Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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— J’ai gagn'e la premi`ere manche. Je ne l^acherai pas la partie jusqu’`a ce que j’aie sauv'e Juve.
— Vous m’attendez, madame ?
— Peut-^etre monsieur. Je crois en effet que vous avez une commission `a me faire.
— Causons, voulez-vous ?
— Vous n’avez cependant, dit-elle, qu’une chose `a me dire, si j’en crois les indications de votre ami.
— De mon ami ? interrogea Fandor qui, du coin de l’oeil regardait l’Espagnole, de quel ami voulez-vous parler ?
— Du cocher John.
— Ah, parfaitement, dit Fandor, qui ne comprenait pas, mais sentait qu’il fallait jouer serr'e. Vous informerez donc, le cocher John, qu’H'el`ene est `a l’Escurial.
Mais surprise, la Recuerda eut comme un soubresaut, puis 'etouffa un 'eclat de rire.
— Non, expliqua la Recuerda, mais enfin, vous savez ce que c’est que l’Escurial ?
— Oui, c’est un palais en Espagne, `a quelques kilom`etres de Madrid.
— Vous savez qui habite ce palais ?
— C’est la demeure de l’infant d’Espagne don Eugenio.
— Quand il n’est pas `a Paris.
— Vous avez l’air bien renseign'ee. Vous le connaissez ?
— Non, mais j’ai entendu parler de lui. Je sais qu’il a quitt'e son h^otel de la rue Erlanger.
— Et vous savez pourquoi, sans doute ?
La Recuerda hocha la t^ete et le journaliste, qui la regardait dans le blanc des yeux, pr'ecisa :
— En tout cas, il a quitt'e Paris au lendemain des obs`eques de sa ni`ece Merc'ed`es de Gandia.
— Merc'ed`es de Gandia est morte ?
— Morte et enterr'ee, mais qu’avez-vous donc ?
L’interlocutrice de Fandor 'etait devenue p^ale. Elle avait port'e la main `a son front. Un instant plus tard, s’'etant retourn'ee, elle regardait attentivement dans la glace plac'ee derri`ere elle.
Fandor ne comprenait rien `a cette mimique. Il allait toutefois questionner son 'enigmatique compagne, il n’en eut pas le temps. Celle-ci se levait pr'ecipitamment, en proie, semblait-il, `a une 'emotion violente.
— Madame, appela Fandor.
Mais l’Espagnole ne l’'ecoutait pas, elle sortit du restaurant :
— Il ne sera pas dit que je perdrai sa trace ! s’exclama le journaliste.
Il jeta une pi`ece d’argent sur la table, n’attendit point la monnaie et se pr'ecipita sur les traces de la Recuerda. Mais le hasard voulut qu’une foule de gens, de joyeux noctambules, qu’accompagnaient des demi-mondaines, entr^at `a ce moment dans l’'etablissement.
Lorsque Fandor se retrouva dans la rue, les quelques secondes qui s’'etaient pass'ees avaient suffi `a rompre la filature que le journaliste voulait assurer pour savoir o`u la Recuerda allait retrouver le myst'erieux cocher John, auquel elle devait rapporter le renseignement fourni par son
— Parbleu, se disait le journaliste, quel peut ^etre ce cocher John, sinon un complice de Fant^omas, sinon Fant^omas lui-m^eme ? Cette Recuerda doit ^etre m^el'ee `a un titre quelconque `a la bande de notre effroyable adversaire.
Le journaliste 'etait parvenu `a l’entr'ee du pont Caulaincourt et brusquement, dans son esprit, s’'eveillait le souvenir de ce nouveau myst`ere qui, depuis quelques jours, d'efrayant la chronique, menacait de s’'etendre comme une vague de terreur sur l’opinion.
Fandor jusqu’alors avait 'et'e bien trop pr'eoccup'e par les aventures qui lui 'etaient personnellement survenues pour pr^eter grande attention aux extravagants ph'enom`enes que l’on signalait de toutes parts. Voici que, d'esormais, il 'eprouvait une insurmontable envie de se documenter `a son tour sur ce que la rumeur publique appelait d'ej`a : « le Fant^ome du Pont Caulaincourt ». Et puis, Fandor faisait un rapprochement dans son esprit. L’apparition de ce spectre n’avait-elle pas co"incid'e avec l’'epoque des obs`eques de la ni`ece de l’infant, ensevelie pr'ecis'ement au cimeti`ere Montmartre ?
Les sinistres apparitions ne s’effectuaient-elles pas depuis le moment o`u Fant^omas, apr`es avoir disparu de Paris pendant quelque temps, venait d’y repara^itre ? Et Fandor, machinalement, de son pas tranquille et s^ur, montait le pont Caulaincourt `a peu pr`es d'esert `a cette heure tardive de la nuit.
C’'etait, en dessous du pont, l’obscurit'e et le silence absolus, et sur le large passage qui surplombait le cimeti`ere, la lueur des becs de gaz se refl'etait p^alotte sur le m'etal des larges balustrades et des grands fer en X.
Fandor, accot'e `a la balustrade, plongea le regard dans la n'ecropole. Il ne vit rien, et il songeait que vraisemblablement tous ceux qui avaient 'et'e t'emoins, ou qui pr'etendaient l’^etre, de l’apparition du spectre, n’'etaient que des hallucin'es, victimes d’une illusion collective. Fandor haussa les 'epaules et allait rebrousser chemin, lorsque soudain un bruit frappa son oreille.
Il semblait provenir de l’autre c^ot'e du pont. Intrigu'e, Fandor s’y rendit.
Mais, `a peine s’approchait-il des grandes formes de fer que, derri`ere l’une d’elles, presque `a le toucher, surgit une silhouette extraordinaire : celle d’un homme, au visage `a demi dissimul'e sous un masque noir. Cet homme, `a la silhouette 'el'egante 'etait en habit, le plastron de sa chemise faisait une tache blanche qui contrastait nettement avec la teinte sombre de ses v^etements. Et cet homme semblait suspendu dans le vide.
— Le fant^ome ! s’'ecria Fandor.
Mais, au moment m^eme, comme s’il avait 'et'e aspir'e par la fantastique apparition, Fandor poussait un cri terrible et se trouva pr'ecipit'e dans le vide, la t^ete la premi`ere.
Fandor tomba les mains en avant. Toutefois, il eut la chance de se raccrocher aux balustrades du pont, et, lorsqu’il parvint sur le sol du cimeti`ere, sa chut'e 'etait att'enu'ee.
— Eh bien, s’'ecria le journaliste, en se relevant p'eniblement, voil`a qui n’est pas ordinaire ! Mais quel est le malappris qui m’a vid'e de la sorte du haut du pont Caulaincourt ?