La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Je vous croirais, Fandor, si je pouvais admettre que mon p`ere e^ut su d’avance que le Triumphallait couler. Il aurait pu, alors, je l’admets, pr'eparer la fausse monnaie, mais vous oubliez que le naufrage de ce bateau est d^u au gros temps, `a la mer d'emont'ee, que mon p`ere, par cons'equent, ne peut pas en ^etre rendu responsable, et qu’il n’aurait pas eu le temps de pr'eparer la fausse monnaie. Je vous croirai, Fandor, quand j’aurai vu, de mes yeux vu, le sauveteur, et quand je me serai persuad'ee que c’est…
— 'Ecoutez, H'el`ene, je tiens `a agir loyalement avec vous. Ce que je vous ai dit, j’en suis certain, mais je n’en ai pas de preuve, Cette preuve, je vais pourtant vous la fournir. 'Ecoutez-moi bien. Vous savez que la direction du port veut faire sauter l’'epave du Triumph. Ce soir m^eme, d’ici une heure, un sous-marin, L’OEuf, va aller reconna^itre la situation et pr'eparer l’op'eration. Au prix de mille difficult'es, j’ai obtenu de Paris l’autorisation d’embarquer `a bord. Il est certain que celui-ci passera sous les pontons de renflouement. Je ne doute pas qu’au cours de sa croisi`ere, quelqu’un de pr'evenu ne puisse acqu'erir la certitude rigoureuse de ce que j’avancais tout `a l’heure. Eh bien, voulez-vous embarquer `a ma place, aller `a ma place chercher ces preuves que vous me demandez ? Je ne vous demande pas de m’aider `a m’emparer de votre p`ere, je vous demande d’aller loyalement acqu'erir la conviction que je n’invente rien, que je ne me suis point tromp'e, que j’ai raison de le poursuivre.
***
H'el`ene venait d’arriver `a bord du sous-marin L’OEufet le lieutenant de Kervalac, bien que surpris de l’autorisation donn'ee par le minist`ere de la Marine, n’avait fait aucune difficult'e `a l’admettre dans son petit b^atiment, 'etant assez amus'e par l’id'ee qu’il allait piloter une femme sous les flots.
— Mademoiselle, expliqua le lieutenant, conduisant H'el`ene `a l’un des compartiments 'etanches de l’'etroit b^atiment, vous n’avez certainement jamais effectu'e de plong'ee. Vous m’excuserez par cons'equent de vous donner quelques indications sur la facon dont vous devez vous acquitter de votre r^ole de passag`ere. Vous allez vous installer sur ce pliant, je regrette de n’avoir pas mieux `a vous offrir, mais notre installation est rudimentaire. Par ce hublot, vous pourrez observer, sur la droite du b^atiment, tout ce qui se passera, car L’OEuf, que j’ai l’honneur de commander, est muni de puissants projecteurs qui permettent d’explorer le fond de la mer assez facilement. Enfin, je vous recommande de ne pas bouger, quoi que vous entendiez, sauf si je vous en donne l’ordre. J’ajoute que vous ne courez aucun risque, que vous ne devez 'eprouver aucune 'emotion, mais enfin deux prudences valent mieux qu’une, et il n’arriverait jamais d’accident `a bord des sous-marins si chacun ex'ecutait exactement les consignes.
Le lieutenant de Kervalac, abandonnant sa passag`ere au poste qu’il lui avait assign'e, se dirigea vers le blockhaus o`u le p'eriscope allait lui permettre de diriger son bateau.
— En avant, doucement.
L’h'elice tr'epida, la coque de noix gagna le milieu de la passe.
— En avant, `a toute allure.
— Les panneaux sont ferm'es ?
— Oui, commandant.
— Eh bien, mes enfants, ouvrez les vannes, inclinez les gouvernails, en plong'ee par fond de dix m`etres.
