La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Mal'ediction, c’est H'el`ene, c’est ma fille.
Moins de cinq minutes plus tard, Kervalac s’apercut que la remorque 'etait d'etach'ee, que son b^atiment flottait `a l’aventure, que la mar'ee l’emportait vers le large, cependant que la barque du sauveteur, dans la nuit, au lointain, comme un oiseau volant au ras des eaux, disparaissait au milieu de la temp^ete.
***
Dans le grand salon luxueusement meubl'e attenant `a son cabinet de travail `a bord du Courage, cuirass'e d’escadre battant son pavillon, l’amiral Achard se tenait immobile, songeur.
C’'etait le type du vieux marin, parfait homme du monde, ayant conquis ses grades par sa valeur, les ayant justifi'es par sa courtoisie parfaite, alli'ee `a une haute science de technicien. L’amiral Achard 'etait, en justes proportions, craint et aim'e de tous les officiers. On le savait s'ev`ere, mais juste et il 'etait redout'e pour la discipline s'ev`ere qu’il maintenait dans son 'equipage. On s’accordait `a reconna^itre qu’il avait le droit d’^etre strict, 'etant lui-m^eme le premier `a faire son devoir, 'etant aussi bon homme de guerre que manoeuvrier habile et chef indulgent, lorsque l’indulgence n’'etait pas une faiblesse. L’amiral Achard, peu de temps avant, avait 'et'e averti par un officier de son bord que le lieutenant de Kervalac, commandant le sous-marin L’OEuf, d'esempar'e `a la suite d’un accident inconnu, entra^in'e par le flot au large de Cherbourg, miraculeusement retrouv'e par un contre-torpilleur qui lui avait donn'e la remorque et l’avait ramen'e en rade, demandait `a lui parler pour lui faire un rapport tr`es grave. L’amiral Achard d'ej`a document'e sur l’ensemble des faits par le rapport qu’il avait recu du lieutenant de vaisseau commandant le contre-torpilleur ayant sauv'e L’OEuf, avait imm'ediatement donn'e l’ordre d’introduire le jeune capitaine. C’'etait lui qu’il attendait. Deux coups discrets, la porte du salon s’ouvrit, un fusilier pr'esentant les armes annonca :
— Le lieutenant de Kervalac.
L’amiral Achard fit trois pas en avant. Son maintien, grave tout `a l’heure, s’'etait soudainement fait 'emu. Comme le fusilier refermait la porte du salon, comme le lieutenant de Kervalac, apr`es avoir fait trois pas, saluait `a l’ordonnance l’amiral Achard, puis s’immobilisait dans une position d'ef'erente, le commandant supr^eme de l’escadre s’avanca, les deux bras tendus, vers le jeune officier.
— Mon enfant, dit-il, mon brave enfant, merci, merci.
— Amiral, r'epondit le lieutenant, je ne sais de quoi vous me remerciez, je n’ai fait que mon devoir.
— Lieutenant, en effet j’oublie que je suis votre chef et que vous n’avez fait que votre devoir, comme vous le dites. Avant d’entendre votre rapport, je me rappelle que j’aime tous mes officiers comme des fils et c’est pourquoi je vous remercie encore. Je sais, mon enfant, je sais d'ej`a que votre bravoure calme, votre sang-froid clairvoyant, ont 'evit'e une catastrophe. Vous avez conserv'e `a la France ses braves matelots et un navire qui, maintenant, a fait ses preuves de robustesse, c’est de cela que je vous dis merci, d’homme `a homme.
— Amiral, amiral…
Mais cette premi`ere minute d’'emotion pass'ee, l’amiral Achard sembla faire un violent effort sur lui-m^eme pour retrouver son impassibilit'e coutumi`ere. Et c’est maintenant l’amiral qui devait entendre le rapport du commandant du sous-marin :
— Je vous 'ecoute, lieutenant de Kervalac, avez-vous r'edig'e votre rapport ?
— Non, mon amiral. J’ai des faits si graves `a vous signaler que j’ai pr'ef'er'e vous demander audience auparavant.
— Parlez, lieutenant.
— Amiral, voici ces faits.
D’une voix nette, claire, incisive, le lieutenant de Kervalac fit `a l’amiral Achard le r'ecit d'etaill'e du naufrage extraordinaire de L’OEuf. Il 'evita `a dessein de se mettre en valeur. Il termina par ces mots :
— Mais il y a autre chose, mon amiral, autre chose que je ne comprends pas, que je ne sais pas, que je soupconne, qui me fait fr'emir.
— Lieutenant, que voulez-vous dire ? Je ne vous comprends pas.
