Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Le marquis de Tergall ne demandait pas mieux que de se rendre aux objurgations de sa ma^itresse.
— Tu as raison, Chonchon, oublions, puisque nous sommes en pr'esence de l’irr'eparable et que rien, pour le moment ne nous permet de modifier cette situation.
Le marquis s’'etait relev'e, il vint s’asseoir sur le canap'e, `a c^ot'e de la chanteuse, passa son bras autour de la taille de celle-ci. Mais soudain, Chonchon se recula :
— Chut.
Puis elle interrogea brusquement :
— Quelle heure est-il ? D'ep^eche-toi de me le dire.
— Dix heures et quart.
— Bon, nous avons encore une demi-heure.
Le visage du marquis exprima soudain une vive contrari'et'e.
— Une demi-heure ? fit-il, veux-tu donc t’en aller ? o`u comptes-tu te rendre par cette nuit sombre et mauvaise ?
— Moi, fit Chonchon, je ne vais pas me fourrer les pieds dehors, telle n’est pas mon intention, seulement c’est toi qui vas partir.
— Ah ! Chonchon, s’'ecria le marquis, voil`a que tu me renvoies, que tu me chasses, moi qui m’'etais arrang'e pour rester toute cette soir'ee, toute cette nuit avec toi, pr`es de toi. Et pourquoi me renvoies-tu ? As-tu quelque autre rendez-vous ? Ah ! v'eritablement, le mal d’amour n’engendre que des souffrances, et jamais je n’aurais cru, lorsque je t’ai connue, Chonchon, que tu saurais ^etre `a la fois aussi charmante et aussi cruelle.
Au commencement de la soir'ee, la chanteuse avait fait effort pour se mettre `a l’unisson de son sentimental amoureux. Elle lui avait tenu des propos conformes `a ceux qu’'evidemment il d'esirait entendre, mais Chonchon n’'etait pas com'edienne assez consomm'ee pour pouvoir tenir ce r^ole aussi longtemps, et le naturel, c’est-`a-dire son caract`ere insouciant et gouailleur, ayant 'et'e momentan'ement chass'e, revenait au galop.
— Zut apr`es tout, cria Chonchon en changeant compl`etement d’attitude, moi je ne veux pas passer mon temps `a te raconter des boniments, et c’est pas la peine de faire tant d’histoires, parce que j’ai un autre amant, surtout que cet amant 'etait avec moi avant toi. Eh bien, oui, j’attends quelqu’un, je suis bien forc'ee de l’attendre.
— Chonchon, s’'ecria le marquis, ne dis pas un mot de plus, je t’en supplie, tu ne te doutes pas du mal que tu me fais.
Chonchon, apitoy'ee, consid'erait le pauvre homme.
— Mais, grosse b^ete, assurait-elle en le consolant d’un baiser, tu sais bien que c’est toi seul que j’aime, toi seul. Il ne faut pas te frapper comme ca, revient me voir demain par exemple.
— H'elas, je ne pourrai pas, jamais ma femme ne me laissera d'ecoucher deux nuits de suite, surtout qu’elle a des soupcons. Je suis d'esesp'er'e.
Chonchon n’eut pas l’air d’attacher grande importance `a ce d'esespoir.
— Eh bien, fit-elle, si ca te d'erange, peu importe, ce sera pour apr`es-demain ou un autre jour, mais pr'eviens-moi, tu sais que je n’aime pas les surprises.
Insensiblement, Chonchon reconduisit Maxime de Tergall jusqu’`a l’entr'ee du salon. Le marquis se laissa faire, courbant la t^ete, heureux au fond que Chonchon e^ut bien voulu lui accorder un autre rendez-vous.
— Tu sais, dit la jeune femme, en le menacant du doigt, que je n’aime pas qu’on vienne me surprendre comme ca, le soir sans pr'evenir. Je t’ai laiss'e faire aujourd’hui, mais ne t’avise plus de recommencer. C’est si facile de m’envoyer un mot pour savoir si je suis libre ou non.
Humblement, le marquis de Tergall s’excusait :
— C’est vrai, Chonchon, tu me l’avais d'ej`a dit, je te demande pardon. Adieu. Que la nuit est sombre et comme il fait froid, poursuivit Tergall, qui sans enthousiasme quittait la maison.
— Bah, r'epliqua Chonchon conciliante, tu seras vite rentr'e chez toi.
Mais le marquis protesta :
— Rentr'e ? non, pas encore. J’ai la t^ete en feu aujourd’hui, l’^ame boulevers'ee. Non, je vais marcher, errer tr`es tard, toute la nuit peut-^etre, je penserai `a toi, Chonchon.
— Tu ferais beaucoup mieux d’aller dormir `a l’h^otel si ca t’emb^ete de rentrer chez toi.
— Dormir ? poursuivit tragiquement le marquis, ah, ne comprends-tu pas que cela me serait impossible.
Chonchon donna `a son amant un dernier baiser rapide et distrait, puis referma la porte.
Seule, la jeune femme rentra dans son salon, se remit sur le canap'e, poussa un long soupir.
— Quelle gourde, fit-elle en b^aillant, on peut lui raconter n’importe quel boniment. Ca prend toujours, ah, si tous les hommes 'etaient comme lui, ce que la vie serait facile.
Soudain, la jeune femme se redressa, courut `a la fen^etre, pr^eta l’oreille. On entendit nettement dans le jardin un bruit de pas pr'ecipit'es.
— C’est lui, fit-elle, cette fois, c’est Chamb'erieux, attention.
Chonchon n’allait pas ouvrir. Une cl'e avait gliss'e dans la serrure, ouvrant la porte : Chamb'erieux apparut.
Le bijoutier avait sans doute fait la route `a pied, depuis la gare, sans souci de ses chaussures ni de ses v^etements. Il 'etait tout crott'e, son chapeau mou rabattu sur ses yeux ruisselait comme une 'eponge.
— Mon Dieu ! s’'ecria Chonchon, en le voyant appara^itre, comme te voil`a fait, mon pauvre ch'eri, viens donc dans la cuisine, tu vas pouvoir te s'echer. Mais pleut-il donc si fort pour que tu sois tremp'e de la sorte ?
— Non, grogna sombrement Chamb'erieux, c’est parce que j’ai travers'e les champs au lieu de venir par la route, et que je me suis heurt'e `a un tas de buissons et de feuillages qui m’ont mouill'e.
Chamb'erieux s’arr^etait net de parler, il consid'erait Chonchon avec un air 'etrange.