Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Et c’'etait en effet exact, la couverture 'etait m^eme pr'epar'ee.
Ce m^eme jour o`u Juve devait d'ebarquer du Jean-Bart`a Bordeaux, rentrer `a Paris et apprendre de la bouche m^eme de M. Havard qu’il allait ^etre charg'e d’une affaire assez grave et d'elicate, `a trois heures de l’apr`es-midi, deux ins'eparables amis d'eambulaient bras dessus, bras dessous le long des berges de la Seine, s’int'eressant `a la tranquille patience des p^echeurs `a la ligne trempant leur fil dans l’eau sans risquer, et pour cause, de p^echer un seul poisson.
Les deux ins'eparables amis n’'etaient autres que Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf.
Ils 'etaient tour `a tour moroses, et tour `a tour joyeux.
Bec-de-Gaz, d’un ton plaintif, d'eclarait :
— Moi, mon vieux, quand je vois tant d’eau, ca me fiche la p'epie. Si qu’on allait s’offrir un verre de vin !…
`A quoi OEil-de-Boeuf r'epliquait aimablement ;
— Parbleu, je n’y vois aucun inconv'enient, ma vieille, seul’ment, tu m’as l’air d’oublier que j’suis nib de p`eze en ce moment.
Le front de Bec-de-Gaz se rembrunit imm'ediatement.
— Ca, c’est bien vrai, d'eclarait-il. Depuis quelque temps, ce qu’on est fauch'es tous les deux !…
Et, crachant de d'ego^ut, Bec-de-Gaz poursuivait :
— Ah, elle est rien mauvaise, l’ann'ee !… Les bourgeois, y n’sortent plus !… L’commerce, ca n’donne rien !… J’ai pas seulement fait un mouchoir depuis trois jours !…
— Et moi, approuva OEil-de-Boeuf, j’ai pas m^eme trouv'e une thune et trois linv'es dans le sac `a or de la vieille que j’ai r’fil'e `a la r'eunion !
Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf s’'etaient improvis'es pickpockets et voleurs `a la tire depuis quelque temps. Par malheur, comme ils le disaient eux-m^emes, le commerce n’allait pas et ils ne se trouvaient pas sur le chemin de la fortune. Il y avait `a cela une raison, il est vrai, c’est que Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf, depuis les tragiques affaires du Jockey masqu'e, 'etaient devenus des habitu'es du champ de course.
Ils pr'etendaient fr'equenter le turf pour y visiter les poches des joueurs, mais en r'ealit'e ils jouaient eux-m^emes, risquant avec une v'eritable fr'en'esie les pi`eces de cent sous qu’ils gagnaient et gardant tout juste assez de lucidit'e pour mettre de c^ot'e chaque jour de quoi s’enivrer copieusement.
Or, il y avait eu pr'ecis'ement, la veille, un malentendu entre Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf. Chacun d’eux avait cru que l’autre gardait de l’argent, et chacun avait jou'e jusqu’au dernier centime, ce qui faisait qu’ils 'etaient `a jeun et, n’'etant pas ivres `a cinq heures du soir, s’estimaient aux trois quarts malades.
Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf, avancant sur les berges, sursaut`erent tout d’un coup. On venait de les appeler.
— Eh l`a-bas, les aminches !…
— Quoi qu’y n’y a ? r'epondit Bec-de-Gaz, qui se retourna.
D’un tas de sable o`u il 'etait vautr'e, un homme se levait qui appelait toujours :
— Radinez voir, quoi ! Non c’que vous avez l’air marioles, tous les deux… On r’conna^it donc plus les poteaux ?
Alors OEil-de-Boeuf eut un grand cri, un cri de joie qui lui venait du coeur.
— Ah bon Dieu, commencait-il, D'egueulasse !…
Au m^eme instant, une autre t^ete apparaissait, que Bec-de-Gaz identifia `a son tour :
— Et Fumier ! dit-il.
L`a-dessus, OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz, au comble de la joie, s’envoy`erent des grandes claques sur les cuisses, en signe de satisfaction. Ils 'etaient 'evidemment tr`es heureux de retrouver les deux amis D'egueulasse et Fumier avec qui, jadis, ils avaient fait de si bonnes parties.
D'egueulasse, cependant, 'etait toujours aplati sur son tas de sable. Il invitait :
— Eh bien, montez-donc, rappliquez, les oiseaux ! Y a d’la place pour tout l’monde ! Et si c’est que vous n’^etes pas milliardaires, vous n’perdrez peut-^etre pas vot’temps…
L’invitation 'etait s'eduisante, elle semblait sous-entendre une offre all'echante. Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf ne se la firent pas r'ep'eter deux fois.
— Voil`a, pr'esents ! ripostait Bec-de-Gaz. On s’am`ene !…
OEil-de-Boeuf demandait en m^eme temps :
— Mais qu’est-ce que vous foutez-l`a, bon sang, D'egueulasse et Fumier ?
D'egueulasse se d'ecouvrit :
— Nous, dit-il, on r’garde l’institut. Ah, et puis, encore, on s’inspire de la Beaut'e…
Et Fumier ajoutait avec un sourire :
— On a des dames, d’abord !…
De fait, il y avait des dames, il y avait une dame plut^ot, avec D'egueulasse et Fumier. Elle 'etait, comme ses compagnons, 'etendue tout de son long sur la pyramide de sable et elle se chauffait au soleil, les bras 'ecart'es, les jambes crois'ees, tout en couvant d’un oeil attendri un grand diable qui, sale `a faire peur, l’air voyou au possible, se grattait la t^ete avec conviction, se livrant 'evidemment `a une chasse des plus fructueuses.
OEil-de-Boeuf, du coup, s’enthousiasma.
— Ah bien alors, fit-il, vous avez trouv'e le bon coin, vous autres !… On est rudement bien, l`a-haut !… Et du moment qu’y a du sesque !…
Mais D'egueulasse rappelait d'ej`a son ami aux convenances.
— Toi, disait-il gentiment, t^ache de t’coller un bouchon ! Madame est `a la colle solide avec monsieur ! 'Ecoute voir un peu que j’fasse les pr'esentations !
Et D'egueulasse faisait en effet les pr'esentations.