Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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La pens'ee va vite chez qui a peur. Delphine Fargeaux, en une seconde, imagina, tout en s’en raillant, d’'etranges aventures. En somme, elle ne connaissait pas le baron Stolberg. Plus m^eme, elle l’avait rencontr'e en compagnie d’une femme qui 'etait un assassin. Et puis, c’'etait un Russe, et les Russes sont toujours un peu 'enigmatiques, un peu 'etranges, un peu effrayants.
Delphine Fargeaux se leva. D’une voix blanche, elle appela :
— Monsieur Stolberg, vous ^etes l`a ?
Mais, `a peine eut-elle cri'e, que la tenture violemment repouss'ee, s’ouvrait. Un homme apparaissait, les deux mains dans les poches, ricaneur, ironique, qui dit d’une voix br`eve et nette :
— M. Stolberg, le riche baron n’est plus l`a. Inutile de l’appeler. Inutile de crier, vous ^etes dans mes mains, en mon pouvoir, vous ^etes chez John, le cocher John !
Et c’'etait, en effet, un homme vulgaire, un palefrenier, `a en juger `a son pantalon de cheval, `a sa chemise `a carreaux, `a ses boutons de manchettes vulgaires en forme de fer `a cheval, qui s’avancait vers Delphine Fargeaux. La malheureuse, `a cet instant, pensa d'efaillir :
— Le cocher John ? s’'ecria-t-elle, le cocher John ?
Et elle contemplait les traits de son nouvel interlocuteur, se croyant victime d’un r^eve, d’une hallucination 'epouvantable.
Delphine Fargeaux frissonna, se sentit perdue. L’homme qui lui parlait, l’homme qui lui annoncait ^etre le cocher John, qui lui affirmait que Stolberg 'etait parti, c’'etait le m^eme homme, c’'etait Stolberg.
Sans doute, sa coiffure 'etait chang'ee, ses yeux eux-m^emes semblaient avoir une autre expression, mais elle ne pouvait pas se tromper `a la forme particuli`ere des sourcils, `a la ligne du nez, aux traits de la bouche.
— Vous, vous ^etes… ?
D’un geste de la main, l’homme la fit taire :
— Vous allez dire des b^etises, d'eclara-t-il, et j’aime autant vous emp^echer de les prononcer. Je suis John le cocher. Voil`a !
— Ca n’est pas vrai !
— Alors, tant pis pour vous. Puisque vous ne voulez pas admettre que je suis John, voici mon autre nom.
L’homme se croisa les bras, recula de trois pas, ses yeux se firent flamboyants, sa haute stature se redressa, il d'eclara lentement :
— Delphine Fargeaux, on m’appelle aussi Fant^omas.
Mais, cette fois, la malheureuse n’eut pas le temps d’articuler un mot. Affol'ee, 'eperdue, elle ne pouvait m^eme point hurler sa terreur, `a peine avait-il parl'e que Fant^omas – car le baron Stolberg et le cocher John, en effet, cachaient la seule et m^eme personnalit'e : celle de l’effroyable tortionnaire – se pr'ecipitait sur elle, la renversait violemment sur le canap'e, sautait `a genoux sur le meuble, et la maintenant immobile, l’'ecrasait de tout son poids, la b^aillonnait de force avec un long bandeau, d’o`u d'epassait un tampon d’ouate 'enorme.
Alors un r^ale, un r^ale lent, sinistre, interminable, commenca d’emplir la petite pi`ece qui servait de logement au cocher John. Delphine Fargeaux immobile, le visage congestionn'e, les yeux sortant de la t^ete, hurlait sous son b^aillon.
Mais Fant^omas vraiment ne paraissait en avoir nul souci. Il prit dans une petite armoire voisine, un mince flacon de verre jaune. Il le d'eboucha soigneusement, puis, le renversa tout entier sur le b^aillon de la malheureuse. Une odeur 'ecoeurante et fade de chloroforme satura l’atmosph`ere.
Quelques instants les rauques grondements de la b^aillonn'ee continu`erent, puis, ils furent moins distincts, plus faibles, puis ils se turent.
Endormie par le soporifique, priv'ee de sentiment, Delphine Fargeaux demeurait immobile, renvers'ee, presque morte. Fant^omas, debout devant elle, avait contempl'e l’'evanouissement progressif de la malheureuse jeune femme avec un froid sourire, Lorsque enfin, le r^ale s’arr^eta, il haussa les 'epaules, et simplement, d’un ton ind'efinissable, murmura :
— Et voil`a.
***
John, le cocher, 'etait `a genoux sur le sol de son taudis et s’occupait `a ficeler avec une corde solide le coffre en bois d’une haute horloge normande qu’il avait renvers'ee et bourr'ee de linge probablement.
`A ce moment des coups de pieds et des coups de poing 'ebranlaient la porte :
— Ouvre donc, bon Dieu de salaud ! Oh'e patron, voil`a l’'equipe !
Le cocher John se releva, r'epondant d’une voix faubourienne :
— Ca va, ca va, d'emolissez pas la cambuse, bon Dieu.
Il ouvrit la porte, cinq hommes se bousculaient pour entrer `a la fois :
— Bonjour ma vieille !
— Bonjour les potes. Ca va. Mort-Subite ? Ca va Bec-de-Gaz ? Mon vieil OEil-de-Boeuf, on dirait que t’as d'ej`a renifl'e dans tous les verres du quartier.
— T’occupe pas. T’occupe pas ! r'epondit OEil-de-Boeuf la voix p^ateuse et le regard peu net. Quand je d'em'enage, moi je fais comme les d'em'enageurs. Un d'em'enageur, ca d'em'enage, et quand ca d'em'enage, c’est-`a-dire que ca fait un d'em'enagement.
D’une bourrade, le cocher John envoya OEil-de-Boeuf rouler dans un coin de la pi`ece :
— Tais-toi barrique, lanca-t-il, tu n’en sortiras pas.
— Mort-Subite, vous avez amen'e une charrette ?
— Elle est en bas.
— Alors, y a qu’`a se mettre au turbin.
— On enl`eve tout ?
— Comme de juste. Tu ne t’imagines pas mon vieux que je vais faire des cadeaux au proprio ?
— Et o`u est-ce qu’il est ton logement ? demandait Mort-Subite, est-ce que tu vas nous faire tirer la bricole pendant des kilom`etres ? Ta concierge, elle va gueuler, ma vieille, quand on transportera ton mobilier `a travers ses escaliers.