Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Au bout de quelques instants, soeur Sainte-Eudoxie demandait `a son amie :
— Tu es mari'ee depuis quinze ans, mon amie ; c’est une bien grave d'ecision que celle que tu viens de prendre ! Quitter ton mari, mon Dieu ! Passe encore ! Mais tu dois avoir des enfants ?
Eug'enie r'etorqua, l’oeil sec :
— Le ciel n’a pas b'eni notre union, je n’ai pas d’enfants, c’est peut-^etre de l`a que vient tout le mal. Si j’'etais m`ere, je serais plus indulgente et la trahison de mon mari m’inqui'eterait d’autant moins que je serais s^ure de l’affection des enfants n'es de notre amour. Tandis que, maintenant, 'etant donn'e que nous sommes l’un en face de l’autre, jamais je ne pourrai me r'esoudre `a la moindre concession et j’ai d'ecid'e de le quitter… J’ai d'ecid'e d’entrer dans les ordres.
Eug'enie Drapier s’arr^etait de parler pour pr^eter l’oreille `a des exclamations soudaines qui venaient de retentir.
Elle regarda la religieuse, soeur Sainte-Eudoxie se mit `a sourire.
— Ce n’est rien ! dit-elle, la classe vient de finir et c’est la r'ecr'eation qui commence.
Sans en avoir l’air, la religieuse attirait insensiblement son amie vers la fen^etre du parloir. Elle l’avait prise par le bras, elle l’obligeait `a regarder.
Dans le jardin, derri`ere la maison, se trouvaient une demi-douzaine de petits enfants, garcons et filles, qui jouaient joyeusement.
Le plus ^ag'e pouvait avoir cinq ou six ans peut-^etre. Trois braves femmes les suivaient pas `a pas, s’occupant d’eux sans cesse, veillant sur leur s'ecurit'e.
Les petits n’avaient pas l’air d’^etre des enfants de riches, on les devinait pauvrement v^etus sous leurs grands tabliers uniform'ement pareils, `a carreaux bleus et blancs.
Soeur Sainte-Eudoxie expliqua :
— Vois-tu, Eug'enie, nous nous adonnons d'esormais `a l’'education, `a renseignement. Ces petits que tu vois l`a nous sont `a charge, car nous ne sommes pas riches, et nous ne voudrions pas nous en s'eparer car ce sont de pauvres petits d'esh'erit'es de la nature. Leurs parents ont disparu, morts, souvent dans de tragiques circonstances, ils ont des origines qui leur feraient le plus grand tort, qui fait que ceux qui s’en occupent ne veulent point se m^eler aux autres enfants.
« Ils ne peuvent qu’avoir un espoir dans la vie, c’est qu’on ignore leurs ant'ec'edents. Fils d’assassins, enfants de criminels, malheureux ^etres engendr'es par des filles perdues, voil`a quels sont nos prot'eg'es…
En 'ecoutant parler la soeur Sainte-Eudoxie, les yeux d’Eug'enie Drapier 'etaient devenus humides.
— Pauvres petits ! murmura-t-elle.
La religieuse prenait le bras de son amie, le serrait affectueusement.
— Je sais que tu souffres et je te plains ! Au surplus, qui donc ici-bas ne porte point sa croix !… Rends-toi compte, Eug'enie, que tu n’es pas la seule, et qu’il existe de pauvres petits ^etres qui, d`es le premier ^age de l’enfance, sont condamn'es `a perp'etuellement souffrir, `a perp'etuellement lutter.
« Eug'enie, crois-moi, c’est en s’int'eressant au malheur des autres que l’on oublie ses propres chagrins. Tu n’es point faite pour t’en aller dans nos couvents lointains, pour accepter la r`egle rigoureuse de nos ordres religieux. Par contre, je te connais, je sais que ton coeur est gonfl'e de tendresse maternelle et qu’il souffre de ne point avoir un enfant. Eug'enie, tu es riche, libre d’agir `a ta convenance, laisse-moi te donner un conseil. Cherche autour de toi `a soulager une infortune, fais comme nous faisons, nous, les filles st'eriles qui nous sommes vou'ees `a Dieu.
« Occupe-toi de l’enfance et sauve, en le prot'egeant, un pauvre ^etre innocent. Je t’assure que l`a est le devoir de la femme qui se replie sur elle-m^eme… Fais comme nous, Eug'enie, songe `a ce que je te dis…
Cependant que la religieuse parlait de la sorte et que le murmure de sa voix retentissait `a l’oreille d’Eug'enie Drapier comme une musique douce et persuasive, la femme du directeur de la Monnaie ne pouvait d'etacher son regard des enfants qui jouaient dans le jardin.
L’un d’eux, tout particuli`erement, attirait et retenait son attention.
Elle l’observait, tout 'emue, sentant son coeur battre.
C’'etait un joli b'eb'e, au visage rose et joufflu, aux yeux bleus pleins de candeur.
De grandes boucles blondes frisaient autour de sa nuque et de ses tempes.
— Oh ! le bel enfant ! articula na"ivement Eug'enie Drapier, il me semble que si je pouvais l’aimer, je me sentirais plus heureuse !
Soeur Sainte-Eudoxie, `a ces mots, tressaillit violemment.
— C’est un orphelin ! articula-t-elle.
Eug'enie la consid'era, puis joignant les mains :
— Je t’en supplie, ne r'eponds pas non. Eudoxie, tes paroles m’ont touch'ee jusqu’au fond du coeur, et je sens que mon ^ame s’'eveille `a cet irr'esistible sentiment de la maternit'e qui nous tourmente toutes, nous autres femmes. Je veux aimer un enfant, je veux aimer celui-l`a ! Dis-moi que je peux le prendre, m’occuper de son sort, que je peux esp'erer qu’un jour il me regardera de ses bons yeux tendres, qu’il saura me rendre l’affection, le d'evouement que je suis pr^ete `a lui donner.
Une seconde, soeur Sainte-Eudoxie h'esitait.
— Pourquoi cet enfant, interrogeait-elle, plut^ot qu’un autre ?
— Parce que, articula Eug'enie Drapier, quelque chose de myst'erieux et d’incompr'ehensible, invinciblement, m’attire vers lui…
La religieuse murmura `a part :
— D'ecid'ement les desseins de Dieu sont imp'en'etrables.
Elle faisait un signe par le fen^etre, une des femmes qui s’occupait des enfants s’approcha d’elle, soeur Sainte-Eudoxie lui murmura quelques mots `a l’oreille. Quelques instants apr`es, dans le parloir glacial, un gros b'eb'e tout rose entrait, le visage anim'e, l’oeil brillant.
Eug'enie Drapier, dont le visage rayonnait, se pr'ecipitait vers lui.
La religieuse s’interposa :
— J’ai h'esit'e jusqu’`a pr'esent `a te le dire, dit-elle lentement en regardant son amie, mais ma conscience m’oblige `a te pr'evenir.
« Ce petit enfant que tu vois devant toi c’est…
— C’est ? interrogea Eug'enie Drapier.
La religieuse baissa la voix pour dire :
— C’est le petit Gustave, l’enfant de Paulette de Valmondois…