Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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— Alors, rentrez chez vous.
— Mais c’est ce que je fais, messieurs les agents, c’est ce que je fais.
Non sans peine, Barnab'e traversa la chauss'ee, puis guid'e par son instinct, il aborda la rue Caulaincourt. Au bout d’un quart d’heure, il parvint au point surplombant le cimeti`ere de Montmartre, puis fatigu'e d’un tel effort il s’accota `a la balustrade par-dessus laquelle son regard trouble et vacillant plongeait dans l’obscurit'e noire du cimeti`ere silencieux. Incorrigiblement bavard lorsqu’il avait bu, Barnab'e monologuait, il esquissait des sourires, il avait des gestes de satisfaction :
— Parbleu, je m’y retrouve, grommela-t-il, ca c’est mon quartier, et l`a-dessous voil`a mon chantier de travail. Tiens, je les connais tous l`a-dedans, c’est mes clients. Voil`a le caveau des Morel.
Barnab'e haussait les 'epaules :
— Oh, les Morel, des pur'ees, trois francs par mois pour l’entretien, c’est pas avec ca que je pourrai me payer une automobile. Parlez-moi des Artinien. V’l`a du monde bien, et puis c’est des gens qui font travailler, on en a descendu cinq dans le caveau, en moins de deux ans. Ah, conclut-il, en 'etouffant un soupir, voil`a comme il en faudrait toujours de la client`ele. Ce qu’il y a de bon, d’ailleurs, dans le m'etier, c’est qu’on ne ch^ome jamais. Y a pas de morte-saison.
Soudain, le fossoyeur tressaillit, tourna la t^ete :
— De quoi ? qu’est-ce que c’est ?
Et il regarda d’un air surpris. Quelqu’un venait de le tirer par le bras, c’'etait une femme. Barnab'e esquissa un sourire, puis, se rapprochant de la nouvelle venue :
— Oh, oh, fit-il, voil`a un chopin [9].
Mais comme il arrivait pr`es de la femme, il s’en 'ecartait aussit^ot avec un geste de d'epit :
— Ah non, fit-il, rien `a faire, t’es trop moche.
Et il ajouta, fier de lui-m^eme :
— On en a d’autres, et mieux que ca !
La femme ne se vexait pas de cette marque de m'epris, mais elle revenait `a la charge. C’'etait une femme ^ag'ee, aux allures mis'erables, elle prit le fossoyeur par le bras.
— Viens, dit-elle d’une voix 'etrangl'ee par l’'emotion, que je te montre quelque chose.
Barnab'e se laissait entra^iner, traversait le pont et, sous la conduite de cette femme, allait s’accoter `a la balustrade oppos'ee du c^ot'e donnant sur la partie ouest du cimeti`ere, qui s’'etend `a perte de vue dans la direction de Clichy.
Ils demeur`erent quelques instants immobiles, attentifs, son 'etrange interlocutrice ne prononcait pas une parole :
— Eh bien, de quoi ? fit Barnab'e, qui commencait `a s’impatienter.
La femme ne bougeait point, et le fossoyeur allait l’interroger encore, lorsque sa compagne, 'etendant le bras dans la direction du cimeti`ere, murmura d’un ton angoiss'e :
— Regarde, nom de Dieu, regarde.
Barnab'e, de son oeil vague, ob'eit. Tout d’abord il ne voyait rien, mais ses yeux, peu `a peu, s’habituaient `a l’obscurit'e, parvenaient `a la fouiller. Soudain il s’'ecria :
— Ah bon Dieu de bon Dieu !
Puis il se sentit p^alir. La vieille femme cependant se serrait contre lui :
— J’ai peur, balbutiait-elle, qu’est-ce que c’est ?
`A son tour, Barnab'e prononca des paroles vagues, incompr'ehensibles, il se cramponna `a la balustrade du pont, voulut d'etourner la t^ete, cesser de regarder ce qu’il voyait, mais ses muscles ne lui ob'eissaient pas et ses yeux dilat'es par l’'epouvante continuaient `a contempler fixement le spectacle qui s’offrait `a eux.
— L`a, l`a, d'esignait la vieille femme. Le vois-tu encore ?
— Je le vois, r'epliqua Barnab'e que la vision extraordinaire d'egrisait peu `a peu.
