La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Que faisait Fandor `a Saint-Martin ?
***
Il avait fait un r'eel prodige et pay'e d’audace en s’emparant de la lettre `a lui adress'ee par H'el`ene. Mais depuis qu’il avait lu les mots de la mourante, il 'etait `a vrai dire incapable de r'efl'echir, incapable d’une action sens'ee, d’une d'ecision raisonnable.
Fandor, en arrivant `a Cherbourg, en reconnaissant la fille de Fant^omas dans la personne de la dactylographe d’Herv'e Martel, avait, un instant, cru qu’il allait enfin toucher au bonheur, qu’il allait enfin pouvoir go^uter les joies d’un amour qui jusqu’alors ne lui avait apport'e que les plus cruelles tristesses.
Puis, des calamit'es terribles s’'etaient `a nouveau abattues sur le journaliste et voil`a qu’au moment o`u la police enti`ere 'etait mobilis'ee contre lui, o`u son signalement 'etait t'el'egraphi'e de tous c^ot'es, o`u on le recherchait comme on recherche un espion, un tra^itre abominable, il apprenait par surcro^it qu’H'el`ene 'etait mourante, qu’elle agonisait au ch^ateau de Saint-Martin.
— H'el`ene va mourir, s’'etait dit Fandor, je saurai trouver moyen de lui rendre ses derniers moments moins p'enibles, d’^etre `a c^ot'e d’elle. `A coup s^ur, avait imagin'e Fandor, H'el`ene est tomb'ee aux mains de Fant^omas. C’est Fant^omas, ce ne peut ^etre que Fant^omas, l’homme qui a abord'e, en barque, le sous-marin d'esempar'e. C’est lui qui a enlev'e la jeune fille. Mais cette lettre, n’'etait-elle pas dict'ee, sous la terreur, par Fant^omas ?
Or, H'el`ene 'ecrivait qu’elle 'etait mourante. N’y avait-il pas l`a une ruse ? La lettre 'etait-elle sinc`ere ? Fant^omas n’avait-il pas contraint sa fille qu’il aimait, `a adresser ce supr^eme appel `a Fandor ? Le jeune homme n’avait pas h'esit'e une seconde.
H'el`ene lui donnait son adresse. Elle lui disait qu’elle agonisait au ch^ateau de Saint-Martin, il irait `a Saint-Martin, il irait vers H'el`ene, au risque de se trouver face `a face avec Fant^omas.
Parce que le chemin de fer 'etait surveill'e, Fandor avait achet'e une bicyclette et avait gagn'e sa destination par la route.
`A peine le jeune homme 'etait-il sur la place du pays, – il 'etait cinq heures et demie du soir, – qu’il avisait un gamin appuy'e contre une maison et le regardant avec l’effarement que met un petit campagnard `a consid'erer un homme de la ville arr^et'e dans son pays.
— H'e, le gosse, criait Fandor, peux-tu me dire o`u est le ch^ateau ?
Il e^ut demand'e o`u se trouvait le roi, o`u l’on pendait les gens, o`u la guillotine fonctionnait, qu’il n’e^ut pas produit un effet plus consid'erable. Fandor avait cri'e `a haute et intelligible voix. Il assista non seulement `a la fuite 'eperdue de l’enfant, mais encore `a l’apparition simultan'ee d’une dizaine de t^etes aux maisons voisines.
— Tiens, pensa le journaliste, ils sont curieux dans ce patelin.
— S’il vous pla^it, pourriez-vous m’indiquer le chemin du ch^ateau ?
`A la question, pourtant simple du journaliste, le jeune homme devint rouge comme une pivoine, b'egaya quelque chose, puis regagna l’auberge sans demander son reste.
— Eh bien, murmura Fandor, d'epit'e, ils sont complaisants dans l’arrondissement.
Fandor, sans se d'ecourager cependant leva la t^ete, pr^et `a interroger l’un des paysans aux fen^etres. Mais, comme le journaliste se retournait, une par une, les fen^etres se referm`erent. Il n’y avait pas `a s’y tromper, on refusait de le renseigner.
Au tabac, Fandor demanda et obtint un paquet de cigarettes, puis en tendant sa monnaie, s’informa :
— Pourriez-vous m’indiquer, madame, le chemin du ch^ateau ?
Or, il n’avait pas sit^ot pos'e cette question que quatre paysans, occup'es dans un coin de la boutique `a vider des pichets de cidre, d’'emotion se lev`erent. La buraliste repoussa sa chaise et parut pr^ete `a dispara^itre.
— Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ? murmura-t-il, qu’est-ce qu’il y a donc de si 'etrange `a ma question ?
Et il r'ep'eta :
— Pourrais-je savoir par o`u je dois passer pour atteindre le ch^ateau ?
— Vous voulez aller au ch^ateau, monsieur ?
— Oui, madame, j’ai une visite `a y faire.
— Une visite ? Mais comment donc s’appellent les gens qui y habitent ?
— Ma foi, madame, je ne sais pas. Je ne connais pas ces personnes. J’ai besoin pr'ecis'ement de faire leur connaissance.
La buraliste se signa.
Maintenant, tout le monde parlait `a la fois.
Le ch^ateau hant'e.
Le monsieur de Paris ne le savait pas ? Des chats de deux m`etres. Des revenants, tra^inant des cha^ines. `A moins de vouloir se suicider, il ne fallait pas s’y rendre. On y livrait, chaque nuit, de la chair saignante.
19 – LES GARDIENS DU CH^ATEAU
— Si j’'etais mar'echal en chef, si j’'etais Napol'eon I er, il n’est pas douteux que j’ordonnerais `a l’un de mes clairons, de sonner le rassemblement. C’est l’instant. Il faut tenir conseil. H'elas, je ne suis pas Napol'eon. Je ne suis plus m^eme Fandor.
Il faisait nuit noire. La nuit imp'en'etrable des campagnes. Autour du ch^ateau, Fandor savait que d’un c^ot'e s’'etendaient des plaines immenses, que de l’autre s’'elevaient des arbres noirs aux craquements sinistres.
— D'ecid'ement, continuait J'er^ome Fandor, le bon Dieu n’est pas gentil pour moi, ca ne lui aurait rien co^ut'e du tout de m’accorder pour deux sous de lune.
Longeant toujours le mur, J'er^ome Fandor put se rendre compte de l’'etendue des terres entourant le ch^ateau. Ce n’est qu’au bout de deux heures de marche en effet qu’il revint `a son point de d'epart, devant la petite poterne, herm'etiquement close, `a laquelle aboutissait un 'etroit sentier.
— Est-ce par ici ? est-ce par l`a ? est-ce par ailleurs que je dois tenter l’escalade ? se demandait-il `a pr'esent.
— Morbleu, murmurait-il en se levant, il ne sera pas dit que j’aurai eu peur d’un danger inconnu.
Il siffla un petit air, il v'erifia l’armement de son revolver, puis, d'elib'er'ement, il s’approcha du haut mur.
Le journaliste se mentait un peu `a lui-m^eme. Non, ce n’'etait pas un danger inconnu qu’il allait affronter. C’'etait plus qu’un danger, c’'etait le Danger lui-m^eme, c’'etait le Crime, c’'etait Fant^omas.