La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Nalorgne et P'erouzin n’'etaient pas autrement rassur'es. Jusqu’`a pr'esent, ils avaient trouv'e profit `a travailler pour Fant^omas. Mais ils 'etaient loin d’avoir le temp'erament 'energique et combatif du G'enie du Crime. Nalorgne et P'erouzin n’'etaient m^urs que pour les petites escroqueries, les modestes ind'elicatesses, les ignominies restreintes. L’audace de Fant^omas les terrorisait, mais, timides `a l’extr^eme et perp'etuellement inquiets, aussi bien du ch^atiment que de la vengeance, ils n’osaient r'eagir. Situation 'etrange que la leur, du reste. Ils faisaient des d'emarches pour ^etre accr'edit'es dans la police et faire partie de la S^uret'e parisienne. En ce m^eme temps, ils se trouvaient embauch'es par le plus redoutable des criminels, et depuis quelques jours 'etaient devenus ses complices. Nalorgne et P'erouzin se demandaient fr'equemment depuis quelques jours comment tout cela finirait. Pour l’instant toutefois, ils restaient plant'es l`a, yeux 'ecarquill'es devant le spectacle que leur montrait le Ma^itre. Apr`es leur avoir fait traverser quelques pi`eces encombr'ees de caisses de toutes sortes, ils les avait introduits dans un vaste atelier o`u une odeur d’acide prenait `a la gorge et vous arrachait des larmes br^ulantes. Quelques ouvriers. Des caisses.
Un homme allait et venait de l’'etabli `a la caisse ouverte. `A chaque voyage, il portait des rouleaux d’or, qu’il d'eposait dans la seule caisse qui f^ut encore ouverte.
Fant^omas expliquait :
— Voil`a les caisses qui seront rep^ech'ees du navire coul'e `a Cherbourg. Vous voyez ce qu’elles contiennent ?
— Naturellement, fit P'erouzin, des louis d’or, dame !
Fant^omas ricana, puis, haussant les 'epaules :
— Imb'ecile, c’est de la fausse monnaie. Vous Nalorgne, qui connaissez la musique, v'erifiez donc si les marques, les d'esignations que je viens de faire reproduire sur les caisses que nous avons ici sont conformes aux connaissements.
— Ah c`a ! dit P'erouzin, mais vous avez vos entr'ees partout. Ces papiers-l`a devraient ^etre en la possession de la Compagnie d’assurances qui a garanti le risque, ou tout au moins entre les mains du courtier.
— Imb'ecile, fit Fant^omas, ils 'etaient peut-^etre, ces jours derniers, dans les dossiers d’Herv'e Martel. Mais j’en ai eu besoin, et les voil`a.
Les deux associ'es, interdits, se taisaient, admirant l’imperturbable calme de Fant^omas.
Dans l’atelier, silencieux, discrets et actifs, trois hommes s’empressaient. Un graveur donnait le dernier coup de poli aux pi`eces d’or qu’un autre ouvrier mettait en rouleaux, portait dans les caisses, cependant que le troisi`eme ternissait le bois neuf o`u il portait les signes convenables. `A n’en pas douter, on pr'eparait la substitution. Mais comment allait proc'eder Fant^omas ? C’est ce que Nalorgne et P'erouzin auraient bien voulu savoir. Fant^omas, cependant, au lieu de les renseigner, les questionna :
— Qu’y a-t-il de nouveau avenue Niel ? Les inspecteurs de la S^uret'e, L'eon et Michel, y sont-ils toujours ?
— Ma foi, oui, d'eclar`erent ensemble Nalorgne et P'erouzin, voil`a pr`es d’une semaine qu’ils ne quittent pas le domicile du courtier. Cela menace de durer.
— Cela ne durera pas. Demain, tout sera fini. Tant pis pour eux. Tant pis pour L'eon et Michel. Ils devraient savoir que Fant^omas n’aime pas qu’on se m^ele de ce qui ne vous regarde pas. Demain, ils l’apprendront `a leurs d'epens.
***
— Ah ca grogna Fandor accoud'e sur le parapet du pont Saint-Michel, est-ce que ca va durer toute la nuit, et va-t-il falloir qu’`a l’aube je me d'eclare aussi peu renseign'e que je le suis pour le moment ?
