La mort de Juve (Смерть Жюва)
Шрифт:
Juve n’essaya pas de retenir son ami, mais connaisseur de l’^ame humaine, il dit simplement `a son ami :
— La personnalit'e de Fant^omas te pr'eoccupe, Fandor, mais avoue-le, ce qui te pr'eoccupe surtout, c’est de retrouver H'el`ene et de pouvoir la rejoindre, la voir, lui parler. Fandor, Fandor, tu l’aimes encore, tu l’aimes toujours, tu l’aimes plus que jamais.
D'ej`a le journaliste 'etait sur le seuil de la porte, il h'esita une seconde, puis, rebroussant chemin, il vint vers Juve, prit les mains glac'ees du policier dans les siennes, les serra chaleureusement et, d’une voix 'etouff'ee, presque confuse, comme un enfant qui confesse une faute, il reconnut avec des sanglots dans la voix :
— Eh bien, oui, je l’aime, Juve, je l’aime 'eperdument.
***
— Le Palace-H^otel, s’il vous pla^it ?
— Ah ! mon bon monsieur, si vous n’avez pas peur de marcher, vous pouvez vous y rendre `a pied. Mais c’est tout `a l’autre bout de la ville, en face la plage. Ici, vous n’^etes qu’`a la gare, il y a pr`es de deux kilom`etres.
Fandor se demanda un instant s’il n’allait pas r'epondre aux suggestions int'eress'ees que lui formulait le cocher auquel il demandait ce renseignement.
Le train avait eu quelque retard, il 'etait d'ej`a neuf heures du soir et le journaliste dominait difficilement son impatience.
— Allez, dit-il au cocher, et vivement ! Vous m’arr^eterez `a cent m`etres de l’h^otel.
Le cocher ex'ecuta les ordres de son client et Fandor, entr'e inapercu, demanda timidement `a un portier aux v^etements dor'es :
— Pourriez-vous me dire si la dactylographe de M. Herv'e Martel est visible en ce moment ?
Le portier, grave et majestueux, mit en branle plusieurs sonneries 'electriques, appela `a diff'erents postes t'el'ephoniques et devant ce d'eploiement de forces myst'erieuses, Fandor sentit son coeur battre `a rompre, dans sa poitrine, car si on lui r'epondait par l’affirmative, qu’allait-il dire ? Sous quel nom devait-il se faire annoncer ? En pr'esence de qui se trouverait-il ?
Assur'ement, si la jeune fille qu’il demandait 'etait bien la fille de Fant^omas, et si, comme il le croyait encore, Herv'e Martel n’'etait autre que Fant^omas lui-m^eme, ces deux myst'erieux personnages devaient se tenir perp'etuellement sur leurs gardes.
Avec un fort accent tudesque, le portier aux allures de Saxon expliqua :
— La demoiselle est sortie depuis une heure et n’est pas encore rentr'ee, mais elle ne tardera sans doute pas car elle n’a pas encore pris son souper.
Fandor remercia, parcourut un instant le vaste hall de l’h^otel, mais il s’y trouvait trop visible, trop expos'e, trop facilement reconnaissable dans l’'eblouissement des lumi`eres.
— Si elle est sortie, pensa-t-il, autant l’attendre dans les jardins, je la verrai bien venir.
Le journaliste, descendant pr'ecipitamment le perron du vestibule, 'eprouva une certaine satisfaction `a se dissimuler dans l’ombre. Fandor alla jusqu’`a la grille du jardin, surveilla quelques instants la rue d'eserte qui longeait le port et, soudain, tressaillit. Le silence qui r'egnait venait d’^etre interrompu par le bruit sec d’un petit pas rapide.
— C’est elle, murmura Fandor, c’est H'el`ene, comment va-t-elle m’accueillir ?
Il s’avanca. H'el`ene s’arr^eta :
— Monsieur Fandor.
Et la surprise 'etait si vive, si inattendue, que la jeune fille manquait d'efaillir, mais Fandor se pr'ecipitait vers elle, la soutenait, passait son bras autour de sa taille souple.
— H'el`ene, vous ne m’en voulez pas ?
— Non, Fandor, je ne vous en veux pas, je ne vous en ai jamais voulu.
— Ne songeons plus au pass'e, dit Fandor.
— Pourquoi, dit-elle, tout ^etre humain n’a-t-il pas le droit, ici-bas, d’obtenir un jour sa part de bonheur ? N’avons-nous pas, l’un et l’autre, suffisamment souffert dans l’existence pour esp'erer une compensation ?
Fandor n’en croyait pas ses oreilles.
Quoi, c’'etait H'el`ene, c’'etait la fille de Fant^omas qui parlait ainsi ? C’'etait elle, la femme imp'etueuse, perp'etuellement r'evolt'ee contre le sort, la femme aux d'ecisions irr'evocables, aux col`eres soudaines, aux rancoeurs terribles qui s’exprimait ainsi ?
— H'el`ene, est-ce votre pens'ee sinc`ere ?
— Oui, Fandor, je vous dis ce que je pense, j’esp`ere que nous sommes tous les deux des ^etres assez forts et des coeurs assez g'en'ereux pour n’avoir pas besoin de dissimuler. Si j’ai 'et'e, comme vous le savez, m^el'ee `a de tragiques aventures, c’est `a mon corps d'efendant. Si j’ai men'e l’existence que vous connaissez, c’est qu’il m’a fallu perp'etuellement lutter, perp'etuellement agir.
— Oui, je sais, vous passez votre existence, H'el`ene, `a contrecarrer les forfaits de votre p`ere et aussi `a vous efforcer de le faire 'echapper au ch^atiment !
— C’'etait mon devoir, Fandor.
— Votre devoir a-t-il chang'e ?
— Le devoir est toujours le devoir, mais mon p`ere a depuis longtemps d'ej`a renonc'e `a l’existence que je r'eprouve. Il s’est amend'e. Il expie.
— H'el`ene, est-ce possible ? Ne vous illusionnez-vous pas ?
— Je sais ce que je dis, Fandor. Voil`a six mois d'ej`a que je n’ai pas revu mon p`ere. La derni`ere fois qu’il m’a parl'e, il m’a jur'e de changer de vie. Il a tenu sa parole et d'esormais, Fandor, je suis pr^ete `a vous aimer, je vous aime.
— H'el`ene, H'el`ene, murmura-t-il, je suis d'esesp'er'e de ce que je vais vous dire. Vous vivez dans un r^eve, et dans un instant, je vais vous faire entrevoir l’affreuse r'ealit'e. Vous connaissez Herv'e Martel ?
— Oui. Fandor, c’est le courtier maritime chez lequel je travaille comme dactylographe depuis quelques mois.
— Savez-vous, poursuivit Fandor, qui est Herv'e Martel ?
— Je ne comprends pas votre question ?
Le journaliste avait l^ach'e les mains de celle qu’il aimait.