La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— H'e, h'e, se disait le journaliste, en voil`a un croquemitaine, non seulement il tue les personnes maintenant, mais encore il les expose `a se transformer en p^at'e pour ses animaux domestiques. Tr`es peu, je ne me sens pas une vocation de comestible.
Il fallait aviser cependant. Certes, J'er^ome Fandor ne courait plus aucun danger pour l’instant. Perch'e sur son arbre, il pouvait exciter impun'ement la col`ere des fauves dont il voyait luire la prunelle dans l’ombre avoisinante. Mais il ne pouvait rester longtemps l`a. Dans sa fuite, il avait perdu son revolver, et d'esarm'e maintenant, il songeait que s’il demeurait sur sa branche d’arbre, in'evitablement Fant^omas, qui ne devait pas ^etre loin, le d'ecouvrirait. Il se trouverait alors `a sa merci.
— De plus en plus charmant, se d'eclara le journaliste, j’ai maintenant le choix entre la gueule des lions et les supplices vari'es que ne manquera pas d’inventer Fant^omas pour se d'ebarrasser de ma personne. Le malheur est que je pr'ef'ererais ne pas choisir, ou choisir un troisi`eme parti.
Fandor 'etait trop homme de ressource pour longtemps rester inactif.
— Il faut d’abord voir clair, pensa-t-il.
Sa petite lampe n’avait pas quitt'e la poche de son veston. Il l’alluma, et vit cinq lions.
— De quoi faire la joie d’un barnum, se murmura-t-il.
Le petit arbre sur lequel J'er^ome s’'etait si fortuitement r'efugi'e n’'etait pas tr`es 'eloign'e, il le constata avec un soupir de soulagement, d’une sorte de haut mur, fermant un enclos taill'e `a m^eme le parc.
— Ce sont d’anciennes 'ecuries, probablement, pensa Fandor. Les lions ne pourront jamais sauter ce mur. Si je parviens `a le rejoindre, moi, je serai hors d’atteinte.
Mais en m^eme temps qu’il envisageait la possibilit'e d’'echapper au terrible danger qui le menacait, J'er^ome Fandor songeait avec m'elancolie que pour rien au monde il ne consentirait `a user de ce moyen.
— Battre en retraite, renoncer `a rejoindre H'el`ene. Ah, non, pas ca ! J’aimerais encore mieux tenter d’apprivoiser les petites b^etes qui sont au pied de cet arbre, et qui me font l’amiti'e de me consid'erer comme une primeur.
« Si je descends, je suis mang'e, se r'ep'etait-il, si j’essaie de m’en aller par le mur, je renonce `a H'el`ene. Je ne veux ni ^etre mang'e ni m’enfuir, il faut trouver autre chose.
Or, c’'etait cette autre chose, ce moyen vague de s’'echapper que J'er^ome Fandor cherchait obstin'ement.
— Et allez donc, mes enfants, susurrait-il aux b^etes f'eroces, et allez donc, rossignols de m'enagerie, et allez donc, carlins `a Fant^omas, si vous vous imaginez que je vais me laisser bouffer par vous, vous vous mettez les quatre pattes et la queue dans l’oeil. Ou je ne m’appelle plus Fandor, ou Marin Premier va me tirer d’affaires.
Qu’avait invent'e J'er^ome Fandor ?
Le journaliste se livrait `a une surprenante manoeuvre. Quittant la branche d’arbre sur laquelle il 'etait assis, il se hissa `a la force des poignets le plus haut qu’il le put au long du tronc de son mince perchoir. L`a, J'er^ome Fandor se balanca de toute sa force. L’arbre 'etait jeune, souple, il oscilla faiblement d’abord, puis il s’inclina de plus en plus. Bient^ot J'er^ome Fandor parut juch'e sur le m^at d’un navire secou'e par une forte houle. Or, le journaliste avait merveilleusement combin'e son affaire. Au fur et `a mesure qu’il prenait plus d’'elan, il arrivait `a dominer de plus en plus l’enclos dessin'e par le mur apercu quelques instants auparavant. Un dernier effort. J'er^ome Fandor se rendait compte qu’`a chaque balancement de l’arbuste il d'epassait maintenant ce petit mur.