Il 'etait onze heures du soir, et Fandor, s’il n’avait pas perdu la trace de Nalorgne et de P'erouzin, ne savait toujours absolument rien de ce qu’ils faisaient. Le journaliste les avait attendus dans le quartier d'esert du Grand-Montrouge pendant une bonne heure. Il avait vus sortir de la myst'erieuse usine, puis regagner pr'ecipitamment la porte. Nalorgne et P'erouzin, ensuite, avaient pris le tramway Montrouge-Gare de l’Est pour descendre quai des Orf`evres, et Fandor, `a sa grande stup'efaction, les avait vus p'en'etrer dans les locaux de la Pr'efecture de Police. Un quart d’heure plus tard, ils avaient reparu. Car, lorsqu’on y va de son plein gr'e, on a quelquefois la chance d’en ressortir.
Cette fois, Fandor n’h'esita plus. Il fallait ^etre renseign'e, co^ute que co^ute. Le journaliste s’arrangea donc pour barrer la route des deux agents d’affaires qui venaient de tourner dans le boulevard du Palais.
— Ah, par exemple, messieurs, du diable si je pensais vous rencontrer ici.
Interloqu'es, Nalorgne et P'erouzin consid'eraient cet interlocuteur qu’au premier abord ils ne reconnaissaient pas. Mais Fandor leur rafra^ichit la m'emoire :
— Voyons, vous avez donc oubli'e Monaco ?
— Ah, par exemple, mais c’est M. Fandor ?
— M. Fandor, effectivement.
Le journaliste mima une grande satisfaction `a retrouver les deux ex-inspecteurs de police de la S^uret'e mon'egasque :
— Eh bien, s’'ecria-t-il, puisqu’on se retrouve ainsi, on ne se quitte pas comme ca. Moi, ca me fait plaisir de vous revoir, je vous invite `a prendre quelque chose.
Nalorgne h'esitait, mais P'erouzin, sinc`erement, d'eclara :
— Eh bien, ma foi, ce n’est pas de refus. D’ailleurs, nous venons tous les deux, mon associ'e et moi, d’apprendre une bonne nouvelle, il faut l’arroser. Apr`es votre tourn'ee, ca sera la n^otre. Et enfin, ajouta l’incorrigible bavard, ce qui se passe depuis quelques jours n’est pas croyable. Quand je pense que, pas plus tard que ce soir, on nous parlait de vous.
— De moi ?
— Et une jolie personne, encore. A"ie, Nalorgne, mais faites donc attention, vous me marchez sur le pied.
Un regard de Nalorgne fit taire son associ'e. On parla d’autre chose. Et comme l’on trinquait autour de la table du caf'e o`u l’on s’'etait install'e, Nalorgne, r'epondant `a la question du journaliste leur demandant quelle 'etait l’heureuse nouvelle dont ils avaient, lui et son associ'e, `a se f'eliciter, l’ancien pr^etre, triomphalement, annonca `a Fandor :
— Mon cher monsieur, puisque vous voulez bien vous int'eresser `a nous, sachez donc que nous sortons du cabinet de M. Havard. Eu 'egard `a notre profession ant'erieure, nous avions sollicit'e l’un et l’autre, mon ami P'erouzin et moi, notre entr'ee dans la police. Or, Monsieur le Directeur de la S^uret'e vient de nous aviser que notre demande 'etait officiellement agr'e'ee. Nous appartenons d'esormais au service de la S^uret'e g'en'erale, en qualit'e d’inspecteurs auxiliaires.
Fandor leva son verre et, c'er'emonieusement :
— Je vous f'elicite, messieurs, de cet heureux 'ev'enement qui exauce vos voeux. Je f'elicite aussi la police francaise, d’avoir su s’attacher la pr'ecieuse collaboration de deux hommes aussi perspicaces que vous, monsieur Nalorgne, que vous, monsieur P'erouzin.
Achevant son petit discours, Fandor ne pouvait s’emp^echer de se souvenir de la facilit'e avec laquelle, depuis plus de deux heures, il filait les deux ph'enix de la Tour Pointue.
10 – VENTOUSE