Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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La petite m'eridionale cependant, timide et coquette `a la fois, son premier 'emoi pass'e, se passionnait pour les faits dont elle venait d’^etre t'emoin.
— C’est inimaginable, songeait-elle, c’est du roman-feuilleton. Comme on n’en inventerait pas.
Et elle se faisait l’effet d’une h'ero"ine.
Si Delphine Fargeaux, d’ailleurs, avait 'et'e atterr'ee par le crime qu’elle avait vu se commettre sous ses yeux, n'eanmoins elle n’en concevait pas un tr`es vif chagrin.
Backefelder lui 'etait compl`etement indiff'erent et somme toute, il ne lui 'etait pas d'esagr'eable, bien au contraire, que la Recuerda f^ut une criminelle.
— Je pr'eviendrai le baron, pensa Delphine, je lui dirai que la femme qu’il aime a assassin'e. Quelle excellente occasion de m’imposer ainsi `a son esprit, de me faire aimer de lui, qui est si beau garcon, si riche.
L’aventure de la Maison d’Or'etait rest'ee profond'ement grav'ee dans la m'emoire de la M'eridionale. Toujours romanesque, lorsque, plus tard, elle l’avait parfaitement reconnu sur le pont Caulaincourt alors qu’apr`es l’attentat, il avait emmen'e la Recuerda, Delphine avait admir'e ce geste du baron Stolberg sauvant l’Espagnole de la police.
Et depuis lors, Delphine, se passionnait pour cet homme, dont elle ne connaissait `a vrai dire, que le nom et la demeure, mais que, par l’imagination, elle parait de toutes les qualit'es.
— Si je peux me faire aimer de Stolberg, se r'ep'etait Delphine ce soir-l`a, je deviens l’une des femmes les plus chics de Paris.
***
Toute la nuit, oubliant le drame dont elle venait d’^etre t'emoin, Delphine Fargeaux avait r^ev'e de Stolberg, si bien qu’elle s’'eveilla le lendemain matin parfaitement d'ecid'ee `a tenter l’impossible pour rejoindre le grand seigneur russe et le pr'evenir des dangers qu’il courait.
— Je le pr'eviendrai, je le sauverai. On aime toujours une femme qui vous sauve. Il m’aimera, c’est s^ur !
En faisant sa toilette, elle d'ecida d’aller trouver le baron Stolberg chez lui, puis elle se rendit compte que la d'emarche 'etait d'eplac'ee, qu’on la prendrait pour une intrigante et qu’il valait mieux rencontrer le gentilhomme par hasard.
`A une heure de l’apr`es-midi, ayant parfaitement oubli'e de se rendre aux pompes fun`ebres, par'ee, pomponn'ee, habill'ee `a ravir dans le plus seyant des petits costumes tailleur, coiff'ee d’un amour de jolie toque, Delphine sortait de chez elle, h'elait un fiacre, jetait au cocher une adresse voisine de celle du baron Stolberg.
— Nous ne sommes pas press'es, fit-elle, allez tout doucement, cocher, vous stationnerez, n’est-ce pas, sans que je descende, et quand je frapperai au carreau, vous suivrez le monsieur que je vous indiquerai.
Le cocher, un vieil autom'edon qui avait acquis sur le si`ege une philosophie r'esign'ee, d'evisageait d’un coup d’oeil sa cliente, soupconneux, redoutant qu’elle port^at un bol de vitriol [15], puis, lui trouvant bonne mine et la voyant toute joyeuse, il se d'ecidait `a remonter sur son si`ege :
— Hue, Cocotte, on va peut-^etre bien encore faire la chambre d’h^otel.
Pendant qu’elle ruminait ses pens'ees, le fiacre de Delphine Fargeaux arrivait `a quelques m`etres de la demeure du baron Stolberg, vers quatre heures de l’apr`es-midi. Il s’immobilisa le long du trottoir. Delphine, patiente comme toutes les femmes, tenace comme toutes les coquettes, n’eut garde d’en bouger. Elle demeura dans la voiture, invisible, et ne perdant pas de vue la porte par o`u, elle l’esp'erait bien, Stolberg allait sortir.
Si le plan de Delphine Fargeaux 'etait parfait au cas o`u le baron russe viendrait `a quitter son appartement, il 'etait 'evidemment d'efectueux dans l’hypoth`ese possible que Stolberg ne sortirait pas. C’est pr'ecis'ement ce qui se passa : une heure, deux heures, trois heures pass`erent, et `a plus de sept heures du soir, le baron Stolberg n’'etait toujours pas sorti de chez lui et Delphine Fargeaux 'etait toujours l`a, immobile `a l’int'erieur de son fiacre, cependant que son cocher, lass'e d’attendre, ayant lu tous les journaux accumul'es sous son si`ege, consid'erait avec inqui'etude la marque de son taxim`etre, se demandant si la petite dame qui 'etait sa cliente aurait v'eritablement de quoi solder le chiffre important qu’indiquait le compteur.
— M’est avis, madame, conseillait le digne autom'edon en ouvrant la porti`ere et en se penchant vers sa cliente, que l’amoureux en question ne sortira pas aujourd’hui, vous feriez mieux de revenir demain.
— M^elez-vous de ce qui vous regarde, je ne guette nullement un amoureux, et je sais que ce monsieur sortira.
Une seconde apr`es, elle ajoutait, ce qui valait beaucoup mieux que toute esp`ece de raisonnement :
— D’ailleurs, si vous ^etes inquiet du prix de votre stationnement, je ne demande pas mieux que de vous donner des arrhes.
Elle tendit au cocher une pi`ece d’or. Subitement radouci, il referma la porti`ere avec un bon sourire :
— Oh moi, dit le cocher, la remarque que je vous en faisais, c’'etait par bont'e d’^ame, que je soie l`a ou ailleurs, je m’en fiche, et Cocotte non plus ne se plaint pas de se reposer un peu. `A votre aise, ma petite dame. `A votre aise. On attendra tant que vous voudrez.
Grimp'e `a nouveau sur son si`ege, l’homme s’enroulait confortablement dans ses couvertures et s’endormit.
Il sommeillait `a peine depuis une vingtaine de minutes que des coups de parapluie le tiraient brusquement de son r^eve.
— Avancez donc, criait Delphine Fargeaux. Suivez ce monsieur.
La porte de la demeure que Delphine Fargeaux surveillait anxieusement s’'etait en effet enfin ouverte devant le noble russe. Stolberg, en chapeau claque, en habit, avait travers'e le trottoir, puis saut'e dans un coup'e de cercle [16], rang'e depuis quelques instants.
Et d`es lors, la poursuite, la poursuite qu’avait r^ev'ee Delphine Fargeaux, qu’elle attendait avec une constance in'epuisable depuis le commencement de l’apr`es-midi, s’engagea.