire, gr^ace aux bons offices de Nalorgne et P'erouzin, elle avait jug'e prudent de venir chercher ses papiers, mais elle 'etait fort inqui`ete `a l’id'ee qu’elle allait ^etre par eux, forc'ement, oblig'ee d’avouer son ^age : quarante-sept ans.
La demi-mondaine trouvait moyen de r'epondre `a ses parents de facon assez vague, car elle n’entendait nullement les mettre au courant, pour le moment du moins, de ses projets matrimoniaux et du genre de vie qu’elle menait.
Les Pi'e, d’ailleurs, apr`es avoir 'ecout'e leur fille, avec une d'evotion admirative, redevenaient `a leur tour bavards.
Instinctivement, ils 'eprouvaient le besoin de ne point se laisser 'etonner par la
— Tu ne sais pas, Irma, que, nous aussi, on en a eu du nouveau depuis bient^ot trois mois. Au ch^ateau, il se passe des choses, mais des choses gui feraient tourner la terre `a l’envers. Il y a des revenants, des chats de deux m`etres, des cha^ines, et le facteur Joseph, tu te rappelles bien, Joseph, t’as assez jou'e avec lui quand t’'etais gamine ? Eh bien, le facteur Joseph il a 'et'e mordu `a l’'epaule par un mort.
Or, `a mesure que parlait le p`ere Pi'e, le visage d’Irma de Steinkerque se rembrunissait visiblement.
Irma songeait que, quelque temps avant, elle avait appris par une indiscr'etion, le d'epart de son ex-amant, le cocher Prosper, pour les environs de Saint-Martin ; il avait soi-disant trouv'e une place de concierge dans un grand ch^ateau abandonn'e.
Si, par hasard, le renseignement 'etait exact, si c’'etait bien Prosper, l’ancien cocher d’Herv'e Martel, qui occupait le poste de concierge dans le ch^ateau aux myst`eres, que fallait-il croire ? que fallait-il en inf'erer ?
En 'ecoutant son p`ere, Irma de Steinkerque frissonnait, car elle savait son amant capable de tout. Cela n’'etait pas rassurant pour elle, amen'ee par les circonstances `a se trouver si pr`es de lui.
Deux jours plus tard, le petit village de Saint-Martin dont Irma de Steinkerque, en grande h^ate, 'etait repartie, fort press'ee de regagner Paris et de continuer `a faire « sa cour » `a Juve, 'etait encore 'emu par la pr'esence d’un 'etranger qui venait d’arriver. Cet 'etranger, que les gamins s’'etaient montr'e du doigt lorsqu’il avait fait son apparition sur la petite place du pays, n’'etait autre que J'er^ome Fandor.