— Amiral, d'eclarait l’officier, j’attire votre attention sur ces faits : au moment o`u je m’appr^etais `a quitter la rade pour aller explorer les fonds avoisinant le navire le Triumph, naufrag'e au cours de la derni`ere temp^ete, une inconnue, une femme, dont je vous ai d'ej`a signal'e la pr'esence, demanda `a monter `a mon bord et je ne pus m’y opposer, car elle 'etait porteuse d’une d'ep^eche officielle 'emanant du minist`ere et l’autorisant en effet `a embarquer. Cette femme, mon amiral, s’est tu'ee au moment o`u la torpille foncait sur nous. Cette torpille, mon amiral, sauf erreur de ma part, je suis certain qu’elle provenait des pontons de renflouement. C’est de l`a qu’elle a 'et'e dirig'ee sur mon bateau. Ce n’'etait pas, en effet, une torpille perdue, flottant au hasard, mais bien une torpille en action, dont le m'ecanisme fonctionnait, qui avait 'et'e point'ee sur nous. Amiral, cette femme qui s’est frapp'ee `a mon bord, cette femme dont je ne sais point le nom, je l’ai fait transporter, je vous l’ai dit, `a bord de la barque qui nous accosta apr`es notre remont'ee, et qui semblait vouloir nous donner la remorque. Mon amiral, je soupconne que cette barque 'etait men'ee par un homme venant des pontons de renflouement. Or, cet homme a volontairement coup'e la remorque qui attachait son bachot `a mon sous-marin. Cet homme nous a volontairement laiss'e partir `a la d'erive. Cet homme, amiral, ne peut ^etre que l’assassin qui avait point'e la torpille sur nous.
— Que concluez-vous donc, lieutenant ?
— Ceci, mon amiral. Je me demande si la femme que nous avions `a bord n’avait pas accept'e la mission p'erilleuse de guider mon sous-marin, si cela avait 'et'e n'ecessaire, vers les pontons de renflouement d’o`u on devait le torpiller. Elle avait sans doute fait bon march'e de sa vie. Elle acceptait de mourir avec mon 'equipage et moi. Mon amiral, c’est une co"incidence extraordinaire, un hasard miraculeux, plus encore que ma manoeuvre, qui a sauv'e L’OEuf. L’homme qui devait le torpiller, le voyant revenir `a la surface, a d^u, tr`es 'etonn'e de sa r'eapparition, vouloir joindre mon bord pour s’assurer de ce qu’'etait devenue sa complice. Comme `a ce moment je lui ai fait remettre cette complice. C’est alors, amiral, que l’ayant emport'ee, il s’est enfui en nous exposant `a nouveau `a un second naufrage.
— Lieutenant de Kervalac, ce que vous dites est 'epouvantable. Vous ne croyez pas `a un accident ? Vous parlez de crime. C’est effroyable ce que vous inventez l`a. Avez-vous bien r'efl'echi, bien pes'e la gravit'e de vos affirmations ? Avez-vous quelqu’un `a accuser ? Savez-vous quel est cet homme ? qui il pourrait ^etre ?
— Amiral, sur mon honneur et sur ma conscience, je ne parle pas au hasard, ce n’est pas au hasard que je porte une si grave accusation, ce n’est pas au hasard que je vais citer un nom. J’accuse quelqu’un, amiral, j’ai l’honneur d’accuser devant vous, de facon formelle, le journaliste J'er^ome Fandor.
Et petit `a petit, s’emportant, s’animant `a d'evelopper ses arguments, `a ajouter les preuves aux preuves, le lieutenant de Kervalac exposa `a son chef les raisons qui l’avaient conduit `a soupconner J'er^ome Fandor :
— Pourquoi ce journaliste porte-t-il un int'er^et si pressant aux choses de la marine ? Pourquoi, depuis huit jours qu’il est `a Cherbourg, le rencontre-t-on continuellement avec des officiers ? Pourquoi, s’il n’a pas un but myst'erieux, se renseigne-t-il perp'etuellement sur les op'erations de renflouement tent'ees sur le Triumph, op'erations, qui, je vous l’ai dit, mon amiral, sont extraordinairement suspectes, d’apr`es ce qu’il r'esulte de mes explorations sous-marines. Amiral, le journaliste Fandor, `a vingt reprises diff'erentes, a questionn'e mes matelots, les a fait parler, les a interrog'es sur mon bateau, je l’ai appris par une enqu^ete rapide. Amiral, le journaliste J'er^ome Fandor savait, par qui ? comment ? pourquoi ? je l’ignore, mais il le savait, que mon navire allait ^etre charg'e d’explorer l’'epave du Triumph. Amiral, le journaliste J'er^ome Fandor a obtenu du minist`ere, par je ne sais quelle influence occulte, une permission d’embarquement, qui n’est cependant d'elivr'ee que tr`es difficilement. Amiral, j’ai r'eserv'e enfin la plus terrible preuve pour la fin de mon argumentation : non seulement il est facile d’'etablir que le journaliste J'er^ome Fandor connaissait la jeune femme qu’il fit embarquer `a sa place `a bord du sous-marin, mais encore, au moment m^eme o`u l’on transportait cette mis'erable pour la faire s’installer `a bord de la barque qui avait l’air de venir nous sauver, je l’ai entendue murmurer tr`es distinctement :