Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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Le fossoyeur qui venait de prof'erer cette derni`ere exclamation, demeura interdit. Son compagnon, soudain, avait disparu :
— Ah, nom de Dieu ! r'ep'eta Barnab'e, ca c’est plut^ot rosse. Il profite de ce que j’ai du vent dans les voiles et du p`eze dans mes profondes pour se d'ebiner sans raquer. Mais je le retrouverai ce salaud de Bouzille et comment que je l’arrangerai si jamais il me tombe entre les pattes.
Bouzille, en effet, s’'etait 'eclips'e, et sans dire mot `a personne, avait bondi hors du Diabolo. Ce n’'etait pas uniquement pour laisser `a Barnab'e la charge totale des consommations. Bouzille 'etait un honn^ete homme ; or, une demi-heure auparavant, il avait recu une gratification d’un client pour faire une commission et Bouzille voulait gagner son argent.
Cette commission consistait `a dire `a Delphine Fargeaux, si comme c’'etait probable, Bouzille la rencontrait, qu’un homme, un certain M. John, d'esirait ardemment lui parler et qu’il l’attendrait jusqu’`a deux heures du matin `a la troisi`eme table `a droite, au Moulin-Rouge.
Or, Bouzille, qui, de l’int'erieur du Diabolosurveillait la place Blanche, avait soudain vu passer la jeune femme et s’'etait pr'ecipit'e.
— 'Ecoute voir, Delphine, lui annonca-t-il, il y a un type chic qui veut faire ta connaissance, il m’a charg'e de te pr'evenir, il t’attend, faut profiter de l’occasion.
Delphine, m'ediocrement satisfaite, toisa l’ancien chemineau :
— Est-ce que j’ai l’habitude d’accepter des combinaisons de ce genre et puis, je me m'efie de tes types chics. Pour toi qu’est-ce que ca doit ^etre ?
— Oh protesta Bouzille, je m’y connais, cet homme-l`a c’est un cocher de bonne maison, j’en suis s^ur, il me l’a d’ailleurs dit, et pas cocher d’une maison `a la manque, il a servi ces derniers temps chez l’infant d’Espagne, don Eugenio.
Cette derni`ere d'eclaration d'ecida Delphine Fargeaux :
— O`u dois-je le rencontrer ?
Bouzille pr'ecisa le rendez-vous, puis, suivit des yeux la jeune femme qu’il vit s’engouffrer sous la vo^ute lumineuse descendant au Moulin-Rouge.
Ainsi que l’avait indiqu'e Bouzille, seul `a la troisi`eme table, `a droite du restaurant, un homme attendait. Il avait le visage h^al'e des gens qui vivent au grand air, une chevelure rousse coup'ee ras, des favoris descendant jusqu’au lobe des oreilles, il 'etait v^etu avec recherche et l’'el'egance sp'eciale qui d'enotait sa profession.
Toutefois, quiconque l’aurait examin'e aurait 'et'e incapable de reconna^itre en lui, en ce cocher bien caract'eristique, fait sur le mod`ele de tous les cochers anglais, le Roi du Crime, le Ma^itre de l’Effroi, grim'e avec cet art qui n’'etait qu’`a lui.
Le bandit, qui affectait une tranquillit'e absolue, eut un l'eger tressaillement de satisfaction lorsque, au bout d’une heure et demie d’attente, il vit appara^itre `a l’entr'ee de la salle Delphine Fargeaux. Il se leva, lui fit un signe imperceptible que cependant la jeune femme remarqua, puis tous deux s’installaient, se regardaient, g^en'es, embarrass'es, comme lorsque deux inconnus se trouvent ensemble et ne savent que se dire.
Le cocher John, puisque c’est sous ce nom que Fant^omes se pr'esenta, venait de faire apporter une bouteille de champagne et Delphine qui le consid'erait attentivement s’emballait aussit^ot sur lui, se disant qu’assur'ement si cet homme-l`a n’'etait pas un vulgaire cocher, il lui plairait par ses belles mani`eres et son allure.
Cependant, Fant^omas, avec une remarquable habilet'e, incitait Delphine Fargeaux `a faire tr`es insensiblement un retour en arri`ere sur son existence pass'ee. `A quelques allusions discr`etes, Delphine comprit que le cocher 'etait au courant de son existence ant'erieure, savait qu’elle avait 'et'e mari'ee, ch^atelaine de ce que l’on appelait dans les Landes le ch^ateau de Garros, et d`es lors, le cocher John flattait la jeune femme en affectant d’avoir pour elle une grande et respectueuse admiration.
Delphine Fargeaux avait une certaine vanit'e et tirait volontiers gloire de son pass'e. Elle ne s’'etonnait pas que le cocher John en e^ut connaissance puisqu’il 'etait cocher de l’infant. `A un moment donn'e Delphine, avec une pointe d’amertume, d'eclara :
— Dire qu’au lieu d’^etre ce que je suis, j’aurais pu ^etre infante d’Espagne.
— Vraiment ? fit le cocher, l’air interloqu'e.
Et d`es lors, Delphine, rendue bavarde par l’effet du champagne, racontait `a son interlocuteur les extraordinaires aventures auxquelles elle avait 'et'e m^el'ee.
Don Eugenio l’avait apercue `a la chasse, s’'etait 'epris de ses charmes, s’'etait jur'e d’en faire sa ma^itresse ; Delphine Fargeaux ne demandait pas mieux, l’infant lui plaisait et puis, c’'etait un grand seigneur. Alors que tout devait s’arranger pour le mieux, une femme myst'erieuse survenait soudain et, volontairement ou non, barrait la route `a Delphine Fargeaux, s’interposait entre elle et l’infant, finalement, 'etait enlev'ee en son lieu et place par les hommes du grand d’Espagne.
Fant^omas, int'eress'e par cette aventure qui remontait `a deux mois `a peine, interrogeait :
— Cette femme qui 'etait-elle ?
Delphine Fargeaux prof'era son nom :
— H'el`ene, dit-elle, je la connaissais sous le nom d’H'el`ene.
Et, parlant plus bas, elle ajouta :
— J’ai appris qu’elle 'etait la fille du plus terrible bandit qui soit au monde, la fille de Fant^omas.
Pas un muscle du visage de l’interlocuteur de Delphine ne bougea et cependant Fant^omas 'eprouvait une violente 'emotion. Il se contenta d’interroger d’une voix calme, qu’il voulait rendre indiff'erente :
— Enlev'ee, m’avez-vous dit ? cette H'el`ene a 'et'e enlev'ee par l’infant d’Espagne et conduite o`u ?
— Je ne sais pas, mais je suppose que don Eugenio a d^u l’emmener l`a o`u il 'etait convenu que j’irais moi-m^eme, dans ses appartements priv'es, au palais de l’Escurial.
— Ah ! fit Fant^omas qui allait poser une autre question, mais qui s’arr^eta et p^alit.
Delphine Fargeaux venait de murmurer :
— Mais tout cela c’est de l’histoire ancienne et j’aime `a croire que ca ne lui a pas port'e bonheur `a cette H'el`ene, car, `a moins que je me trompe beaucoup, il y a pas huit jours qu’elle est morte et qu’elle a 'et'e enterr'ee.