La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Des paysans, des paysans de vieille souche, attach'es `a leur sol, amoureux de leurs terres, avares de leurs biens, voil`a ce qu’'etaient les Pi'e, dont le mari, jadis, avait 'et'e charron, dont la femme avait 'et'e merci`ere et qui maintenant, retir'es des affaires, 'etaient persuad'es avoir fait fortune parce qu’ils pouvaient sans trop de mal joindre les deux bouts, alors m^eme que les bl'es 'etaient mauvais ou que l’avoine n’avait pas donn'e.
Le p`ere Pi'e immobilis'e sur le seuil, criait :
— T’as toujours peur de tout, la m`ere. T’as peur, et l’on ne peut pas tant savoir seulement pourquoi ? Des id'ees que tu te fais.
La m`ere Pi'e s’approcha de son homme, les deux poings sur les hanches, d'ej`a pr^ete `a 'eclater en col`ere :
— Des id'ees que je m’fais ? r'ep'eta-t-elle, narquoise, des id'ees qu’tout le monde s’fait alors, car il n’y a plus personne `a Saint-Martin qui ne pense comme moi. Je te dis que c’est un myst`ere ce qui se passe au ch^ateau, et un myst`ere grave et qu’il n’en sortira rien de bon. Ah c’est des id'ees que j’me fais ? On a pas livr'e peut-^etre des caisses grandes comme des maisons ?
— Si. Mais…
— Et il n’est pas venu dans le pays, accompagnant ces caisses-l`a, des individus `a dr^ole de mine ?
— Si encore, mais…
— Et le fils `a la Jean-Pierre n’a pas vu un animal extraordinaire qui miaulait et sautait entre les peupliers ?
— Ben s^ur que oui, la m`ere, mais…
— Tiens, tais-toi mon homme, va-t’en sarcler ton jardin, tu me ferais sortir de mon caract`ere. Ah, c’est des id'ees que je me fais ? eh bien, raisonne un peu puisque t’es si fort, dis-moi pourquoi que, quand on passe le long des murs du ch^ateau, on entend des cris, des grognements et des beuglements, on dirait cent veaux ensemble. Et encore, des veaux ne crieraient jamais comme ca. Des id'ees ? mais tu ne sais pas que la petite du cur'e, la servante, la Sans-Nom, l’aut’ jour, elle s’est hiss'ee sur le mur, histoire de voir ce qu’on faisait `a l’int'erieur, et ce qu’elle a vu lui a caus'e si grande frayeur qu’elle a couru `a confesse tout de suite, et que, depuis, elle ne veut plus qu’on lui parle du ch^ateau, `a preuve qu’elle se signe tout le temps. C’est p’t-^etre bien ordinaire ? Tu trouves que c’est naturel ? Quand dans une propri'et'e o`u il n’y a, comme qui dirait pas de ma^itres, on entend des bruits extraordinaires ? Et le facteur ? C’est naturel aussi qu’il ait sur l’'epaule une blessure qu’il ne sait pas seulement comment ca lui est arriv'e ? Non, tais-toi le p`ere, ne me r'eponds pas, va-t’en sarcler, ca vaudrait mieux, c’est pas possible d’^etre vieux comme toi et d’^etre si b^ete. Va-t’en et ne t’avise pas d’aller r^oder du c^ot'e du ch^ateau.
La m`ere Pi'e, pivota sur elle-m^eme, partit arm'ee d’un balai, faire un simulacre de nettoyage ; le p`ere Pi'e, descendit au jardin.
Le bonhomme, tout en sarclant ses petits pois, r'efl'echissait cependant aux paroles de sa femme. C’'etait surtout par esprit de contradiction qu’il n’avait point voulu convenir qu’il se passait, en effet, tr`es r'eellement d’'etranges choses au ch^ateau de Saint-Martin.
En r'ealit'e, le p`ere Pi'e, tout comme sa femme, tout comme les habitants du village, 'etait fort 'etonn'e, fort surpris par les ph'enom`enes qui, depuis une semaine `a peu pr`es, semblaient se succ'eder dans la vaste et d'eserte propri'et'e.
Jadis, le vieux ch^ateau avait appartenu `a une noble famille que tous les Saint-Martinais adoraient. Puis, un beau jour, des revers de fortune, la n'ecessit'e d’'etablir les jeunes filles avaient conduit les propri'etaires `a mettre en vente le ch^ateau.
