Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Juve, chaque fois que l’on prononcait le nom de Fant^omas, baissait le ton, regardait machinalement autour de lui, comme s’il craignait d’^etre 'ecout'e, 'epi'e.
— Avez-vous remarqu'e, Michel, que sur dix Anglais, on rencontre huit policemen… Ce sont d'ecid'ement les fonctionnaires les plus nombreux du Royaume-Uni, et j’aime `a croire que la meilleure facon de passer inapercu pour quelqu’un qui voudrait se cacher, serait de se faire recevoir dans le corps de ces sympathiques employ'es de Scotland Yard ?
— R'epondez-moi, dit Michel.
— Mon cher Michel, j’ai comme vous la conviction que si Fant^omas 'etait sur ses gardes, s’il avait vraiment commis ce crime, et attendu d’^etre arr^et'e, la police aurait fait chou blanc Mais les choses ne se sont pas pass'ees ainsi. Fant^omas a 'et'e arr^et'e le plus facilement du monde parce qu’il ne cherchait pas `a se cacher ni `a se d'efendre. Pourquoi ? C’est `a la fois simple et incroyable.
— Pourquoi ? Vous ^etes impossible, Juve, permettez que je vous le dise. Ne voyez-vous pas que je meurs d’impatience.
— Fant^omas a 'et'e arr^et'e parce qu’il n’avait pas commis ce crime. C’est l’ironie du Destin : Fant^omas est innocent C’est la raison pour laquelle on l’a arr^et'e… Mais maintenant qu’il se trouve sur la paille humide des ge^oles, il doit se mordre les doigts. Il conna^it la question, le r'egime des prisons anglaises, la facon dont on ex'ecute les sentences rendues par les tribunaux. Vous me demandez ce qui va se produire ? De deux choses l’une, Michel, ou M meGarrick para^it et on est bien forc'e d’annuler, de le remettre en libert'e, et on recommence. Ou M meGarrick ne se montre pas et Fant^omas est pendu haut et court.
— Ce n’'etait pas la fin que vous esp'eriez pour Fant^omas, n’est-ce pas Juve ?
— Non, Michel, non, je pr'ef'ererais voir remettre Garrick en libert'e, je pr'ef'ererais voir Fant^omas reprendre sa personnalit'e de Tom Bob… je pr'ef'ererais d'emasquer le monstre aux yeux de tous. Mais tout n’est pas fini…
— C’est par les femmes, n’est-ce pas, Juve, que vous esp'erez encore r'eussir ?
— Par les femmes, reprit le ma^itre policier d’un air 'enigmatique, oui, peut-^etre… `A l’affaire concernant Garrick, se trouve jointe une autre affaire, encore plus compliqu'ee que la police n'eglige `a tort. Vous savez, Michel, que Francoise Lemercier pleure toujours la disparition de son petit garcon Daniel… Vous savez, aussi, que Nini Guinon exhibe partout avec une ostentation marqu'ee un enfant qu’elle pr'etend ^etre son fils, son fils Jack.
— Juve, murmura Michel, Juve, je vous en prie tenez-moi au courant, qu’allez-vous faire ?
Pour toute r'eponse, le policier prit la main de Michel, la serra cordialement. Le train lentement s’'ebranlait, sans bruit, sans secousses. Et Juve prononca une derni`ere phrase :
— Je vous ai dit que le meilleur moyen pour passer inapercu en Angleterre, c’'etait de devenir policeman… je vous r'ep`ete, Michel, que j’ai mon id'ee…
***
— Comment t’appelles-tu ?
— Daniel…
`A chaque fois, le bruit d’une gifle magistrale retentissait, `a laquelle succ'edaient d’apitoyants petits sanglots d’enfant…
— Comment est-ce que t’as dit, sale m^ome… attends voir que je te dresse… ob'eiras-tu, nom de Dieu, dis voir comment tu t’appelles ?… dis que tu t’appelles Jack… Jack… C’est facile `a comprendre, entends-tu bien… Daniel, ca n’existe pas… Toi, c’est Jack.
Il 'etait minuit. Nini Guinon venait de rentrer dans l’immonde logis qu’elle occupait au coeur de Whitechapel, au N° 14 bis de Belmont Street. Cet immeuble `a quatre 'etages 'etait un h^otel meubl'e dans lequel on acc'edait par un 'etroit couloir, au haut duquel on parvenait par un escalier 'etroit et tortueux…
Deux bars interlopes occupaient les locaux du rez-de-chauss'ee. Au premier et au second 'etage 'etaient install'es de vagues et mis'erables commerces, et au-dessus c’'etaient de pauvres logis, o`u vivaient dans une promiscuit'e r'epugnante trop de gens mal v^etus, mal 'eduqu'es, incapables du moindre travail et ne vivant que de rapines. Le bouge dans toute son horreur !
C’'etait l`a que Nini Guinon 'etait venue 'echouer.
L’'epouse de lord Duncan-Ascott habitait, au quatri`eme, un logement compos'e d’une pi`ece et d’une cuisine.
En face du logis de Nini, sur le m^eme palier, se trouvait une chambre mis'erablement meubl'ee de deux grabats et d’une table. Cette chambre ou pour mieux dire ce repaire servait d’asile occasionnel et provisoire aux deux meilleurs amis de Nini Guinon, les apaches parisiens le Bedeau et Beaum^ome qui, de temps en temps, venaient l`a, lorsqu’ils n’avaient rien de mieux `a faire, lorsqu’ils ne s’endormaient pas, compl`etement ivres, sur les berges de la Tamise, ou ne couchaient pas au poste pour tapage nocturne.
Ce soir-l`a, quarante-huit heures apr`es le d'epart de Michel pour la France, Nini Guinon 'etait rentr'ee pompette et le coeur joyeux.
Elle avait, selon son expression,
On avait donc bien ri et bien bu, mais on s’'etait surtout amus'e de l’id'ee qu’avait eue Beaum^ome de faire absorber un verre de whisky `a l’enfant de Nini, au petit Jack.
Daniel avait failli 'etouffer, et m^eme Nini avait un instant craint de le voir passer de vie `a tr'epas.
Mais le gosse avait fait de telles grimaces qu’il aurait 'et'e impossible au plus morose de ne pas se tordre…
`A cette abominable sc`ene avait succ'ed'e l’orgie habituelle.
Hommes et femmes avaient absorb'e verres sur verres, si bien qu’apr`es avoir 'et'e mis `a la porte du bar o`u l’on avait bu, c’est `a peine si chacun avait pu regagner son domicile.