Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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— Ce ne peut ^etre que le domestique lui-m^eme, articula L'eon Drapier.
— Ce que vous dites semble logique au premier abord, poursuivit Juve, malheureusement l’observation d'emontre le contraire !
« Je suis un peu graphologie, monsieur Drapier ; `a mes moments perdus, j’'etudie, comme cela, les 'ecritures. C’est une science `a laquelle je crois et je ne suis d’ailleurs pas le seul !
« Or, il ressort de mon examen que ces certificats ont 'et'e r'edig'es par une main f'eminine, et que la personne qui les a 'ecrits, sans avoir une 'education bien extraordinaire, poss`ede n'eanmoins une bonne petite instruction…
« Elle ne manque pas d’une certaine ambition – un bon sentiment –, elle aime l’argent, le luxe, elle professe pour tout travail mat'eriel une paresse irr'eductible… Mais voil`a que je m’emballe, monsieur Drapier, sur la graphologie, or, nous sommes ici pour autre chose !
« Mon Dieu, monsieur Drapier, que c’est remarquable d’avoir de l’ordre comme vous en avez ! Les tiroirs de votre bureau sont rang'es `a merveille ; vous m’excuserez, n’est-il pas vrai, de les fouiller comme s’ils m’appartenaient ? Mais c’est un usage consacr'e par la loi qui permet aux inspecteurs de la S^uret'e de visiter les objets personnels de leurs clients, or j’ai l’honneur de vous compter comme client et m^eme, `a ce propos, je solliciterai de votre obligeance une faveur…
Drapier 'etait de plus en plus interloqu'e par l’attitude de son interlocuteur.
Vraiment, ce Juve 'etait un original, avec qui il ne fallait s’'etonner de rien !
— Que va-t-il me demander encore ? songea Drapier.
Or la requ^ete de Juve 'etait si simple que le directeur de la Monnaie en fut presque d'esappoint'e.
— Je voudrais avoir, fit Juve, votre carte de visite.
— Vraiment ? il y en a dans mon tiroir de gauche.
— Pas celle-l`a, interrompit vivement le policier, une de celles que vous avez certainement dans votre portefeuille ?
— Soit ! fit Drapier, qui ne savait pas o`u Juve voulait en venir.
Comme il sortait son portefeuille de sa poche pour en retirer le carton demand'e, une enveloppe tomba.
Juve, avec une soudaine rapidit'e, se pr'ecipitait, la ramassait.
La lettre 'etait adress'ee : M. L'eon Drapier. Juve tressaillit l'eg`erement en apercevant la suscription de l’enveloppe !
Toutefois, avec une incorrection parfaite, il sortait de cette enveloppe la lettre qui s’y trouvait…
Drapier redevenait tout rouge.
— Monsieur ! commenca-t-il.
Juve l’interrompait encore d’un sourire.
Affectant de ne point regarder la lettre, il la tendait au bout de son bras `a Drapier.
— Reprenez ceci qui vous est absolument personnel, monsieur, et permettez-moi simplement de conserver l’enveloppe ! Oui, je collectionne les vieux timbres ! m^eme les plus communs !
« Mais revenons, si vous voulez bien, car tout ceci n’a aucune importance, `a la question de ces certificats…
« Il est v'eritablement 'etrange que ce domestique que vous avez engag'e f^ut porteur de deux certificats, que nous sommes dispos'es l’un et l’autre `a consid'erer comme faux.
« Entre nous, M. Drapier, voyons, ce Firmin avait-il bien l’allure d’un domestique ? D’apr`es vous, 'etait-il de la partie ? Ca se voit tout de suite, ces choses-l`a.
La question que venait de poser Juve, apr`es tant de circonlocutions en apparence inutiles, tombaient 'evidemment dans un tr`es bon terrain, car M. Drapier poussa une sorte de soupir de soulagement.
— Eh bien, fit-il, je ne suis pas f^ach'e de vous donner mon opinion. D`es la premi`ere heure, d`es le premier instant o`u je vis cet homme, ce Firmain, j’ai eu l’impression qu’il avait quelque chose de louche et qu’il 'etait chez moi pour un tout autre motif que le simple but d’y gagner soixante-dix francs `a faire mes bottines, brosser mes v^etements et me servir `a table !
— C’'etait, d’apr`es vous, fit Juve, un cambrioleur, un bandit ?
— `A vous dire vrai, r'epliqua M. Drapier, je ne le crois pas ! Et je me suis demand'e m^eme si ce n’'etait pas un policier… un espion !
— Un policier ! un espion ! Pourquoi ?
Juve, sinc`erement, d`es lors, interrogea du regard son interlocuteur qui se rapprocha de lui et articula `a voix basse :
— Voyez-vous…, je me m'efie de ma femme et surtout de sa tante, je me d'efie de tante Denise qui habite Poitiers et qui devait arriver ces jours-ci, pour passer comme d’ordinaire le printemps avec nous…
« Ma femme est la meilleure personne qui existe au monde, elle est incapable de soupconner quoi que ce soit, et surtout qui que ce soit, mais il n’en est pas de m^eme de sa tante !
« C’est une personne inqui`ete, m'efiante, vindicative, qui est capable d’employer tous les moyens pour se renseigner !
— Ah ! ah ! fit Juve, mais cependant, monsieur Drapier, vous n’avez rien `a cacher ?
— Moi ! monsieur Juve ! absolument rien !
— C’est bien ce que je pensais. Vous ^etes un haut fonctionnaire, officier de la L'egion d’honneur, directeur de la Monnaie, mari'e `a une femme charmante, vivant tr`es retir'e avec elle, soit seul, soit en compagnie de votre parente, la tante Denise, lorsque celle-ci vient `a Paris, c’est parfait, parfait, je vous f'elicite vivement…
Tout d’un coup, Juve changea de ton :
— Dites-moi, monsieur Drapier… une simple question encore.
Le directeur de la Monnaie posa son regard perplexe, inquiet, sur celui du policier.
— De quoi s’agit-il ?
— Dites-moi, monsieur Drapier, est-elle brune ou blonde ?
Le directeur de la Monnaie se leva :
— Brune ou blonde ? De qui voulez-vous parler ? de la tante Denise ?
— Non pas ! fit Juve, je ne connais pas votre tante Denise, mais je suis convaincu qu’elle doit avoir une chevelure grisonnante, des cheveux tr`es tir'es et quelque peu jaunis `a la naissance de la raie… qu’elle doit porter au milieu de la t^ete, ainsi qu’au bout du chignon. Je ne me permettrais point de vous demander au surplus des d'etails de ce genre sur quelqu’un de votre famille…