Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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— Le d'etestable brouillard, en v'erit'e…
— Tu ne t’habitueras jamais `a Londres.
— Je ne le nie pas. Trop de fum'ee, trop de maisons noires, ici. Vrai Dieu, on vivait plus facilement et plus agr'eablement `a Madrid…
— Il fallait y rester, Ralph…
— Tout le monde n’'etait pas de cet avis.
— Tu t’entends mieux avec les policemen ?…
— Jusqu’ici.
Les promeneurs qui causaient ainsi suivaient les rues populeuses et sinueuses du sinistre quartier des Docks de Londres.
C’'etait autour d’eux la foule minable, mis'erable, en haillons. Un va-et-vient intense de pauvres gens marchant vite sous l’oeil froid et s'ev`ere des policemen, habiles `a rechercher les vagabonds, toujours pr^ets `a l’arrestation qui, dans ces rues mal fam'ees, ne soulevait aucune 'emotion.
— Et alors, on va…
— Je connais un 'etablissement pas trop mal.
— Avec deux portes ?
— Naturellement !
— Et c’est loin ?
— Pas trop, dans Bella Street…
— Connais pas.
— Tu ne connais rien, `a Londres.
— Au fait, c’est vrai.
Les deux promeneurs marchaient encore, puis, celui qui r'epondait au nom de Bob poussa son compagnon au tournant d’une rue encore plus 'etroite et plus noire que les rues avoisinantes.
— Par l`a, vieux garcon… tu vas voir si la maison est confortable… le whisky chaud qu’on y donne a emprisonn'e du soleil…
— Du soleil, ici ? impossible.
— Si, de temps en temps…
Les deux pauvres h`eres, car ni Ralph ni Bob ne semblaient des gens cossus, mais bien plut^ot de ces sans-travail qui pullulent `a Londres et vivent d’on ne sait quelles besognes d’occasion, voire de larcins furtifs, avanc`erent encore de quelques m`etres. Bob, du doigt, d'esigna une devanture, toute tendue de rideaux :
— Voil`a le comptoir, mon vieux Ralph…
— D'ecid'ement, nous entrons ?
— Nous entrons…
D'ej`a sur le seuil de la porte et pr^et `a p'en'etrer, Bob retenait son ami :
— Ah ! au fait, mon vieux Ralph, il y a si peu de temps que je te connais, depuis le moment o`u nous nous sommes accoud'es ensemble au m^eme parapet le long des berges de la Tamise, alors que, sans but apparent, tu regardais les vagues mouiller la vase du fleuve, qu’il est bon que je te pr'evienne. `A l’int'erieur de cet 'etablissement, il ne faut rien dire… 'ecouter si l’on veut, cela oui, ne contrarier personne…
— Police ?
— On ne sait jamais ! affirmait Bob. Tu as voyag'e partout… d’apr`es ce que tu m’as dit, tu es pour trois pfennings allemand, pour quatre sous francais, pour quelques pences anglais… quelques piastres br'esilien, quelques lires italien, quelques pesetas espagnol… Bref, tu as assez roul'e ta bosse pour conna^itre `a peu pr`es toutes les polices du monde… donc, tu n’ignores pas que celle d’Angleterre est la plus terrible de toutes et la plus exp'editive surtout… Ralph, mon garcon, viens…
Bob, en habitu'e des lieux, ouvrit la porte du bar et fit entrer son compagnon.
***
'Etrange, ce Ralph qui p'en'etrait maintenant dans cet 'etablissement de Whitechapel, brillamment 'eclair'e par les becs de gaz…
Il apparaissait `a la lumi`ere crue, coiff'e d’une courte casquette de jockey dont la visi`ere d'echir'ee barrait la moiti'e du visage, sans nul linge autour du cou et `a demi engonc'e dans une sorte d’'enorme paletot, de nuance marron jadis, `a pr'esent verd^atre, jaun^atre, us'e, d'eform'e, lamentable… Son pantalon s’effilochait sur des bottines fines, ramass'ees quelque part 'evidemment, des bottines `a boutons, dont les boutons 'etaient absents, des bottines vernies dont le vernis 'etait craquel'e et qu’une magistrale entaille au canif avait provisoirement agrandi, rajust'e au pied du personnage…
Si Ralph ne semblait pas riche, Bob, son introducteur, son ami de rencontre, comme il l’avait dit lui-m^eme, ne payait pas plus de mine.
Bien qu’il f^ut huit heures et demie du soir, qu’un brouillard glacial, tortur'e par des rafales de vent froid, pes^at dans la rue, il portait, pour tout v^etement un court veston sans gilet. Des boutons manquaient, remplac'es par des 'epingles doubles.
Comme chapeau, enfin, Bob poss'edait une sorte de feutre mou, sans ruban, qu’il s’'etait enfonc'e sur le front et dont les bords, amollis par les orages, br^ul'es par le soleil, cass'es par les nuits pass'ees dehors, pendaient avec des brisures 'etranges.
— Par tous les dieux, cria Bob, qui, visiblement, affectionnait ce juron, cela fait du bien de se trouver au chaud. Qu’en penses-tu, Ralph, mon ami ?
— Ce n’est pas moi qui dirai le contraire…
Tous deux, la porte ouverte sur le bar `a l’aspect ext'erieur si tranquille, 'eprouvaient une impression de bien-^etre imm'ediat.
L’endroit n’'etait pourtant pas s'eduisant. Les rideaux masquant la devanture ne dissimulaient en aucune facon un int'erieur des plus hospitaliers.
Le bar du Old Fellow, `a plafond bas et noirci par les pipes, 'etait essentiellement constitu'e par une petite salle que coupait dans toute sa largeur un gigantesque comptoir de bois noir en forme de fer `a cheval, recouvert d’une 'etroite bordure de zinc, sur lequel les verres, en grand nombre, s’'etageaient, s'epar'es par des piles d’oeufs durs, des monceaux de bananes, et aussi des gobelets de cuir avec des d'es, pr'epar'es pour d’interminables parties. Au fond de la salle, enfin, tout contre le comptoir g'eant, une petite porte basse s’ouvrait sur un boyau obscur qui aboutissait, on le devinait plut^ot qu’on ne le voyait, `a une autre salle lointaine, qui n’apparaissait, de l’entr'ee, qu’ind'ecise et vague dans l’atmosph`ere bleu^atre satur'ee de fum'ee…
L’odeur du tabac, du whisky chaud, du gin r'epandu, du porter, 'etait d’ailleurs insupportable.
Il 'etait impossible `a quiconque sortait de la rue et p'en'etrait dans le bar de n’^etre pas suffoqu'e par tous ces ^acres relents.
Cependant, tandis que Ralph toussait 'eperdument, pris `a la gorge, Bob, semblant tr`es `a l’aise, s’'etait approch'e du comptoir. Du coude, il 'ecarta les verres, se m'enagea une petite place et jetant `a l’avance, suivant l’usage, sa monnaie, il appelait le tenancier :