— Encore une fois, murmura-t-il, et, `a la gr^ace de Dieu, je l^ache tout.
Il tomba dans l’enclos. Il tomba sur de la terre grasse, se fit mal. Mais enfin il tomba hors de port'ee des lions. J'er^ome Fandor voulait donc fuir ? J'er^ome Fandor abandonnait donc l’id'ee de rejoindre celle qu’il aimait ? Le journaliste ne s’'etait pas relev'e, riant aux 'eclats de ce qu’il estimait dans son esprit ^etre une bonne farce jou'ee `a Fant^omas, qu’il traversait l’enclos, `a pas pr'ecipit'es. La lune, brusquement venait de surgir. Un peu de lumi`ere, une clart'e p^ale et blafarde lui permit de se diriger sans grand-peine. J'er^ome Fandor avisa un tonneau vermoulu que les pluies r'ecentes avaient `a demi rempli et qui attendait l`a, le long de la grande muraille :
— Ca ne vaut pas une baignoire laqu'ee blanc, murmura-t-il, mais enfin, il faut se contenter de ce qu’on a.
Le journaliste, d'elib'er'ement, sauta dans le tonneau. C’est en claquant des dents, en frissonnant au vent de la nuit qu’il en ressortit, tremp'e des pieds `a la t^ete.
— Et maintenant, se d'eclarait-il, rappelons-nous cet excellent Marin Premier, que nous avons eu l’occasion d’applaudir au temps de notre jeunesse dans les somptueuses ar`enes de Mugron quand il se payait superbement la t^ete des vaches landaises.
J'er^ome Fandor, tout en riant, avancait de quelques pas, vit un 'enorme tas de pl^atras provenant d’un 'eboulis de maconnerie, qui s’'etait produit dans la grande muraille. Soigneusement il pi'etina un pl^atras, le r'eduisit en poudre. Et quand il eut obtenu un tas de poussi`ere blanche, le plus tranquillement du monde, il en ramassa par poign'ees, en saupoudra ses v^etements mouill'es. Le pl^atre adh'erait naturellement aux 'etoffes tremp'ees d’eau. En un quart d’heure J'er^ome Fandor se rendit m'econnaissable. Il en sortit v^etu de blanc, comme un vrai Pierrot, sous la lumi`ere blafarde de la lune. J'er^ome Fandor, qui cependant avait au coeur une indicible angoisse, qui se rendait parfaitement compte qu’il allait affronter une mort terrible en n’ayant pour la vaincre qu’une chance infime, s’'ecria :
— Je plaignais mon complet tout `a l’heure pour les trois trous que je lui avais fait, je crois que maintenant, apr`es la poudre de riz dont je viens de me servir, il sera d'ecid'ement bon `a mettre de c^ot'e pour ^etre offert `a Bouzille. Si jamais je retrouve Bouzille.
Le journaliste s’'etant consciencieusement saupoudr'e, alla qu'erir une 'echelle, l’appuya contre le mur, franchit celui-ci :
— Les fauves ne sont pas loin, dit-il, gare `a la manoeuvre.
J'er^ome Fandor, en effet, n’avait pas avanc'e de quelques m`etres dans l’all'ee d'eserte conduisant au ch^ateau, qu’il distingua maintenant distinctement, au clair de lune, un 'enorme lion accourant au galop vers lui.
— Celui-l`a, monologua Fandor, il doit s’appeler C'esar. Il a une t^ete `a ca.
Et tandis que le lion arrivait, J'er^ome Fandor s’immobilisait dans une pose 'etrange, un sourire sur les l`evres, l’oeil fixe, les bras arrondis en un geste gracieux, dans la pose classique du joueur de fl^ute d’Antino'e. Le lion approchait toujours.
Plus mort que vif, J'er^ome Fandor ne bougeait pas. Alors, la b^ete f'eroce s’arr^eta, demeura immobile un instant, pr^ete `a sauter `a la gorge de l’homme, puis soudain, le lion poussa un grognement, sa longue queue fouailla ses flancs, et c’'etait `a un petit trot paisible qu’il continua d’avancer.