Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
Шрифт:
La grande dame ne lui laissa pas le temps de parler. Posant affectueusement ses mains sur les 'epaules de la jeune fille, elle r'epondit `a l’interrogation muette :
— Oui, je suis lady Beltham.
Bobinette atterr'ee, stup'efaite, demeurait immobile, sans r'epondre.
Quel parti prendre ?
Lady Beltham 'etait-elle une grande coupable ou une grande victime ? L’'etrang`ere, cependant, lisait dans la pens'ee de Bobinette.
— Berthe, Berthe, dit-elle, ne me condamnez pas sans me conna^itre, n’essayez pas de comprendre des choses sur lesquelles moi-m^eme je n’ai pas d’opinion… Nous sommes les unes et les autres, ici-bas, de pauvres 'epaves qui flottent au gr'e des flots insurmontables… ne jetez pas la pierre sans avoir entendu la confession du p'echeur, ne jugez pas.
Berthe se jeta dans les bras de lady Beltham.
C’'etait instinctif, spontan'e.
Cette grande dame, sinc`ere ou fausse, poss'edait l’art de s'eduire ou de charmer, `a un point tel que nul n’'etait capable de s’y soustraire…
Berthe, toute secou'ee par l’'emotion que provoquait en elle l’'evocation de son terrible pass'e, sanglota doucement, appuy'ee sur l’'epaule de lady Beltham. Celle-ci brusquement s’arracha `a cette 'etreinte, courut `a l’entr'ee du petit bois, `a l’ombre duquel elles se tenaient toutes deux.
— Berthe, appela-t-elle d’une voix inqui`ete…
— Lady Beltham ?… Qu’y a-t-il ?
La grande dame d'esignait du doigt des individus qui passaient `a l’horizon.
— Ces deux hommes, interrogea-t-elle, sur la route… qui sont-ils ?
— Je ne les connais pas, dit Berthe.
Cependant les individus se dissimulaient derri`ere un repli de terrain.
Lady Beltham, rassur'ee en apparence, 'etait venue s’asseoir sur un tapis de mousse. Berthe s’installa `a c^ot'e d’elle.
Les deux femmes 'echang`erent d’am`eres r'eflexions.
— Oui, disait lady Beltham, laissons ce pass'e qui m’est odieux, que je voudrais d'etruire… ah ! si l’on pouvait simplement refaire sa vie, an'eantir…
De sa voix douce, Berthe lui demanda :
— Qui ^etes-vous d'esormais, madame… comment vous appelle-t-on ?
Lady Beltham leva ses yeux admirables vers le ciel. Son regard s’assombrit :
— Je suis, d'eclara-t-elle, la femme d’un homme que j’abhorre et qui me trompe, un homme que j’ai fui, que je fuis encore, tant par d'epit que par d'esir de vengeance.
— Restez ici, madame, restez avec nous, reposez-vous dans la paix et la tranquillit'e de cette campagne, je vous aime d'ej`a tant, je ne crois pas vous d'eplaire, nous serons bonnes amies.
Lady Beltham, h'esitante, mais s'eduite assur'ement par l’offre de la jeune fille, l’enveloppait d’un long regard affectueux, lorsqu’elle fr'emit `a nouveau, se dressa toute droite :
— Berthe, j’ai peur, encore ces hommes, rentrons…
Lady Beltham, sur le pas de la porte acheva le r'ecit de ses malheurs :
— Vous avez entendu parler, peut-^etre, de ce crime incompr'ehensible, en Angleterre. Il s’agit d’un docteur, d’un dentiste anglais, un certain M. Garrick, dont la femme a subitement disparu… on accuse cet homme, qui a une ma^itresse, d’avoir assassin'e sa femme l'egitime… il s’en d'efend, mais son 'epouse demeure introuvable.
— Vous savez quelque chose sur l’affaire Garrick, madame ? La femme de ce docteur Garrick, la femme disparue, si c’'etait…
— Eh bien ?
— Si c’'etait… r'ep'eta Berthe…
9 – FRANCOISE EST INNOCENTE
En le voyant passer confortablement install'e au fond de sa luxueuse limousine, qui 'eclaboussait les passants tout autour d’elle, les pi'etons, nombreux comme toujours dans les rues de Londres, et qui consid'eraient ce somptueux 'equipage, enviaient `a coup s^ur le propri'etaire de l’automobile et ne pouvaient songer que ce riche 'etait d'evor'e de chagrin.
Ce puissant qui se faisait v'ehiculer ainsi `a l’allure souple et r'eguli`ere de sa quarante HP, n’'etait autre que lord Duncan, bonbonnier de la reine d’Angleterre et favori du roi.
Ce matin-l`a, Londres s’'eveillait maussade.
La grande ville 'etait envelopp'ee dans ce brouillard jaune qui fait qu’en plein midi, parfois, il faut tenir les becs de gaz allum'es afin de pouvoir se reconna^itre.
Insensible, indiff'erent `a cette morne torpeur, lord Duncan qui, h^ativement, avait quitt'e son domicile pour se rendre au Parlement dont la s'eance solennelle allait ^etre ouverte par le souverain, pensait moins au discours du tr^one que prononcerait le roi George V qu’`a ses propres affaires.
Ses affaires, c’'etait le mariage avec la pierreuse Nini Guinon, la menace perp'etuelle qu’elle faisait planer sur son honneur et sa r'eputation de gentilhomme en se livrant `a la pire d'ebauche.
Une petite compensation… Il y avait l’enfant, l’h'eritier de la race et du nom.
Peu soucieux d’arriver en retard au Parlement, lord Duncan, d'etournant son chauffeur de l’itin'eraire normal, l’avait fait obliquer dans la direction de Hyde Park.
Il avait arr^et'e sa voiture `a l’entr'ee de la grille, ordonn'e au m'ecanicien de l’attendre, puis, s’enfoncant dans la brume l'eg`ere qui demeurait humide et basse sous les arbres, il s’achemina seul, `a pied, vers l’all'ee cavali`ere.
Le coeur lui battait…
Assise sur un banc, en toilette simple, Nini Guinon attendait lord Duncan.
— Navrant, pensait lord Duncan, si seulement Nini n’'etait pas Nini, si elle avait voulu faire un effort, nous aurions fait un bon m'enage, uni, heureux de vivre `a l’'ecart, en paix.
Duncan fut arrach'e `a sa songerie par une apparition.
`A c^ot'e de Nini, venait de surgir un b'eb'e, que lord Duncan, jusqu’alors, n’avait pas apercu, car il se trouvait dissimul'e derri`ere les jupes de Nini Guinon.