De grandes affiches qu’on lisait avec une 'emotion contenue, avaient annonc'e la chose, le notaire du pays avait eu des hochements de t^ete significatifs, et trois mois apr`es, le bruit s’'etait r'epandu que le ch^ateau 'etait vendu, achet'e par un Allemand, disaient certains, par un Anglais, affirmaient certains autres, par une vieille dame, ajoutaient d’autres encore.
On n’en avait jamais rien su. Depuis la vente, du temps avait pass'e. La propri'et'e 'etait rest'ee d'eserte, inhabit'ee. Le nouveau ma^itre, ayant probablement trait'e `a Paris, n’'etait point m^eme venu l’habiter.
`A Saint-Martin, la curiosit'e lass'ee, avait cess'e de s’occuper du ch^ateau. On estimait qu’il 'etait maintenant d'esert pour toujours, qu’il ach`everait de tomber en ruines, sans que jamais ses nouveaux propri'etaires n’y revinssent.
En raison de cet 'etat de choses, l’arriv'ee d’'enormes caisses amen'ees `a Saint-Martin, sur de robustes camions automobiles que conduisaient des hommes brusques et d'esagr'eables, refusant de r'epondre `a toutes les questions, n’avait pas 'et'e sans causer une l'egitime 'emotion.
La chronique locale manquait souvent d’int'er^et, l’arriv'ee des caisses l’avait nourrie, abondamment nourrie, et chacun s’'etait entretenu de ce qu’il pouvait y avoir derri`ere les planches solides qui les composaient.
Or, l’'emotion caus'ee par l’arriv'ee des grandes caisses, n’'etait pas calm'ee dans le pays, que des bruits 'etranges, fantastiques, prenaient naissance.
Des gens, des gens pos'es, des gens en place, tels que M. le sacristain, M. le facteur, et m^eme M me la buraliste qui, cependant, avaient de l’instruction, affirmaient avoir 'et'e t'emoins de faits extraordinaires.
Longeant les murs du ch^ateau, ils avaient entendu, disaient-ils, d’'epouvantables hurlements, il leur avait m^eme sembl'e qu’`a l’int'erieur du parc, des gens couraient, sautaient, bondissaient.
— S^ur et certain, affirmait la buraliste, je ne me suis pas tromp'ee ! Tout contre le mur, le grand mur qui part des trois marronniers, j’ai entendu qu’on sautait et, en m^eme temps, il y avait des cris, non, pas des cris, des hurlements, des grognements si vous le voulez, qui remplissaient la plaine.
Sur un th`eme pareil, les imaginations excit'ees des Saint-Martinais avaient naturellement brod'e.
Apr`es les racontars des premi`eres personnes, d’autres avaient invent'e sans doute des d'etails surprenants.
Des gars se vantaient d’^etre entr'es au ch^ateau en franchissant les murs de cl^oture, tr`es 'elev'es cependant.
Ils racontaient qu’ils avaient vu dans le jardin, dans le parc, des ^etres fantastiques, des fant^omes li'es de cha^ines, d’'enormes chats qui grimpaient aux arbres, aussi de terrifiantes apparitions d’animaux gigantesques sur la description desquels ils ne s’entendaient pas d’ailleurs. Un beau jour, enfin, l’'emoi avait 'et'e `a son comble.
C’'etait une chose certaine, le garde champ^etre le racontait le soir `a l’auberge du carrefour, des coups de fusil avaient 'et'e tir'es `a l’int'erieur du parc. Trois coups de fusil, trois coups de feu s’'etaient succ'ed'e de tr`es pr`es, et avaient un instant, couvert les grognements qui maintenant, surtout le soir venu, se produisaient presque quotidiennement.
Enfin, mais de cela on n’en parlait gu`ere, on le chuchotait plut^ot avec un v'eritable effroi, il paraissait 'etabli que, de la Motte, un village distant de dix-huit kilom`etres, chaque soir, `a minuit, une voiture se dirigeait vers le ch^ateau, une voiture extraordinaire, pleine de chairs saignantes, conduite par un homme inconnu dans le pays. Le cheval en galopait toujours, et se rendait au ch^ateau en laissant sur la route de larges gouttelettes de sang.