Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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Assur'ement Delphine Fargeaux cherchait un amant et elle n’'etait pas une vertu assez farouche pour ne pas faire de consciencieuses exp'eriences, mais elle r'epugnait `a l’id'ee de faire la noce et elle aurait pr'ef'er'e de beaucoup une affection sinc`ere et durable plut^ot que ces caprices de passage, dont elle connaissait les satisfactions 'eph'em`eres et aussi les rancoeurs plus durables.
— Tout cela, 'etait-elle en train de conclure, c’est la faute au m'etier que j’exerce. Si j’'etais une simple grue, du soir au matin et du matin au soir, j’aurais plus de succ`es.
Delphine, sur cette r'eflexion am`ere, quitta le restaurant du Moulin-Rouge et, d’un pas nonchalant, se dirigea vers un autre 'etablissement d’apparence moins 'el'egante, mais assur'ement aussi fr'equent'e que celui qu’elle venait de quitter. C’'etait encore un restaurant de nuit, faisant l’angle du boulevard et de la rue Lepic, que les habitu'es de Montmartre d'esignaient famili`erement sous le nom de La Bo^ite `a Joseph.
La client`ele y 'etait moins distingu'ee, la tenue moins s'ev`ere, les femmes d'ecollet'ees, les habits noirs y 'etaient rares et l’'etablissement poss'edait au premier 'etage une client`ele d’habitu'es qui, paisiblement, jouaient au billard.
Il n’y avait pas, chez Joseph, de tziganes, mais un simple piano sur lequel tapait consciencieusement, jusqu’`a trois heures du matin, une malheureuse femme au teint fan'e, `a la poitrine 'etroite, aux yeux rougis par les veilles.
Delphine Fargeaux venait `a peine d’entrer l`a, s’arr^etant machinalement sur le seuil, prise `a la gorge par l’odeur de tabac, qu’elle s’entendit appeler.
Delphine fronca le sourcil en apercevant le consommateur qui lui offrait une place `a sa table.
— Encore lui, grommela-t-elle.
Mais cependant Delphine, quelques instants apr`es, s’asseyait aupr`es du personnage. C’'etait Coquard, le courtier de la maison Ange de Villars.
Coquard, avec ses allures communes et son 'enervante gaiet'e, 'etait cependant un brave garcon et, bien que grand buveur de bocks, il 'etait sentimental.
Le courtier 'etait tout heureux d’avoir obtenu que Delphine accept^at son invitation :
— On va faire un gentil petit souper ? proposa-t-il, l’oeil allum'e.
Il 'eprouva un certain d'epit lorsque Delphine lui r'epondit qu’elle ne voulait accepter qu’un bock, mais le courtier, n'eanmoins, qui avait son id'ee, lui prit tendrement la main, lui murmurant `a l’oreille des paroles persuasives.
— Ah, si vous vouliez, Delphine, on pourrait s’arranger pour ^etre heureux tous les deux ; vous savez combien je vous aime et, puisque nous sommes l’un et l’autre dans le m^eme commerce, nous pourrions nous associer aussi bien de coeur que de fait. Je suis s^ur qu’`a nous deux nous r'eussirions tr`es bien et si jamais le patron venait `a se retirer, il y aurait une belle place `a prendre, hein, Delphine, voyez-vous cela ? la premi`ere maison de Pompes fun`ebres de Paris : Ange de Villars, successeurs Coquard et C ie.
'Evidemment Coquard s’illusionnait sur l’effet que produisaient ses propositions, car Delphine s’'etait lev'ee, brusquement :
— Vous me d'ego^utez, se contenta-t-elle de dire, je fais le m'etier que j’ai par n'ecessit'e et pour vivre ; si vous croyez que j’y trouve du charme, non vrai, vous faites erreur.
Interloqu'e, Coquard insista :
— Mais cependant, Delphine, il n’y a pas de sot m'etier, et ce que nous faisons n’a rien de d'eshonorant.
— Possible, conclut Delphine, mais ce n’est pas une raison pour que la profession me plaise ! Adieu !
Laissant Coquard tout interdit, Delphine, nerveuse, quitta l’'etablissement.
Non loin du Moulin-Rouge, `a quelques pas de la Bo^ite `a Joseph, se trouve encore le Diabolo, un 'etablissement, celui-l`a, de derni`ere cat'egorie, une effroyable bo^ite o`u se donnent rendez-vous les mis'ereux du voisinage, les apaches du quartier et aussi toute la population interlope qui vit de la grande vie des restaurants chics et de onze heures du soir `a six heures du matin, c^otoie les noctambules.
Le plus souvent on se tient debout au Diabolopour consommer devant le comptoir, tant l’affluence y est nombreuse et tant on passe vite sans s’attarder.
Ce soir-l`a, cependant, deux hommes ne quittaient pas l’'etablissement, ils y 'etaient depuis une bonne demi-heure, ils avaient absorb'e au moins une demi-douzaine de consommations vari'ees. Ils avaient des silhouettes caricaturales, et quiconque les voyait une fois ne pouvait les oublier.
C’'etait d’abord un fleuriste, `a la barbe embroussaill'ee, c'el`ebre dans le quartier par ses bons mots et ses saillies ; c’'etait Bouzille, l’in'enarrable Bouzille, vieux Parisien de pure race, ayant exerc'e les m'etiers les plus extraordinaires et les plus diff'erents.
Bouzille buvait en compagnie d’un homme dont les consommateurs se seraient volontiers 'ecart'es, s’ils avaient su sa profession. Cet homme, en effet, n’'etait autre que Barnab'e, le fossoyeur du cimeti`ere Montmartre.
Les deux amis, tout en choquant leurs verres avant de les vider, discutaient politique avec animation :
— Moi, prof'erait Barnab'e, terriblement ivre, si j’'etais le gouvernement, j’obligerais les bourgeois `a payer les retraites ouvri`eres aux ouvriers `a partir de quarante ans.
Bouzille approuva, en ajoutant :
— Seulement faudrait aussi que le gouvernement vende le tabac gratuit.
— Le tabac ? dit Barnab'e, je m’en fous, je ne fume pas. Non, si j’'etais le gouvernement, ce que je vendrais gratuit et obligatoire, ce serait le demi-setier. Tout honn^ete homme dans la soci'et'e moderne doit avoir droit `a son demi-setier chaque matin et chaque soir.
— Le fait est, reconnut l’autre, que ce n’est pas de trop.
— La r'evolution nous donnera cela, vois-tu, mon vieux Bouzille, il est temps d’en finir. Tiens, buvons `a sa sant'e, nom de nom !