Le fossoyeur et sa compagne pouvaient ^etre surpris, 'etonn'es, abasourdis.
Dans le myst`ere du cimeti`ere, soudain ils avaient vu surgir une forme vague, impr'ecise d’abord, qui, peu `a peu, se silhouettait plus nettement. Une t^ete leur 'etait apparue, une t^ete humaine, blafarde et glabre, dont la moiti'e 'etait toute noire, alors que l’autre moiti'e apparaissait blanche. Puis, un corps s’'etait dessin'e, un corps v^etu d’habits vraisemblablement ; sur la poitrine c’'etait encore une tache blanche, affectant la forme d’un plastron de chemise, cependant que des membres humains constituant le reste du corps semblaient 'egalement dissimul'es sous des v^etements noirs. Aux extr'emit'es des bras pendaient deux mains toutes blanches et immobiles. Cette apparition se d'eplacait, sans para^itre marcher, avec des mouvements doux, ind'efinissables ; tant^ot la vision 'eclair'ee par le reflet des becs de gaz, s’affirmait nettement, tant^ot au contraire elle devenait invisible. On la croyait partie, elle r'eapparaissait quelques secondes apr`es, surgissant derri`ere un caveau, se dressant au-dessus d’une tombe, glissant entre deux monuments, passant sous le feuillage 'epais d’un arbre.
— Cr'e nom de nom ! r'ep'etait Barnab'e qui sentait une sueur froide couler le long de ses joues, c’est un revenant, un fant^ome, cr'e nom, j’ai jamais eu le trac dans ma vie, et ce coup-ci, je commence `a avoir les foies !
Il voulait fuir ce spectacle extraordinaire. Impossible. Sa compagne, en proie `a l’'emotion que l’on devine, poussait des hurlements, appelait au secours.
Quelques passants s’'etaient approch'es, cherchaient `a comprendre ce qui motivait l’agitation de ces deux personnages, puis quelqu’un d’abord, deux ou trois personnes ensuite, comme Barnab'e et la vieille femme apercurent l’'etrange apparition en train d’'evoluer dans le cimeti`ere.
Rapidement, la foule grossissait. Quelle 'emotion sur le pont Caulaincourt ! On s’attroupait. Les voitures avaient peine `a passer. Des cochers temp^etaient, cependant que les conducteurs d’automobiles, impatients de poursuivre leur course folle `a travers Paris, faisaient ronfler leurs moteurs et retentir leur corne d’appel.
La police – enfin intrigu'ee – arriva sur les lieux, s’efforca de r'etablir la circulation. En vain. Les agents ne comprenaient pas les explications qu’on leur fournissait dans l’assistance :
— Il y a des voleurs dans le cimeti`ere, disaient certains, cependant que d’autres, plus troubl'es, plus 'emotionnables aussi sans doute, affirmaient :
— Non, ce sont des revenants, ce sont les morts qui reviennent.
Les agents ind'ecis ne savaient que faire. Ils se contentaient de pousser, avec une patiente 'energie, ceux qui s’obstinaient `a stationner.
Mais on leur ob'eissait avec peine. Puis une femme tomba par terre, eut une crise de nerfs, on s’empressa autour d’elle, on faillit l’'etouffer en voulant lui prodiguer des secours. Quelques personnes se d'evouant la descendirent vers le boulevard pour la conduire dans une pharmacie. Elle avait certainement vu, celle-l`a, vu le fant^ome. D’ailleurs plus nombreuse devenait la foule, plus on acqu'erait la certitude que les deux premiers t'emoins de ce spectacle inadmissible, n’avaient pas 'et'e l’objet d’une hallucination. `A un moment donn'e, une clameur angoiss'ee retentit et la foule, se bousculant, recula de la balustrade, courut au c^ot'e oppos'e. Tout le monde venait de voir le spectre se rapprocher, venir au pied du pont puis dispara^itre dessous. Quelques jeunes gens plus audacieux que les autres d'egringolaient rapidement le petit escalier qui, du pont Caulaincourt, conduit `a l’avenue Rachel. Suivis par d’autres, ils se rapprochaient de l’entr'ee du cimeti`ere. La grosse porte de fer 'etait close depuis longtemps, cependant on y carillonnait. Le tintement clair de la sonnette r'esonna dans un silence impressionnant.