Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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Et Fandor ne se trompait pas. Toute la nuit, sans fin, sans arr^et, d’interminables pri`eres bourdonnaient dans la chapelle lugubre. Les cierges 'etaient presque br^ul'es en entier. Fandor, bl^eme, d'ecompos'e, hallucin'e, dormait presque, 'ecroul'e dans sa stalle quand l’aube p^ale commencait `a s’insinuer `a travers le chaud coloris des vitraux de la nef.
Et alors, d’autres pri`eres succ'ed`erent aux pri`eres qui s’achevaient, on chantait matines. On c'el'ebrait le saint sacrifice. Les moines, d'evots de bonne foi, paraissaient eux-m^emes gris'es par leur propre pi'et'e. Une exaltation les prenait sans doute qui les faisait pr'ecipiter leurs oraisons. Convaincus et croyants ils voulaient dire le plus de pri`eres possibles pour celui qui allait mourir et leur mysticisme farouche, impitoyable ne comprenait pas quelle torture ils infligeaient `a Fandor, au mort de tout `a l’heure, en priant devant lui pour le repos de son ^ame.
Quand l’aube parut cependant, J'er^ome Fandor faisait effort pour s’arracher au supr^eme assoupissement qui s’'etait empar'e de lui. Il se redressait, il faisait appel `a toute son 'energie, il redevenait ma^itre de ses nerfs.
— Dupont de l’Aube n’est pas l`a, se disait-il, donc il ne viendra pas, donc, dans quelques heures, dans quelques minutes, je vais ^etre ex'ecut'e, je vais ^etre conduit au garrot. Eh bien, soit. Puisque je devais p'erir ainsi, puisque c’'etait 'ecrit au livre de la Destin'ee, je ne me r'evolterai pas, j’attendrai la mort, tranquille et brave.
C’'etait en effet avec une r'esignation superbe, avec une admirable correction, que J'er^ome Fandor assista aux derni`eres c'er'emonies que les religieux pr'ecipit`erent.
Puis J'er^ome Fandor vit soudain les gardes civils brusquement apparus pour le conduire au garrot.
Fandor, toutefois, si courageux qu’il f^ut, 'etait en ce moment plong'e dans une v'eritable prostration. C’'etait un peu un automate qui s’avancait sur la Plaza Mayor, et que la populace saluait de ses cris.
— Il ne faut pas que je meure en l^ache, se r'ep'etait alors, victime d’une id'ee fixe, le malheureux J'er^ome Fandor.
Et J'er^ome Fandor cependant se d'efiait de lui-m^eme. Il avait le sublime courage de vouloir encore ^etre brave alors qu’on le poussait au plus abominable des supplices. J'er^ome Fandor marchait, un sourire fig'e sur les l`evres, calme, tranquille, baissant les yeux pour ne point voir et ainsi narguer le sursaut qu’ont, en g'en'eral, les condamn'es `a mort lorsqu’ils apercoivent l’instrument de supplice.
Au moment cependant o`u J'er^ome Fandor approchait de l’escalier qui devait lui permettre d’arriver `a la plateforme de l’'echafaud, force lui 'etait bien de lever les yeux pour ne point tr'ebucher.
`A ce moment, Fandor apercut Juve.
Il y avait une telle expression dans les yeux du faux bourreau que, malgr'e le loup de soie noire qu’il portait, suivant l’usage, J'er^ome Fandor ne s’y trompait pas.
Et, `a l’instant, au fond de sa d'etresse, alors que quelques secondes avant il ne pensait m^eme plus `a la possibilit'e d’'echapper au tr'epas, J'er^ome Fandor se reprit `a penser qu’il 'eviterait le garrot.
Juve 'etait l`a.
Cela valait mieux que toutes les gr^aces. il n’'etait pas possible que Juve 'etant pr'esent, son ex'ecution p^ut avoir lieu. Juve le sauverait `a coup s^ur, Juve inventerait quelque chose d’incroyable pour le tirer des mains du bourreau.
