Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Duncan ne pouvait plus y tenir, `a pas pr'ecipit'es, il rejoignit le groupe.
Nini l’apercut, elle se leva, une l'eg`ere rougeur lui envahit les pommettes. Sous les paupi`eres lourdes de grands cils, ses yeux brillaient.
Lord Duncan 'etait s'eduit par le charme incontestable de Nini Guinon…
Et jugeant que l’`ere des reproches ne pouvait s’'eterniser, il sourit `a sa femme :
Celle-ci, tr`es simplement poussait vers lui l’enfant avec des gestes c^alins :
— Le petit Jack, dit-elle…
Duncan, 'emu au dernier point, ne trouvait pas un mot `a r'epondre : son regard humide d’'emotion allait de la m`ere `a l’enfant, et instinctivement il cherchait `a retrouver dans les traits du petit garcon le rappel des traits de la m`ere.
Puis, brusquement lord Duncan se d'epartant de son flegme, inclina sa haute taille, saisit l’enfant `a bras le corps et le serra sur sa poitrine :
— Jack, murmura-t-il, mon petit Jack…
L’enfant, 'etonn'e, surpris regardait cet inconnu de ses grands yeux interrogateurs. Il ne souriait pas.
D’une voix plaintive, lorsque Duncan l’eut repos'e `a terre, il se contenta de balbutier :
— Maman !
Mais Nini Guinon, qui jusqu’alors 'etait demeur'ee impassible, s’empressait aupr`es du petit garcon :
— Sois gentil, lui dit-elle.
Le trio abandonna les all'ees ombrageuses de l’all'ee cavali`ere, s’engagea sur le chemin qui borde les immenses pelouses de Hyde Park.
Le ciel peu `a peu se d'egageait, le brouillard allait se dissiper.
Tandis que l’enfant donnait une main `a sa m`ere, il tendait instinctivement l’autre `a lord Duncan.
Celui-ci acc'edant au d'esir du b'eb'e 'eprouvait une singuli`ere 'emotion, une joie tout `a fait paternelle `a sentir sur ses doigts aristocratiques, la douce moiteur de cette main potel'ee.
Un sentiment moins digne, mais tr`es naturel, germait cependant dans l’esprit de lord Duncan : les promeneurs devenaient de plus en plus nombreux et le jeune membre du Parlement se demandait avec anxi'et'e si, dans les passants qu’il croisait, il n’allait pas se trouver bient^ot quelqu’un connu de lui ou, pis encore, quelqu’un qui le connaissait.
Hyde Park, entre onze heures et midi en 'etait le lieu de r'eunion.
C’'etait une maladresse 'evidente qu’avait fait le riche seigneur d’y donner rendez-vous `a sa femme.
Nini Guinon, cependant, avait pris une attitude humble et soumise pour solliciter son mari :
— Vous voyez, disait-elle, j’ai ob'ei… aussi n’essayez plus de me reprendre mon enfant…, vous r'eussirez toujours mieux avec moi en me traitant par la douceur que par la menace…
— Ah, Nini, s’'ecria lord Duncan, si seulement vous aviez voulu ^etre autrement…
La jeune femme avait interrompu son mari, froncant les sourcils, elle avait d'eclar'e :
— Allons donc ! nous ne sommes pas b^atis l’un pour l’autre… tout ce que je vous demande, c’est de ne pas vouloir me voler mon fils…
C’'etait le probl`eme, justement. S'eparer l’enfant du milieu de Nini, ne pas r'ev'eler aux curieux le mariage qu’il avait fait. Et, imm'ediatement, brusquer les adieux.
Au reste, ce n’est pas `a cela que songeait le noble jeune lord en reprenant place dans son automobile. `A vrai dire, pour un peu, Duncan se serait trait'e de mis'erable. Oui, il se faisait horreur.
Il n’'etait pas 'emu. Il avait vu son fils et il 'etait rest'e de glace. Il y a les gestes qu’on se doit de montrer. Mais la voix du sang ?
Eh bien, lord Duncan ne l’avait pas entendue.
Duncan 'etait rest'e ferm'e aux appels qu’elle avait pu formuler… Et cela lui paraissait si affreux, si indigne de l’honn^ete homme qu’il 'etait, que c’est `a peine s’il osait le reconna^itre tout bas.
Cependant que lord Duncan s’'eloignait et traversait une pelouse pour regagner la grille du Park, Nini Guinon, songeuse et courrouc'ee, 'etait rest'ee dans l’all'ee sabl'ee `a consid'erer son mari.
— Le mufle, grommelait-elle, dire qu’il ne m’a m^eme pas donn'e d’argent pour renouveler la pelure du sal'e…
Mais une mauvaise pens'ee illuminait sa jolie figure :
— Par exemple, cela a rudement coll'e, l’histoire du m^ome, l’excellent p`ere n’y a vu que du feu…
— Allons, dit la pierreuse en tirant le petit Jack par le bras, foutons le camp d’ici…
Mais elle venait d’apercevoir `a un carrefour un groupe de musiciens qui s’installaient pour jouer. Curieuse et badaude, comme une Parisienne qu’elle 'etait, Nini Guinon se m^ela `a la foule, la bouche ouverte, les yeux 'ecarquill'es. C’'etait une fanfare tout `a fait r'ejouissante d’aspect compos'ee au moins de vingt musiciens, tous arm'es de trombones et de fl^utes. Plus un grand gaillard maigre, portant assujetti `a son ventre absent, une gigantesque grosse caisse surmont'ee de cymbales.
Tous ces musiciens 'etaient rev^etus d’un uniforme sombre, coiff'es d’une casquette bord'ee de gros galon rouge…
Autour d’eux papillonnait une nu'ee de femmes accoutr'ees en cyclistes, d’ailleurs vieilles et laides, qui distribuaient des prospectus, prenaient `a partie les auditeurs.
— Qu’est-ce que ca peut bien ^etre ? se demandait Nini.
Mais ce n’'etait pas en vain qu’elle habitait Londres depuis un an et la jolie Francaise reconnut soudain la banni`ere qui se d'eployait au vent :
— Parbleu, murmura-t-elle, c’est l’Arm'ee du Salut… chic alors, on va rigoler….
Nini avait d'ej`a vu quelques-unes de ces c'er'emonies en plein vent au cours desquelles, apr`es avoir chant'e des psaumes, les plus n'eophytes des salutistes, les derniers enr^ol'es dans l’arm'ee religieuse, montent sur un banc, un escabeau, voir m^eme une 'echelle, pour faire au public `a grand renfort de gestes et d’impr'ecations, le r'ecit de leur conversion.
Nini Guinon se glissait d'ej`a au premier rang de la foule, lorsqu’une des salutistes qui venait de lui tendre un papier que Nini refusait d’ailleurs, redoutant d’avoir `a payer quelque chose, s’arr^eta brusquement et s’inclina vers le petit Jack…