H'el`ene sentit le navire s’affaisser, couler sous elle, cependant qu’un bouillonnement marquait sa disparition de la surface des flots, cependant que l’on entendait les r'eservoirs formant contrepoids s’emplir `a grands fracas. 'Etrange, 'epouvantable, angoissant au supr^eme degr'e. H'el`ene avait un peu p^ali, elle serrait les dents, mais ne bronchait pas. Qu’allait-elle voir ? Fandor avait-il eu raison ? Ah, L’OEufpouvait s’enfoncer dans la profondeur opaque des eaux glauques, L’OEufpouvait couler dans le grand oc'ean, ce n’'etait pas `a cela que songeait la fille de Fant^omas. Elle se demandait si son fianc'e avait eu tort ou raison, si c’'etait son p`ere, si c’'etait l’infernal Fant^omas, l’auteur des drames qui bouleversaient encore une fois sa vie, qui menacaient d’'eloigner d’elle, une fois de plus, le bonheur. Qu’allait-elle voir ? Apr`es dix minutes peut-^etre de marche silencieuse, soudain le lieutenant de Kervalac cria un ordre :
— Le projecteur avant droit, pleins feux.
Le visage coll'e au hublot, H'el`ene vit tout un fourmillement d’^etres surprenants, des bancs de poissons qui se sauvaient, des poulpes qui tordaient leurs tentacules, des m'eduses incendi'ees de mille reflets, une for^et sous-marine dans laquelle L’OEufglissait `a vive allure. La jeune fille, toutefois, n’eut pas longtemps le loisir de contempler le paysage de r^eve 'eclair'e par le projecteur.
Un ordre r'esonna :
— Un quart `a tribord, les machines `a demi-vitesse.
Le petit navire pivota sur lui-m^eme, ralentit sa marche et soudain, dans le silence de sa coque d’acier, une exclamation 'etonn'ee retentit :
— Ah sapristi, que diable cela veut-il dire ?
Le lieutenant de Kervalac, de son poste de commandement, avait apercu quelque chose d’extraordinaire, quelque spectacle surprenant :
— Timonier, ordonnait-il, passez-moi la barre.
Le lieutenant, au gouvernail, manoeuvra lentement, savamment, et bient^ot, dans l’encadrement rond de son hublot, H'el`ene vit ce qui avait motiv'e la surprise de l’officier. L’OEufvenait de parvenir `a la hauteur de l’'epave du Triumph. Le vaisseau coul'e avait d^u toucher le fond en s’inclinant sur le flanc. Mais il 'etait tomb'e sur un fond de vase, et la vase, d'ej`a, l’avait englouti, `a tel point que seuls les m^ats apparaissaient, dress'es dans l’eau, comme plant'es sur le fond m^eme de la rade.
Et le lieutenant de Kervalac, du haut de sa tourelle, criait `a sa passag`ere :
— Regardez donc, mademoiselle, c’est extraordinaire. C’est invraisemblable, ce que nous voyons. Le Triumphest d'ej`a `a cinq m`etres sous la vase, et pourtant le sauveteur norv'egien pr'etendait encore aujourd’hui m^eme que ses scaphandriers atteignaient la cale du b^atiment. Il en donnait pour preuves les caisses d’or rep^ech'ees. Mis'ericorde. Je me demande comment il a pu faire pour les retirer, ces caisses d’or ? En haut, d'elestez du quart, laissez battre `a demi-vitesse.
Le sous-marin, all'eg'e par la manoeuvre, regagna la surface.
— Stop, commanda le lieutenant.
Le navire s’immobilisa lentement et de nouveau le lieutenant de Kervalac attira l’attention de la fille de Fant^omas :
— Ah bougre de bougre, mais c’est encore plus extraordinaire que n’importe quoi. Regardez, mademoiselle, nous sommes `a c^ot'e des pontons de renflouement, et, tenez, voyez-vous, en dessous du plus gros, `a droite, il y a cinq caisses qui se balancent `a bout de cordes. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?
Le lieutenant parlait en toute tranquillit'e d’^ame, car il 'etait `a coup s^ur fort 'eloign'e de deviner le trouble o`u ses paroles jetaient sa passag`ere.
Ainsi, c’'etait vrai, le sauvetage des caisses d’or 'etait impossible puisque le Triumph'etait envas'e. Les caisses d’or ramen'ees `a la surface ne provenaient pas de ses cales. Fandor avait eu raison.
— Vous voyez, mademoiselle ? criait le lieutenant de Kervalac.
Mais une d'etonation l’interrompit, le claquement que produit un coup de revolver.