Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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Attel'e d’un bon cheval, le coup'e de cercle filait rapidement vers le centre. Le cocher du fiacre qui menait Delphine Fargeaux heureusement 'etait un vieux cocher, il menait expertement, trouvait le moyen de se faufiler `a travers les embarras de la circulation et de ne point perdre de vue la voiture qu’il poursuivait :
— Cocher, avait cri'e Delphine Fargeaux, il y a dix francs pour vous si nous ne perdons pas de vue ce coup'e.
Et c’'etait Cocotte qui subissait le contrecoup de cette affaire all'echante ; fouett'ee de coups de fouet, elle payait amplement le repos qui lui avait 'et'e octroy'e, et galopait sans arr^et.
Le coup'e de cercle, apr`es vingt minutes d’allure rapide, enfilait la rue Royale, tournait par les boulevards, gagnait la place de l’Op'era.
— O`u va-t-il ? se demandait Delphine Fargeaux, si je suis bien renseign'ee, le cercle du baron est place de la Concorde, ce n’est donc pas l`a qu’il se rend.
Elle 'etait fix'ee quelques instants plus tard : le coup'e de cercle s’'etait arr^et'e net devant le caf'e de la Paix.
— Dois-je stopper ? demanda le cocher de fiacre, retenant `a son tour son cheval, et tout fier de ne point s’^etre laiss'e distancer.
— Oui.
`A cet instant, Delphine s’'etait d'ecid'ee.
Si Stolberg venait d^iner `a la Paix, elle y d^inerait, elle aussi. Elle prendrait une table voisine, et parbleu, elle trouverait bien le moyen d’aborder le gentilhomme.
Triomphante, sourire aux l`evres, Delphine Fargeaux entra au grand restaurant dans un grand bruit de jupes froiss'ees.
Stolberg s’'etait bien install'e, mais il n’'etait pas seul, il avait rencontr'e trois amis, des cercleux, comme lui, il leur serra la main, s’assit `a c^ot'e d’eux.
— Vite, ma^itre d’h^otel, je suis press'e. Servez-moi en vingt minutes.
— Aux ordres de monsieur le baron. Si monsieur le baron veut faire son menu.
Si Stolberg d^inait vite, Delphine Fargeaux fit en sorte de d^iner plus vite encore. H'elas, le ma^itre d’h^otel n’avait pas de monnaie. Trois minutes d’attente, pendant lesquelles le baron passait sa pelisse, prenait cong'e de ses amis, sortait du Caf'e de la Paix.
Delphine Fargeaux arriva tout juste sur le trottoir de la place de l’Op'era pour apercevoir l’'etranger traversant la chauss'ee et se dirigeant vers l’Acad'emie Nationale de Musique.
— Je n’ai pas de chance, se dit Delphine, s’il va r'eellement `a l’Op'era ce soir, je ne pourrai pas le rejoindre, je ne suis pas assez bien mise pour prendre une place, et d’autre part, comment le retrouver `a la sortie ?
Mais, apr`es avoir trop esp'er'e, elle d'esesp'erait trop vite. Stolberg, en effet, ayant franchi les balustrades de l’Op'era, ne se h^ata point d’entrer. Il monta lentement quatre ou cinq marches, puis s’immobilisa, ayant l’air d’attendre, v'erifiant l’heure `a sa montre.
— C’est le moment de l’aborder, se dit Delphine.
Elle traversa le trottoir, monta les quelques marches qui devaient la conduire au baron. Celui-ci, d’ailleurs, l’apercut avant qu’elle ait eu le temps de le saluer.
Stolberg, le claque `a la main, s’inclinait devant la jeune femme :
— Madame, dit-il, d’une voix chaude et grave, je b'enis la bonne fortune qui me fait vous apercevoir aujourd’hui, je ne suis certainement pas connu de vous, mais cependant, il y a de cela quelques jours, j’ai eu le plaisir de d^iner pr`es de vous et j’en ai gard'e le souvenir d’une ravissante personne.
— Vous ^etes galant, monsieur, r'epondit Delphine, c’est ce qui me donne le courage de vous demander deux minutes d’entretien ?
— Madame, ce n’est pas deux minutes que je voudrais vous accorder, mais toute ma vie. H'elas, je suis tenu ce soir `a une obligation `a laquelle je ne puis me soustraire. J’attends une amie.
Or, au moment m^eme o`u le baron Stolberg s’excusait ainsi, cherchant quelque peu ses mots, une voix railleuse lui adressait la parole sur un ton cavalier :
— Mon cher, disait l’arrivante, j’allais m’excuser de venir en retard. Mais je vois que vous ne vous ennuyez pas. Vous n’^etes pas long `a faire des conqu^etes.
`A peine s’'etait-elle retourn'ee, que Delphine bl^emit. Elle se jeta litt'eralement sur le baron :
— Sauvez-vous, sauvez-vous ! cria-t-elle. Vous ne connaissez pas cette femme, sans doute, elle vient assur'ement ici pour vous tuer, elle a tu'e un homme hier. Sauvez-vous, sauvez-vous !
Surpris par cette apostrophe, Nicolas Stolberg recula, tirant derri`ere lui Delphine Fargeaux qui l’avait pris par le bras :
— Ah c`a, fit-il, vous ^etes folle ?
Mais il n’eut pas le temps d’achever.
Au m^eme moment, la Recuerda, car c’'etait la Recuerda que le baron Stolberg attendait et qui venait le rejoindre, pour aller avec lui `a l’Op'era, bondit sur Delphine Fargeaux, prise d’une de ses terribles col`eres d’Espagnole.
— Vous ^etes une mis'erable ! hurlait-elle et, par la Madone, si vous ne vous taisez pas…
Tandis que la Recuerda se jetait sur Delphine Fargeaux, celle-ci, croyant sa derni`ere heure venue, levait son parapluie et en assenait un coup sur le visage de son assaillante.
La Recuerda, en m^eme temps, l^achant le r'eticule parsem'e de pierreries qu’elle tenait `a la main, sautait `a la gorge de Delphine Fargeaux.
— Mon Dieu, je vous en prie, mesdames, mesdames ! Ah, c’est abominable, voyons, voyons !
Le baron Stolberg s’efforcait en vain de s'eparer les combattantes, la foule se rassemblait, s’ameutait, on arracha les deux femmes l’une `a l’autre. Les marches de l’Op'era 'etaient noires de monde, on criait, on se bousculait. Il y avait l`a des femmes en grande toilette, en d'ecollet'e, que la foule bousculait impitoyablement. Des hommes en habit, en cravate blanche, qui jouaient des coudes, friands de scandale, esp'erant que quelqu’un de connu, un habitu'e du Foyer y 'etait compromis.