Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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— Isma"el ?… Deux whisky chauds, et t^achez que vos verres, pour une fois, soient plus grands que des d'es `a coudre…
Dans le cadre du comptoir, un gros homme, d’une taille colossale, `a figure f'eroce et poupine `a la fois, ramassa d’un geste preste les quelques pences que Bob venait de d'eposer, il grogna :
— Les verres d’Isma"el ont la contenance de tous les autres verres, mon garcon. Et ceux qui ne les aiment pas ou qui les trouvent trop petits n’ont qu’`a aller boire ailleurs…
— Toujours aimable, ce brave Isma"el. Il n’y a que deux manoeuvres commerciales pour lui : tirer de ses clients tout l’argent qu’ils ont en poche, et quand ils n’en ont plus, les flanquer `a la porte. Mais Ralph, vraiment, vous n’aviez jamais vu ce bar ?
— Jamais, Bob…
— Eh bien ! vous le reverrez, car j’imagine que vous appr'ecierez tr`es vite la libert'e que l’on a dans la maison… Franchement, on y fait ce que l’on veut, d`es que l’on y a des amis…
Ralph, d’un hochement de t^ete, approuva.
— En v'erit'e, Ralph, je crois que le whisky d’ici est le meilleur du royaume.
Bob vida son verre lentement, en amateur, cependant que Ralph, plus press'e, plus assoiff'e sans doute, plus alcoolique vraisemblablement, renouvelait sa consommation, sachant fort bien, pour l’avoir vu compter sa monnaie, que Bob, son ami de rencontre, 'etait en 'etat de payer plus d’une tourn'ee…
— Je le crois, r'epondit-il. Bob, mon cher, voici quatre heures que je vous connais seulement, mais vous m’offrez d’excellents liquides, je vous le rendrai…
Bob eut un geste d’insouciance, et haussant les 'epaules, il proposa :
— Et maintenant Ralph, puisque je suis en fonds aujourd’hui, rapport `a cette maudite barrique que j’ai aid'e `a descendre, puisque je suis en fonds, Ralph, que diriez-vous d’une saucisse ?… Manger n’est pas une d'esagr'eable chose, et nous boirons mieux apr`es… cela pla^it-il `a Votre Honneur ?
D’un signe de t^ete, Ralph approuva.
— Fameux… d'eclara-t-il, une saucisse n’a jamais fait de mal `a un honn^ete cr`eve-la-faim comme moi…
— Deux saucisses chaudes cria donc Bob, et des longues, Isma"el ! vous les ferez porter dans la salle du fond…
Mais comme il achevait ces mots, le patron de l’'etablissement protestait :
— Dans la salle du fond ? non, j’ai du monde…
— Vous avez du monde, Isma"el ? quelle importance ?
— Voyons, Bob, r'epondit le tenancier, qu’une table seule est libre l`a-bas, je crois, et ce sera quatre sous pour vous, s’il vous la faut ?…
Mais d'ecid'ement, grand et g'en'ereux, Bob jeta sur le comptoir les deux pences que r'eclamait le d'ebitant.
— Ce sera quatre sous que voici, fit-il, et quatre sous de saucisse que je vous donnerai quand vous les apporterez, vieux voleur, car sans quoi, vous jureriez tout `a l’heure, que je n’ai pas pay'e mon addition…
Et Bob, posant les deux mains, famili`erement, sur les 'epaules de Ralph, entra^inait son compagnon :
— Par ici, garcon, je vous dis que la maison est tout `a fait confortable… en v'erit'e, pour dix-huit sous de d'epense, nous nous traiterons ce soir mieux que le lord Maire…
Sous la conduite de Bob qui, depuis longtemps sans doute, fr'equentait le bar du Old Fellow, Ralph p'en'etra alors dans l’'etroit boyau qui conduisait `a la petite salle r'eserv'ee, o`u prenaient place les seuls amis de l’'etablissement connus du patron pour ^etre de bonnes pratiques et d'esireux de souper…
Il fallait d’abord suivre pendant une dizaine de pas l’'etroit couloir obscur dont le plafond 'etait si bas qu’on devait baisser la t^ete pour ne point le heurter, puis on d'ebouchait dans une petite pi`ece, plus enfum'ee encore que le bar, dont le sol 'etait dall'e de carreaux rouges, lavables, mais jamais lav'es, dont le plafond 'etait ferm'e d’une sorte de marquise vitr'ee… la salle avait 'et'e 'evidemment am'enag'ee dans une courette que le patron de l’'etablissement avait fait couvrir.
Comme Ralph et Bob y p'en'etraient, les consommateurs qui s’y trouvaient d'ej`a firent soudainement silence pour d'evisager les arrivants…
C’'etait l`a un accueil froid, m^eme un peu soupconneux qui fit froncer les sourcils `a Bob et, presque, intimida Ralph :
— Bonsoir, dit Bob, qui, plant'e sur le seuil, sans regarder aucun de ceux qui se trouvaient dans la pi`ece, choisissait une table o`u s’asseoir…
— Bonsoir, r'ep'eta Ralph.
De vagues
Il n’y avait que trois tables dans la pi'ecette. Une 'etait occup'ee par un groupe d’hommes et de femmes, deux autres 'etaient libres, Ralph et Bob s’assirent devant l’une d’elles… D'ej`a, d’ailleurs, Isma"el arrivait, portant sur des morceaux de papier gras les deux saucisses command'ees :
— Et avec cela, interrogea-t-il, vous boirez ?
Bob haussait les 'epaules de son geste favori :
— Peuh ! fit-il, nous ferons un m'elange, quelque chose qui est comme une recette, que je serais seul `a conna^itre. Isma"el, vous nous donnerez deux de vos grands verres, puis du ginger-beer, du gin et du porto… des pintes de chaque…
— Entendu, gentleman…
Les boissons apport'ees, Ralph et Bob, firent largement honneur `a l’affreuse mixture que Bob avait compos'ee.
Ils y faisaient si bien honneur qu’un peu plus tard, Ralph, d’un geste machinal, avait ^ot'e sa casquette et les deux coudes sur la table, la t^ete entre les mains, il s’'etait endormi.
Pour Bob, son court br^ule-gueule entre les l`evres, il fumait `a courtes bouff'ees, assis de travers sur sa chaise, le cr^ane `a la muraille et regardant fixement devant lui, les yeux dilat'es, l’air absorb'e…