Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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— Vous ^etes aimables, vous ^etes excellents, d'eclara-t-elle, vous ne pouvez vous imaginer l’importance du service que vous me rendez… vous avez mis tant de simplicit'e, tant de bonne gr^ace `a m’offrir l’hospitalit'e, que de mon c^ot'e je ne ferai pas de mani`ere… je vous dis merci, simplement, mais de tout coeur…
***
Cela se passait dix jours avant la mort du fils de Nini Guinon.
Il faut croire que l’hospitalit'e des braves campagnards convenait `a l’'etrang`ere, puisque deux semaines apr`es son arriv'ee, elle 'etait encore chez eux. D`es l’aube elle avait manifest'e le d'esir de partir. Elle semblait si d'efaite que Berthe l’avait retenue. On l’avait gard'ee jusqu’`a l’apr`es-midi, jusqu’au soir, jusqu’au lendemain. Depuis, elle 'etait l`a.
Elle avait accompagn'e Berthe au village pour y faire des provisions et command'e `a son compte des provisions qui facilitaient la pr'eparation des repas `a la m`ere Catherine.
Les deux jeunes femmes, l’'etrang`ere et Berthe, s’'etaient, d`es le d'ebut, senties instinctivement attir'ees l’une vers l’autre.
La jeune Berthe qui, depuis son s'ejour `a la campagne, 'etait fort priv'ee de distractions, aurait d'esormais 'eprouv'e un r'eel chagrin si l’'etrang`ere, son amie Maud, comme elle disait, 'etait soudain partie. L’Am'ericaine, d’autre part, ne paraissait plus songer qu’elle devait embarquer. Elle se laissait gagner par la qui'etude de cette vie calme, en pleine campagne.
Elle aussi, paraissait 'eprouver pour Berthe une affection tr`es sinc`ere.
Les deux femmes cependant n’'etaient ni de m^eme origine, ni de m^eme condition. On devinait, rien qu’`a la regarder, qu’`a l’entendre, la grande dame, en l’'etrang`ere.
Elle avait une extr^eme distinction dans la tournure, dans les mani`eres et la d'emarche.
Berthe, de son c^ot'e, s’attachait de plus en plus `a elle, lui faisait des confidences. Elle n’avait plus l’impression de parler `a une inconnue.
Une apr`es-midi, quinze jours apr`es l’arriv'ee de la myst'erieuse 'etrang`ere, celle-ci et Berthe se promenaient le long de la Seine.
L’Am'ericaine dit `a la petite-fille du p`ere Yxier :
— Mais d’o`u vient cette longue maladie que vous soignez chez vos grands-parents ?
— J’ai voulu mourir, dit Berthe, je me suis empoisonn'ee…
Berthe n’h'esita pas `a raconter sa vie :
— Il y a six ou sept ans, j’ai d'ebut'e `a Paris comme infirmi`ere dans une maison de sant'e…
— Vous 'etiez chez les fous ?
— En effet, d'eclara la jeune fille, j’avais fait quelques 'etudes pr'ealables dans les h^opitaux. C’est dans cette maison de sant'e que j’ai connu une certaine femme, une malade qui a 'et'e la cause de mes ennuis.
— Elle s’appelait ?
— Son nom ne vous dira rien. Mais son fils 'etait un journaliste… J'er^ome Fandor.
— Parlez, parlez, dit l’Am'ericaine. Vous avez connu ce journaliste ?
— Non, dit Berthe, ou du moins… C’est ce qu’il y a eu de plus abominable dans ma vie… Madame, je ne veux rien vous cacher car je vous respecte et je vous aime, mais celle que vous avez devant vous en ce moment a commis des crimes… Par ma faute, un homme est mort… Il y a de cela quatre ans… c’'etait un officier… Le capitaine Brocq. J’'etais sa ma^itresse.
La grande dame am'ericaine p^alit affreusement :
— Berthe, murmura-t-elle, la voix troubl'ee, Berthe, ne seriez-vous pas celle que l’on appelait Bobinette ?
La jeune fille tressaillit, ses l`evres fr'emirent, son front se couvrit d’une sueur froide.
Oui, c’'etait bien elle, M lleBerthe, que l’on avait connue sous le nom de Bobinette…
Mais quoi, tout cela 'etait encore si familier `a l’esprit du public ? Elle poursuivit l’'evocation de ses souvenirs : Naarboveck, ou plus exactement le sinistre bandit Fant^omas ; la gentille Th'er`ese Auvernois dont elle avait 'et'e la dame de compagnie…
`A ce nom, machinalement, l’Am'ericaine d'eclara :
— Th'er`ese Auvernois, l’'epouse du lieutenant Henri de Loubersac ?
Berthe se tut, interdite. Quelle 'etait cette myst'erieuse personne qui connaissait si bien tous les personnages des drames o`u elle avait 'et'e m^el'ee ?
Bobinette, comme tout le monde, savait que dans l’histoire de l’insaisissable Fant^omas, figurait avec un r^ole des plus importants, une femme, `a la fois s'eduisante et fatale, qui tour `a tour se trouvait ^etre, ou l’adversaire la plus acharn'ee du bandit, ou sa collaboratrice la plus d'evou'ee.
Cette femme dont l’existence v'eritable 'etait ignor'ee de tous, 'etait `a maintes reprises apparue comme une silhouette vague et floue `a l’esprit de la jeune Berthe.
Pendant longtemps elle avait 'et'e accoutum'ee `a consid'erer cette femme, connue sous le nom de lady Beltham, comme une v'eritable sainte, sans cesse pr'eoccup'ee des malheureux, toujours `a l’aff^ut des infortunes `a secourir, et dont l’immense fortune ne servait qu’au bien.
C’'etait le portrait que lui en avait fait jadis la petite Th'er`ese Auvernois et, `a maintes reprises, Berthe 'etait all'ee avec sa compagne prier au cimeti`ere sur la tombe de la grande dame.
Longtemps Berthe n’avait eu aucune raison d’en douter, mais voici que soudain les drames auxquels elle avait 'et'e m^el'ee s’'etaient pr'ecipit'es.
Bobinette convaincue d’une compromission honteuse, d’avoir voulu trahir…, avait tent'e de s’empoisonner, pour 'echapper aux rigueurs de la Justice.
Un homme alors l’avait sauv'ee, tir'ee d’affaire. Cet homme, c’'etait Juve.
Or, par Juve, Berthe avait appris que lady Beltham n’'etait pas la sainte qu’elle croyait…, qu’elle n’'etait pas morte, qu’elle vivait encore…
L’Am'ericaine paraissait de plus en plus 'emue.
Les deux femmes 'etaient arriv'ees `a l’ombre d’un bouquet d’arbres. Elles se regard`erent les yeux dans les yeux et soudain Berthe poussa un grand cri.
Il lui sembla qu’un voile se d'echirait, que ses yeux jusqu’alors aveugles, voyaient et voyaient comme il fallait voir…
La grande dame aux cheveux d’or, au regard 'etrange et clair, aux traits d’une merveilleuse beaut'e, `a la d'emarche si majestueuse que l’on eut dit une reine, et qui se trouvait devant elle, avec qui elle vivait d'ej`a depuis plus de deux semaines… mais elle la connaissait, elle l’avait maintes fois entendu d'ecrire, elle avait longtemps contempl'e ses portraits… son nom lui montait aux l`evres…