La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Si vous arr^etez Prosper, il mangera le morceau.
— Que faire ? dit Nalorgne.
— Que faire ? r'ep'eta P'erouzin.
***
Une heure apr`es cet 'echange de vues, Nalorgne et P'erouzin arrivaient rue Saint-Ferdinand et montaient `a l’appartement lou'e au nom d’Irma de Steinkerque et dans lequel l’ancien cocher Prosper avait 'elu domicile, passant le plus clair de son temps avec sa nouvelle ma^itresse.
Il 'etait onze heures du matin lorsqu’ils sonn`erent. Une vieille femme de m'enage qui venait leur ouvrir demeurait interdite `a la vue de ces deux personnages, gravement boutonn'es dans leur redingote et coiff'es de chapeaux hauts-de-forme surann'es.
— Des huissiers, dit-elle, et elle allait leur claquer la porte au nez.
Mais Nalorgne l’en emp^echa :
— N’ayez aucune crainte, ma bonne dame, lui dit-il, nous sommes des amis de Madame et de Monsieur, nous voudrions bien les voir. Annoncez-nous.
Ils furent introduits au salon et, un instant plus tard, la femme de m'enage revenait.
— Madame va venir. Monsieur est absent.
— Bonne affaire, dit Nalorgne, si Prosper n’est pas l`a nous gagnons du temps.
Irma de Steinkerque apparut envelopp'ee d’un grand peignoir rose, le visage couvert de poudre de riz.
— Excusez mon n'eglig'e, mes chers amis, d'eclara-t-elle, en saluant d’un bienveillant sourire Nalorgne et P'erouzin qui s’'etaient lev'es, comme mus par un ressort `a l’entr'ee de la majestueuse personne.
Celle-ci, apr`es avoir recu les hommages qui lui 'etaient dus en sa qualit'e de jolie femme, sonna la bonne :
— Apportez donc l’ap'ero, ordonna-t-elle, c’est le meilleur moyen de causer.
Puis, se tournant vers Nalorgne et P'erouzin, elle minauda :
— Vous prendrez bien un petit vermouth, n’est-ce pas ?
Irma de Steinkerque ajoutait :
— C’en est du bon. Prosper me l’a fait acheter et il s’y conna^it. Au fait, c’est lui que vous veniez voir, sans doute ?
— Oui, mais vous aussi…
— 'Ecoutez, fit-elle, ce n’est pas pour vous renvoyer, bien au contraire, vous me feriez m^eme grand plaisir en acceptant de d'ejeuner avec moi, mais je dois vous dire que je serai toute seule, car Prosper est absent, absent de Paris.
— Ah, s’'ecri`erent ensemble Nalorgne et P'erouzin, qui se regard`erent alarm'es.
Une m^eme pens'ee, en effet, leur venait `a l’esprit : du moment que Prosper 'etait absent, cela corsait singuli`erement les soupcons que les deux amis pouvaient avoir `a son sujet, relativement `a l’assassinat de M. Herv'e Martel.
Diable, l’affaire devenait de plus en plus grave et Nalorgne, d’un signe imperceptible, fit comprendre `a P'erouzin que celui-ci d'esormais devait se taire, 'eviter de prononcer la moindre parole compromettante.
Irma de Steinkerque, cependant, se faisait de plus en plus aimable. Et apr`es avoir offert l’ap'eritif `a ses h^otes, elle insista tellement que ceux-ci, qui n’'etaient jamais hostiles aux 'economies, accept`erent de d'ejeuner en sa compagnie.
— D’ailleurs, leur avait d'eclar'e la jolie femme, avec une nuance de tristesse, croyez que votre pr'esence me fera bien plaisir, car je vous avoue que je m’ennuie toute seule et je le suis souvent. Prosper est un dr^ole de type, c’est un gentil garcon, sans doute, mais enfin, il a des mani`eres si bizarres.
Lorsque le d'ejeuner, un peu avanc'e, eut d'eli'e les langues et mis de la cordialit'e dans l’air, Irma reparla de son amant :
— Mais au fait, d'eclara-t-elle soudain, puisque vous ^etes venus le chercher ce matin, c’est que vous aviez sans doute quelque chose `a lui dire. Je ne sais pas exactement o`u il est, mais cependant, si vous y teniez, on pourrait savoir.
— Non, ne nous dites rien.
— Pourquoi ? demanda Irma.
— Parce que, dit P'erouzin, nous avons tout int'er^et `a ne pas nous rencontrer.
— Eh bien, vous ^etes de dr^oles de types, vous. Vous venez, cens'ement, pour voir un ami, vous avez l’air enchant'es de ne pas le rencontrer, vous ne voulez pas savoir o`u il se trouve.
— Ca, dit alors Nalorgne, ce sont des myst`eres qu’il ne vous appartient pas d’approfondir. Je vous demande m^eme une chose, c’est de garder le secret sur notre visite.
Steinkerque 'etait de plus en plus intrigu'ee. Nalorgne se rendait compte que pour ne pas 'eveiller les soupcons de son esprit, il fallait `a toute force trouver un motif `a leur venue. Mais ce motif ne se pr'ecisait pas nettement `a son esprit. Et cette fois, ce fut P'erouzin qui sauva la situation :
— Vous nous disiez tout `a l’heure, ch`ere madame, combien l’existence perp'etuellement seule vous 'etait d'esagr'eable ?
— Oh, ce n’est pas tant d’^etre seule qui m’ennuie, c’est surtout de changer. Vous comprenez bien dans mon m'etier l’existence n’est pas toujours dr^ole. On fait sa vie avec un homme, on s’y habitue pendant huit jours, puis tout est `a recommencer avec un autre. Moi qui suis au fond une femme tranquille, une femme d’habitudes, il me faudrait une affection durable.
— Je vois ce que c’est, il vous faudrait un mari ?
— Ca serait le r^eve, naturellement, mais ca ne se trouve pas comme ca sur un bord de trottoir, les maris.
— Qui sait, on pourrait peut-^etre vous trouver ca.
Tant et si bien que les deux associ'es en vinrent `a lui parler du vieux M. Ronier.
— Un petit vieux bien propre, voil`a ce qu’il me faut, vous avez tout `a fait raison, s’'ecria Irma enthousiasm'ee.
Et P'erouzin qui ne voyait pas plus loin que le bout de son nez, donnait `a la demi-mondaine tous les renseignements possibles et imaginables sur le futur mari qu’il lui destinait. Mais, se disait Nalorgne, pendant ce temps, 'etait-ce bien prudent de mettre en rapport Juve et la cocotte ? D’ailleurs, tant pis, le vin 'etait tir'e et Irma leur d'eclarait :