Et d’ailleurs, Juve 'etait habill'e de rouge, Juve, c’'etait le bourreau. Ah, la bonne com'edie !
Et Fandor manqua 'eclater de rire `a cette pens'ee :
— C’est Juve qui va m’ex'ecuter, moi, Fandor ? Ah c’est farce, c’est farce !
L’aum^onier qui escortait le jeune homme `a cette minute pensait que le condamn'e 'etait frapp'e de folie. Pris de peur, d’ailleurs, le religieux tremblait de tous ses membres, c’'etait presque violemment qu’il poussa Fandor sur les degr'es m^elant ses derni`eres paroles de piti'e, de recommandations pratiques :
— Monte, mon fr`ere. Repens-toi. Repens-toi. Prends garde `a la derni`ere marche. La bont'e de Dieu est infinie. Va. Avance.
Mais J'er^ome Fandor s’immobilisait. Le rire qui tout `a l’heure distendait ses l`evres se mua en un tragique rictus.
C’est qu’il se passait `a ce moment une chose effroyable.
J'er^ome Fandor, les yeux dilat'es d’angoisse vit un homme rouge masqu'e d’un loup noir fendre h^ativement les rangs des gardes civils qui entouraient l’'echafaud. Cet homme rouge, accompagn'e de soldats, bondissait aupr`es du garrot. Quant `a Juve, qui 'etait l`a pour le sauver, lui, Fandor, il 'etait empoign'e, emport'e, enlev'e par les soldats il disparaissait. C’'etait le bourreau, le vrai bourreau cette fois, qui posait sa main rude sur l’'epaule de Fandor.
Le journaliste, `a cet instant, sentait si bien que tout 'etait radicalement fini pour lui, qu’il n’avait plus la moindre chance d’'echapper `a la mort gr^ace `a Juve, qu’il sentit que son coeur s’arr^etait de battre. Il voulut crier, appeler Juve, il voulut se d'ebattre, mais ses l`evres 'etaient contract'ees au point qu’il ne pouvait articuler un mot, la paralysie immobilisait ses membres au point qu’il e^ut 'et'e incapable d’agiter f^ut-ce une main.
Et l’ex'ecuteur des hautes oeuvres alors accomplit sa besogne. Il poussa Fandor vers la chaise du garrot, une secousse assit celui qui allait mourir. J'er^ome Fandor sentit le froid de l’anneau de fer qui lui entourait le cou. Il voulut crier encore et ne le put pas. Ses yeux voulurent voir et ne virent qu’un brouillard rouge. Sur sa face quelque chose s’abattit qui 'etait le voile destin'e `a masquer ses contorsions, ses convulsions derni`eres.
Alors, h'eb'et'e, croyant que les secondes duraient des si`ecles, J'er^ome Fandor entendit son confesseur marmotter encore une derni`ere oraison. Le pas lourd du bourreau r'esonnait sur les planches sonores de l’'echafaud, l’homme alla se placer derri`ere le garrot.
— Roulez, tambours !
Un battement sourd et prolong'e 'ebranla l’air.
J'er^ome Fandor sentit que l’anneau de fer s’appuyait `a sa gorge et lentement, tr`es lentement la comprimait, commencait `a l’'etrangler.
— Je suis perdu, r^ala-t-il.
Derri`ere lui, tout contre sa t^ete qu’il arc-boutait au pieu comme s’il e^ut pu r'esister `a l’'etreinte qui allait lui broyer la gorge, le tourniquet manoeuvr'e par le bourreau grinca.
— Je suis perdu.
L’anneau de fer, froid, lui appuyait toujours sur la gorge.
Mais, `a cet instant, comme Fandor entendait une clameur abominable monter vers le ciel, une voix inconnue lui murmurait `a l’oreille, distinctement, mais tout bas :