Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Les passagers `a destination de Montr'eal, mass'es tout autour du pont, observaient, en curieux, la manoeuvre qui s’effectuait, lente, majestueuse, muette presque.
Coups de sifflets. Quelques mouchoirs agit'es sur le quai, quelques adieux lanc'es par des badauds juch'es sur les piliers de l’'ecluse, au ras desquels passait l’'enorme masse flottante.
Appuy'ee au bastingage de b^abord du pont des secondes classes, une jeune femme demeurait pensive.
Elle 'etait v^etue d’un long v^etement noir, et n’'etait la plume blanche qui ornait sa toque, on l’aurait prise pour une personne en deuil.
La voyageuse, qui pouvait avoir vingt ans au plus, 'etait jolie, soigneusement habill'ee, mais son visage semblait empreint d’une grande tristesse. Elle frissonnait, comme sous le coup d’une vive 'emotion.
Soudain, alors que le Victoriaallait d'efinitivement perdre tout contact avec la terre et le port, la jeune passag`ere `a l’attitude douloureuse laissa 'echapper un cri violent.
Ses bras s’'ecart`erent, ses yeux d'emesur'ement, s’ouvrirent, puis instinctivement, comme si elle venait d’^etre surprise par une apparition redoutable ou terrifiante elle recula en arri`ere et s’en fut tomber inerte, `a demi 'evanouie, sur l’une des confortables berg`eres d’osier qui 'etaient plac'ees le long des cabines du pont.
L’'emotion, la d'efaillance de la jeune femme pass`erent inapercues des passagers qui l’entouraient, car ceux-ci, avaient eux aussi, 'eprouv'e la m^eme surprise. Tous, sans s’inqui'eter de la voyageuse recul'ee en arri`ere, se pressaient le long du bastingage ou couraient `a l’arri`ere du b^atiment, pour ne rien perdre du spectacle dont ils venaient d’apercevoir le commencement.
Fendant soudain la foule qui encombrait la jet'ee, se frayant un passage jusqu’au ras m^eme de la porte de l’'ecluse, un homme, en d'epit des observations et m^eme des bourrades que lui octroyaient ses voisins, s’'etait pr'ecipit'e.
En d'epit de la largeur de l’'ecluse, les flancs du Victoria'etaient si larges qu’ils touchaient presque les portes du bassin.
Pour 'eviter des contacts meurtriers `a la car`ene du navire, on avait dispos'e, comme d’habitude, tout le long du bordage, de gros ballons en filin attach'es par des c^ables aux superstructures du pont.
Or, cet homme, profitant de la stup'efaction que sa course rapide d'eterminait, et avant que personne e^ut song'e `a le retenir, `a l’emp^echer d’entreprendre une aussi p'erilleuse aventure, s’'etait pr'ecipit'e sur le flanc du navire, se servant d’un ballon de filin comme d’un pi'edestal, puis, avec une agilit'e inou"ie, grimpant le long du cordage amarr'e au haut du pont, il avait atteint le bastingage le plus 'elev'e.
C’'etait un personnage d’une quarantaine d’ann'ees, stup'efiant acrobate, robuste, le visage 'energique, de longs cheveux noirs qui bouclaient sur la nuque, une forte moustache, des favoris 'epais.
Lorsqu’il parvint au terme de sa p'erilleuse entreprise, les applaudissements cr'epit`erent.
Sans doute, il s’agissait l`a d’un voyageur qui, mis en retard par une cause quelconque, n’avait pas h'esit'e `a sauter `a bord du Victoria, comme on monte dans le tramway en marche.
En voyageur qui a l’habitude des paquebots, il avisa un escalier et s’y lanca imp'etueusement. L’escalier menait aux cabines des deuxi`emes classes.
L’'enigmatique personnage fit quelques pas rapides dans l’entrepont et soudain poussa une exclamation `a laquelle un cri de joie r'epondit.
Il venait de se trouver face `a face avec la jeune et jolie voyageuse que sa mont'ee `a l’assaut du navire avait tant impressionn'ee.
— Francoise Lemercier…
— Garrick…
Ces deux ^etres s’'etaient aussit^ot reconnus et ils se jetaient dans les bras l’un de l’autre.
Cependant que sur les l`evres du personnage, qui n’'etait autre, en effet, que le docteur Garrick, se pressaient de nombreuses questions, la jeune femme s’abandonnant `a l’'emotion heureuse et inesp'er'ee de retrouver ce compagnon, que sans doute elle n’attendait pas, laissait aller la t^ete sur son 'epaule, tout en donnant libre cours `a ses larmes.
Garrick interrogeait :
— Francoise, ma ch`ere Francoise, m’expliqueras-tu ?… que fais-tu ici ?
— Je suis folle, murmura-t-elle… c’est 'epouvantable, c’est effrayant, tu sais, n’est-ce pas ?… Garrick…
— J’ai recu ta lettre, ma ch'erie…, lettre incompr'ehensible… j’ai couru chez toi aussit^ot apr`es, mais tu 'etais d'ej`a partie… heureusement tu m’expliquais ton but… un train se trouvait en partance, par bonheur il m’a amen'e assez `a temps de Londres `a Liverpool, pour que j’aie pu te rejoindre… c’est ainsi que j’ai appris.
— Daniel… Daniel, dit la jeune femme, qui de nouveau se laissait aller `a sa douleur incommensurable, mon pauvre petit Daniel, qu’est-il devenu ?…
Garrick, `a ces mots crispa les poings :
— Qui donc s’est permis de nous troubler ?… en plein bonheur.
Puis, menacant du geste un ennemi imaginaire, un adversaire inconnu, l’amant de Francoise Lemercier, car c’'etait bien, en effet, la ma^itresse du dentiste de Putney qui se trouvait l`a, poursuivit :
— Ah ! si seulement j’avais pu me douter… oui, ce doit ^etre
Mais, au fait, Francoise, comment se fait-il que tu sois `a bord de ce paquebot ?… pourquoi veux-tu partir en Am'erique ?…
— Je pars chercher Daniel, je n’aurai de cesse, que Daniel une fois retrouv'e…
— Francoise, je veux t’aider `a retrouver ton enfant, poursuivit Garrick. Cela ne me dit toujours pas tes intentions, pourquoi tu pars pour le Canada ?
— Pourquoi ! s’'ecria Francoise Lemercier, qui paraissait surprise d’une telle interrogation, convaincue sans doute qu’il n’y avait pas, pour retrouver son fils, d’autre solution `a adopter que celle qui consistait `a s’embarquer `a destination de Montr'eal.